La présence de CropLife – puissant lobby qui représente l’industrie des pesticides – à la COP15 dérange les groupes environnementaux. Alors que les 196 pays membres de la Convention sur la diversité biologique débattent d’une proposition visant à réduire des deux tiers l’usage des pesticides sur la planète, des environnementalistes ont mené un coup d’éclat jeudi pour manifester leur inquiétude.

Déguisés en abeilles et en monarques, les militants se sont effondrés au sol dans un couloir du Palais des congrès de Montréal menant à une salle qui accueillait une séance organisée par CropLife International.

« Pourquoi ont-ils été accrédités ? », s’est interrogée Charlotte Dawn du groupe Wilderness Committee. « Et ce, spécialement quand il y a des participants bien intentionnés qui sont désespérés de passer à l’action et d’avoir de l’espace dans ces salles pour le faire. À la place, elles sont occupées par des multinationales qui cherchent le statu quo et qui se font donner une voix depuis trop longtemps. »

L’agriculture est au cœur des discussions au sommet international sur la biodiversité. La cible 7, qui aborde la question de la réduction de la pollution propose de réduire de moitié ou des deux tiers l’usage des pesticides d’ici 2030. Si le texte est approuvé, il s’agirait de la première cible mondiale de réduction des pesticides.

« CropLife n’a pas sa place dans ce genre d’évènement. Ils devraient être exclus », a déploré Thibault Rehn, coordinateur de Vigilance OGM. « Ils freinent l’ambition des délégués. On a des pays qui veulent une cible ambitieuse de réduction des pesticides et ils sont là pour miner cette cible. »

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Thibault Rehn

Quand ils voient une cible de deux tiers de réduction des pesticides, ils voient une réduction des deux tiers de leurs profits.

Thibault Rehn, coordinateur de Vigilance OGM 

« Je suis dégoûté », a pour sa part ajouté le chef héréditaire de la nation Kwakiulth en Colombie-Britannique, David Mungo Knox. « Je suis assez contrarié par leur présence ici aujourd’hui parce qu’ils participent à la dévastation [de l’environnement]. »

CropLife contre la cible des deux tiers

CropLife est une association qui représente des entreprises qui commercialisent des semences et des produits antiparasitaires. Elle compte parmi ses membres des géants agrochimiques comme Monsanto-Bayer, Corteva, Syngenta-ChemChina et SynAgri. Elle représente aussi l’entreprise québécoise Sollio agriculture.

Lors de la rencontre, une représentante de la Fondation David Suzuki s’est avancée au micro pour demander aux représentants de CropLife s’ils appuyaient la cible 7 et son objectif de réduction des deux tiers.

« Nous appuyons la très ambitieuse cible de réduction de la pollution, mais nous n’appuyons pas la cible obtuse de réduction des pesticides », a répondu Christoph Neumann, vice-président des politiques réglementaires de la protection des cultures de CropLife International.

« Infaisable »

En entrevue avec La Presse après le panel, ce dernier a ajouté que la « réduction de la pollution » devrait être gérée à l’échelle locale.

« L’usage des pesticides varie grandement d’un pays à l’autre. Les États-Unis, le Canada et l’Union européenne ont de très hauts taux de rendements agricoles, ils ont aussi un haut taux d’usage de pesticides. En Afrique subsaharienne, c’est plutôt bas : ils utilisent le quart comparé au reste de la planète. C’est pourquoi l’OCDE et l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en sont venues à la conclusion en 2021 qu’il faudrait en réalité intensifier l’agriculture et que l’accès aux pesticides était obligatoire pour la sécurité alimentaire. »

La cible de réduction des deux tiers est-elle possible d’ici sept ans ? « À mon avis, ça n'a pas de sens », a-t-il répondu en soulignant que le virage brutal (et temporaire) vers une agriculture 100 % biologique au Sri Lanka en 2021 a fait des ravages.

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Christoph Neumann, de CropLife International

Ce serait dévastateur d’abord et avant tout pour les pays. Si vous regardez ce qu’il s’est passé au Sri Lanka, deux tiers, 70 %, on n’est pas loin de ça. Je pense que c’est infaisable. Comme pour tout, il faut une transition.

Christoph Neumann, de CropLife International

Le président et chef de la direction de CropLife Canada abonde dans le même sens que son collègue.

« L’application des pesticides ce n’est pas une pollution comme telle parce que ç’a un effet où on cible, où on vise dans un champ. Si le pesticide se retrouve dans l’eau ou dans des champs où ça n’a pas son effet, on appelle ça une dérive ou une pollution ponctuelle », a expliqué Pierre Petelle en marge de la conférence.

Ce dernier affirme que CropLife appuie les mesures d’atténuation comme les bandes riveraines ou les équipements agricoles qui permettent d’appliquer les produits avec plus de précision.

« Le but principal, c’est de réduire les dérives des pesticides qui ne sont pas les zones [où elles] font leur travail. »