(Ottawa ) Le nouveau système d’échange de crédits pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) n’est en fait qu’un nouveau droit de polluer supplémentaire, selon deux spécialistes. Le premier volet de ce système annoncé mercredi vise les sites d’enfouissement qui émettent de grandes quantités de méthane.

« Ça encourage les réductions d’émissions des sites d’enfouissement, mais ces réductions-là comme ce sont des crédits compensatoires vont être données à d’autres pour leur permettre d’émettre », explique le directeur de l’Institut de l’énergie Trottier de Polytechnique Montréal, Normand Mousseau.

« Les compagnies qui sont aujourd’hui soumises à une tarification du carbone au fédéral vont pouvoir, au lieu de payer la taxe carbone ou le crédit carbone au gouvernement fédéral, vont pouvoir acheter à ces dépotoirs-là des crédits compensatoires », précise Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal.

Le gouvernement fédéral espère qu’il encouragera l’installation d’équipement pour récupérer et détruire le méthane produit par les déchets. Les entreprises privées, les municipalités et les communautés autochtones pourront soumettre des projets.

La participation est volontaire et le coût de chaque crédit de carbone dépendra du marché. Un crédit équivaudra à une tonne de GES.

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« Je ne connais pas d’entreprises qui sont réglementées pour qui les crédits compensatoires, c’est 100 % de leur lutte aux changements climatiques. Vous payez d’autres entités pour réduire vos émissions de gaz à effet de serre, ce n’est pas très viable à long terme d’un point de vue économique et d’un point de vue de modèle d’affaires », s’est défendu le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, depuis la Californie où il participe à des réunions sur le climat dans le cadre du Sommet des Amériques.

Selon un document fourni aux journalistes par le ministère, ce protocole doit temporairement « aider à devancer les réductions avant l’entrée en vigueur de la réglementation fédérale » sur le méthane émis par les sites d’enfouissement.

« C’est quoi l’effet net dans ce contexte-là si la réglementation vient pour interdire », se demande Normand Mousseau.

Le système d’échange de crédits crée un incitatif pour réduire la pollution « qui autrement ne serait pas couverte par la tarification du carbone », a indiqué M. Guilbeault.

« Il incite les entreprises les agriculteurs et les forestiers à trouver de nouveaux moyens de réduire les émissions ou d’éliminer les gaz à effet de serre de l’atmosphère », a-t-il ajouté. Les communautés autochtones et les municipalités peuvent également y participer, ce qui leur permettrait de générer de nouveaux revenus.

Quatre autres protocoles sont en développement au ministère de l’Environnement et du Changement climatique et seront mis sur pied ultérieurement. L’un visera à réduire les émissions des systèmes de réfrigération, les autres à améliorer l’aménagement forestier sur les terres privées, à réduire les émissions produites par le bétail par une meilleure gestion de leur alimentation et à mieux gérer les terres agricoles pour améliorer la séquestration du carbone dans les sols.

Le système d’échange de crédit se veut complémentaire à la bourse du carbone québécoise, mais le type de projets qui pourront en faire partie demeure nébuleux. Le document du ministère spécifie que les projets dans un secteur d’activité déjà couvert par la bourse québécoise ne pourront pas participer au système fédéral. Ce serait le cas des projets pour les gaz réfrigérants, selon Normand Mousseau.

Photo Alain Roberge, archives LA PRESSE

Normand Mousseau

Greenpeace estime qu’il s’agit d’un « grand pas en arrière » puisqu’il faudrait plutôt éliminer les combustibles fossiles. « Les compensations n’empêchent pas le carbone de pénétrer dans l’atmosphère et de réchauffer la planète, mais sur papier, elles font bien paraître les grands pollueurs responsables », a réagi Salomé Sané, chargée de la campagne Nature et Alimentation de Greenpeace Canada.

« C’est trop peu, trop tard, a affirmé le député néo-démocrate, Alexandre Boulerice. Ça va avoir un effet marginal alors que le gros de l’action que pourrait prendre le gouvernement serait de prendre les milliards qu’il donne en subvention aux pétrolières et aux gazières pour l’investir dans les énergies renouvelables et aussi la mitigation et l’adaptation pour les communautés au Québec et au Canada. »

Pour le Bloc québécois, il s’agit « d’une occasion manquée sur toute la ligne ». « Les libéraux avaient le choix d’entrer dans le système québécois ou d’en créer un : ils ont préféré ne faire aucune des deux options », a fait valoir la députée Monique Pauzé.

« Nous savons que lorsque les libéraux n’atteignent pas leurs objectifs, ils en inventent de nouveaux et créent des programmes plus ambitieux qu’ils n’ont pas l’intention de faire aboutir », a critiqué à son tour le député conservateur Kyle Seeback.

Le gouvernement fédéral s’est donné pour objectif de réduire les GES de 40 % à 45 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030.