Les conséquences environnementales et sociales de la salmoniculture au Chili pourraient entraîner la disparition du saumon chilien des comptoirs de certaines grandes chaînes d’épiceries québécoises.

« C’est une réflexion qu’on a depuis longtemps », a déclaré à La Presse Stéphane Bergeron, directeur pour le Québec de la catégorie de la viande, charcuterie et poisson de Sobeys, à qui appartiennent les chaînes IGA et Rachelle-Béry, entre autres.

Le géant de l’alimentation établi en Nouvelle-Écosse travaille déjà à s’assurer « un approvisionnement 100 % canadien » de saumon, indique M. Bergeron, se gardant de dévoiler un échéancier pour des raisons concurrentielles.

La « question environnementale » est en partie à l’origine de cette décision, de même que la volonté de la clientèle d’acheter des produits locaux, ajoute-t-il.

Les importations canadiennes de saumon du Chili ont été multipliées par 20 au cours des deux dernières décennies, si bien que le pays est désormais le deuxième fournisseur étranger de saumon du Canada.

Mais l’élevage de saumons en filets ouverts dans la mer s’y fait à grand renfort de pesticides et d’antibiotiques, y entraîne la destruction d’écosystèmes marins et s’est traduit par la mort de dizaines de travailleurs et travailleuses au cours des deux dernières décennies, rapportait La Presse dans une série de reportages publiés la semaine dernière.

Ces lectures n’étaient « pas une surprise » pour Stéphane Bergeron, qui dit suivre ces enjeux « de très proche » ; Sobeys a d’ailleurs déjà cessé les importations de certains pays pour certains poissons, indique-t-il.

« Examen rigoureux » chez Loblaw

La présence du saumon chilien est également remise en question dans les épiceries Provigo, Maxi et Loblaws, propriétés du géant Loblaw.

« À la lumière des faits qui ont été portés à notre attention, notamment dans les médias, nous allons procéder à un examen rigoureux de la situation et prendrons action en conséquence », a indiqué dans une déclaration écrite Johanne Héroux, directrice principale des affaires corporatives et des communications de Loblaw.

L’entreprise rappelle s’être engagée en 2009 à vendre uniquement des produits de la mer issus de la pêche durable, ce qui implique dans le cas des produits d’élevage « qu’ils peuvent être produits avec un impact négatif minimal sur les habitats et les communautés locales », précise Mme Héroux.

Metro n’envisage pas pour sa part de reconsidérer la vente de saumon du Chili, mais reconnaît « que l’élevage de saumons en milieu ouvert représente un risque en matière de pêche et d’aquaculture durables », a indiqué à La Presse Geneviève Grégoire, porte-parole de l’entreprise québécoise, également propriétaire des chaînes Adonis et Super C.

« C’est pourquoi cette catégorie de produits a été placée dans un programme d’amélioration continue » qui oblige les fournisseurs à disposer d’une « certification reconnue », poursuit-elle, soulignant que la « grande majorité » du saumon vendu chez Metro provient du Canada.

L’épicier souligne également avoir adopté en 2010 une politique de pêche et d’aquaculture durables qui couvre l’ensemble des produits de poissons et fruits de mer vendus dans ses établissements.

Mystère chez Costco

La chaîne Costco n’a pas voulu répondre aux questions de La Presse, refusant même de dire si elle vend du saumon du Chili.

« Je n’ai tout simplement pas l’autorisation de répondre », a indiqué Martin Groleau, porte-parole du géant états-unien au Québec.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Saumon atlantique d’élevage dont on ne précise pas l’origine, en vente chez Costco

Une visite en succursale a permis de constater qu’on y vend du saumon biologique d’Écosse, mais aussi du « saumon atlantique » et du « saumon d’élevage élevé sans usage d’antibiotique » sans mention de la provenance.

La réglementation canadienne stipule pourtant que « le nom du pays d’origine doit être clairement identifié sur l’étiquette » du poisson vendu dans les commerces.

« Il s’agit d’une exigence du Règlement sur la salubrité des aliments au Canada », précise Erin Paul, porte-parole de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA).

« Toute personne qui croit qu’un produit alimentaire est étiqueté de façon trompeuse ou pose un problème de salubrité alimentaire peut faire un rapport sur le site internet de l’Agence », précise-t-elle, soulignant que les commerçants contrevenants s’exposent à des sanctions « qui peuvent aller d’une lettre d’avertissement à des poursuites judiciaires ».

Question d’approvisionnement

Si les commerces canadiens vendent du saumon étranger dans un pays qui en produit lui-même énormément, c’est notamment en raison de contraintes d’approvisionnement, affirme Stéphane Bergeron, de Sobeys.

« Il y a des cycles, il y a des moments où il y a des creux [dans la production] », explique M. Bergeron, ajoutant que le marché canadien n’arrive pas à fournir les volumes requis lorsque le saumon est annoncé à prix réduit, par exemple.

C’est encore plus vrai pour le saumon issu de la pisciculture terrestre, un mode d’élevage plus écologique que l’aquaculture en filets ouverts, que Sobeys vend depuis quelques années, poursuit-il.

« L’offre de saumon élevé sur terre n’est pas la même que celle de saumon élevé en mer, dit M. Bergeron. Développer une offre, ça prend un certain temps. »

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  • 15 633 tonnes
    Quantité de saumon chilien importé au Canada en 2020
    Source : Statistique Canada