Rouyn-Noranda démolit actuellement l’aérogare « temporaire » de son aéroport, construite en 2019 au coût de 2,1 millions de dollars, une décision qui soulève des questions en matière de développement durable.

Le bâtiment avait été construit pour permettre la réfection et l’agrandissement de l’aérogare principale de l’aéroport abitibien, qui a rouvert ses portes en juillet dernier.

Québec et Ottawa avaient épongé les deux tiers des coûts de construction, avec une subvention de 1,4 million provenant du Fonds Chantiers Canada-Québec ; la Ville de Rouyn-Noranda avait déboursé 700 000 $.

La démolition coûte quant à elle 123 755 $, dont 80 % sont financés par le programme Initiative du transport aérien régional, indique la Ville.

« Construire un bâtiment, qui a coûté 2 millions de fonds publics, pour le démolir après trois ans, et donc gaspiller des tonnes de matériaux de construction dans un contexte de surexploitation des ressources naturelles, c’est absurde », estime Amélie Côté, analyste en réduction à la source d’Équiterre.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Amélie Côté, analyste en réduction à la source d’Équiterre

On devrait collectivement cesser de prendre ce genre de décision à la légère et travailler en amont pour éviter de telles situations.

Amélie Côté, analyste en réduction à la source d’Équiterre

Penser à l’avance

La construction de bâtiments temporaires qui ne sont pas « jetables » est pourtant possible.

« Un bâtiment temporaire qui a été prévu pour être temporaire et démantelé, en soi ce n’est pas un problème », estime Hortense Montoux, chargée de projet au Centre d’études et de recherches intersectorielles en économie circulaire de l’École de technologie supérieure.

« On travaille sur des bâtiments adaptables et démontables », illustre-t-elle, précisant que ce type de construction nécessite d’être pensé à l’avance, dès la conception d’un projet.

PHOTO FOURNIE PAR HORTENSE MONTOUX

Hortense Montoux, chargée de projet au Centre d’études et de recherches intersectorielles en économie circulaire

Dans une logique d’économie circulaire, on ne devrait plus [faire des bâtiments temporaires qu’on démolit ensuite], mais parfois la démolition et la réutilisation ont des logiques économiques différentes.

Hortense Montoux, chargée de projet au Centre d’études et de recherches intersectorielles en économie circulaire

Décision « abordable »

La construction d’un bâtiment qui allait être démoli trois ans plus tard était « une solution abordable et acceptée après avoir été dûment analysée », a indiqué à La Presse Émilie Lord, porte-parole du ministère des Transports et de la Mobilité durable du Québec (MTMDQ), dont relève le Fonds Chantiers Canada-Québec.

Des critères de développement durable ont-ils été pris en considération ? Le MTMDQ n’a pas répondu à la question, mais a indiqué que l’aérogare n’avait « pas été conçue » pour durer longtemps.

Aux yeux de la mairesse Diane Dallaire, la démolition était le choix le plus « porteur ».

« C’était la meilleure décision pour le portefeuille des citoyens », a-t-elle déclaré à La Presse.

La Ville justifie la construction et la démolition d’une aérogare temporaire par le fait que l’aérogare principale devait demeurer « exactement sur le même site », en raison de son positionnement par rapport aux voies de circulation vers la piste.

PHOTO CHRISTIAN LEDUC, COLLABORATION SPÉCIALE

La nouvelle aérogare de l’aéroport de Rouyn-Noranda

La possibilité d’utiliser des roulottes de chantier pour l’aérogare temporaire a été évaluée, mais elle n’a « pas été retenue, car il y avait trop de contraintes opérationnelles de sécurité », a indiqué à La Presse la directrice des communications, Anne-Marie Nadeau.

Le démantèlement du bâtiment pour le déplacer a aussi été évalué, mais cette option a été écartée « en raison des coûts importants et de nombreuses contraintes techniques », ajoute-t-elle.

La Ville assure toutefois avoir récupéré le mobilier intégré, les portes et fenêtres, les toilettes, lavabos et urinoirs, le système de surveillance et les caméras, le système de climatisation et la tôle extérieure.

Le reste sera envoyé à l’enfouissement, a confirmé l’entreprise Construction Normand Martel, qui a entamé la démolition dans les derniers jours, la Ville n’ayant pas imposé de conditions de réemploi dans le contrat qu’elle lui a accordé.

Bisbille autour de la cession du bâtiment

L’entreprise aérienne Propair s’offusque de la démolition de l’aérogare « temporaire » de l’aéroport de Rouyn-Noranda, qu’elle aurait voulu acquérir pour soutenir la croissance de ses activités de nolisement d’avions et développer une école d’aviation. Les négociations entre l’entreprise rouynorandienne et l’administration municipale ont toutefois échoué. La Ville dit avoir offert à Propair d’acheter l’édifice à un prix « très inférieur à son coût de construction », mais affirme que l’entreprise lui demandait plutôt de le lui céder en échange d’une contrepartie symbolique. La Ville devra rembourser les subventions obtenues si elle vend, loue ou cède le bâtiment et le ministère des Transports et de la Mobilité durable du Québec a refusé d’« assouplir » ces conditions, affirmant que ce type de clause a pour but d’« assurer que le réel bénéficiaire de l’aide demeure le même ». Propair n’a pas rappelé La Presse.

L’enfouissement « pas assez cher »

Il existe de nombreux freins au démantèlement, au Québec, dont le fait que « l’enfouissement n’est pas encore assez cher », selon Hortense Montoux, du Centre d’études et de recherches intersectorielles en économie circulaire de l’École de technologie supérieure. « Ce n’est pas compétitif pour le temps supplémentaire qu’on passe à déconstruire, par rapport à démolir et enfouir », dit-elle, ajoutant qu’il y a aussi des défis relatifs à la traçabilité des matériaux, pour connaître leurs propriétés et caractéristiques, afin de pouvoir les réutiliser avec confiance. Les perceptions sont aussi un obstacle, dit-elle : « Les matériaux usagés ne sont pas encore perçus comme des ressources, on est encore dans la perception de matière résiduelle. »

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  • 150 000
    Nombre de passagers accueillis annuellement par l’aéroport de Rouyn-Noranda
    Source : Ville de Rouyn-Noranda