(Baie-du-Febvre) Au bout de la terre de Jacques Côté apparaît un paysage agricole inhabituel. Dans un vaste champ de foin, trois rangs d’arbres matures s’alignent sur près d’un demi-kilomètre.

Des peupliers, des chênes, des érables, des noyers : près de 400 arbres poussent sur le site expérimental que le producteur laitier a planté il y a 11 ans avec l’aide du chercheur David Rivest.

Sous un soleil radieux d’automne, le duo se dirige vers le centre de la parcelle, où se trouve une série de capteurs qui enregistrent en continu une foule de données microclimatiques. Force des vents, précipitations, rayonnement solaire, humidité et température du sol : rien n’est laissé au hasard.

  • David Rivest, professeur au département des sciences naturelles de l’UQO (à gauche), ainsi que Jacques Côté et Sylvie Moser, agriculteurs (à droite)

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    David Rivest, professeur au département des sciences naturelles de l’UQO (à gauche), ainsi que Jacques Côté et Sylvie Moser, agriculteurs (à droite)

  • Une centrale d’acquisition de données microclimatiques mise au point par le chercheur David Rivest. On y trouve un capteur de rayonnement photosynthétique actif, un anémomètre et des sondes d’humidité et de température du sol.

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    Une centrale d’acquisition de données microclimatiques mise au point par le chercheur David Rivest. On y trouve un capteur de rayonnement photosynthétique actif, un anémomètre et des sondes d’humidité et de température du sol.

  • En bordure de la parcelle expérimentale, on trouve une haie brise-vent de mélèzes plantée en 2007. Les haies agroforestières sont beaucoup plus courantes au Québec. David Rivest estime qu’elles couvriraient des milliers de kilomètres sur les terres agricoles du Québec.

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    En bordure de la parcelle expérimentale, on trouve une haie brise-vent de mélèzes plantée en 2007. Les haies agroforestières sont beaucoup plus courantes au Québec. David Rivest estime qu’elles couvriraient des milliers de kilomètres sur les terres agricoles du Québec.

  • Plusieurs essences d’arbres ont été plantées afin de prévenir les pépins éventuels comme une maladie qui pourrait ravager une espèce, comme ce fut le cas récemment avec l’agrile du frêne.

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    Plusieurs essences d’arbres ont été plantées afin de prévenir les pépins éventuels comme une maladie qui pourrait ravager une espèce, comme ce fut le cas récemment avec l’agrile du frêne.

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Ces données permettront de déterminer l’effet protecteur des arbres sur les cultures lorsqu’elles subissent des conditions météo extrêmes, comme des sécheresses. Des données précieuses au moment où les agriculteurs cherchent des solutions pour devenir plus résilients par rapport aux changements climatiques.

« On veut amener plus de stabilité dans les rendements d’année en année », explique David Rivest, professeur au département des sciences naturelles de l’Université du Québec en Outaouais (UQO).

Avec les changements climatiques, on s’attend à des fluctuations. On veut limiter ces écarts-là en ayant des effets bénéfiques lorsque c’est stressant pour la plante agricole.

David Rivest, professeur au département des sciences naturelles de l'UQO

Au cours des dernières années, la province a connu des sécheresses historiques. En 2020, le Québec a connu son mois de juillet le plus chaud en 100 ans. Par conséquent, le programme québécois d’assurance récolte (ASREC) a versé des sommes faramineuses aux agriculteurs : 35 millions pour indemniser 2100 entreprises qui ont subi les effets des sécheresses et 40,5 millions aux producteurs de foin pour « manque d’eau ». Et ce sont les contribuables canadiens qui ont essuyé 60 % de la facture.

Des résultats encourageants

Jacques Côté ne pensait pas aux changements climatiques lorsqu’il s’est lancé dans cette aventure. Il a d’abord vécu un « coup de foudre » en voyant une photo présentée à la fin d’une présentation. « Je suis tombé en amour », se remémore-t-il.

Sur l’image captée en France, une moissonneuse-batteuse récoltait le blé entre des rangées de noyers. Une technique inédite au Québec : le « système agroforestier intercalaire ».

De fil en aiguille, il contacte David Rivest et en mai 2012, les deux se lancent.

Ils planteront des arbres tous les 5 mètres, sur 480 mètres, avec des espacements de seulement 40 mètres entre les rangées.

Les résultats obtenus jusqu’à présent sont étonnants.

Malgré une réduction modérée de la lumière et de l’eau disponible pour la croissance des cultures proches des rangées d’arbres, aucune diminution du rendement n’a été mesurée dans les allées cultivées.

David Rivest, professeur au département des sciences naturelles de l’UQO

« C’est vrai pour les différentes cultures qui se sont succédé au fil des dernières années, ce qui inclut le maïs grain, le soya et une culture fourragère à base de luzerne », ajoute-t-il.

Au centre des allées, l’équipe du professeur Rivest a aussi mesuré une diminution significative de la vitesse du vent et une augmentation de l’humidité du sol et de l’air.

« Ces conditions microclimatiques peuvent être bénéfiques à la culture. Par exemple, en 2018, marquée par un été anormalement sec et chaud, nous avons mesuré, proche du centre des allées cultivées, une augmentation du rendement du soya de près de 20 %. »

Jacques Côté a aussi observé des effets bénéfiques.

La dernière fois qu’il y a eu du maïs ici, c’était mon champ record !

Jacques Côté

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Jacques Coté

Le système agroforestier semble aussi avoir des effets bénéfiques sur la rétention d’eau dans les champs.

« Pendant l’été 2021, qui a été relativement sec, nous avons mesuré que l’humidité du sol proche du centre des allées cultivées était d’environ 50 % supérieure à celle dans les parcelles témoins dépourvues d’arbres », affirme M. Rivest.

Des mentalités à changer

Jacques Côté prévoit récolter ses premiers arbres au cours des prochaines années, afin d’en revendre le bois. La récolte des peupliers est prévue après 15 ans et celle des feuillus « à bois noble » (chênes, érables, noyers noirs), après 40 ans.

« Si mon arrière-grand-père était un adepte d’agroforesterie et qu’il y en avait sur toute la ferme à la grandeur, chaque année, on aurait un revenu de ventes de billes de bois », explique le producteur de cinquième génération. « Je fais ça pour la relève. »

Au Québec, David Rivest estime qu’il existe « tout au plus » une dizaine de systèmes agroforestiers intercalaires.

Jacques Côté, qui a parfois l’impression de « prêcher dans le désert », espère convaincre ses confrères. Mais avant, il faudra changer les mentalités.

« Ce sont des paradigmes à changer. L’agriculture, c’est un combat contre la forêt : tu l’enlèves et tu fais pousser autre chose, rappelle-t-il. Si tu laisses un sol à nu, un arbre va finir par y pousser. Donc si le sol ne considère que ce qui est le mieux pour lui, je pense que c’est [une bonne idée] de faire un alliage avec l’agriculture. »