La nomination au conseil d’administration de Recyc-Québec d’une dirigeante de la coopérative Agropur, qui s’oppose ouvertement à l’élargissement de la consigne aux contenants de lait, fait sourciller dans le milieu écologiste.

Le gouvernement Legault a nommé Stéphanie Benoit « membre indépendante » du C. A. de la Société québécoise de récupération et de recyclage (Recyc-Québec), la présentant comme gestionnaire de deux entreprises agricoles.

Or, Mme Benoit est vice-présidente de la coopérative laitière Agropur, qui mène depuis quelques mois une campagne publique contre l’élargissement de la consigne aux contenants de lait, ce que ne mentionnait pas l’avis de nomination publié au début du mois, mais que précise le site internet de Recyc-Québec.

« Ça soulève des questions et on aimerait bien avoir des réponses », a déclaré à La Presse Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets.

« C’est une personne qui est vice-présidente d’une coop agricole d’importance, qui a fondé une coalition pour que la consigne ne soit pas appliquée aux contenants de lait, et là, elle est nommée au C. A. d’un organisme gouvernemental qui est là pour faire la promotion de [cette] consigne », dit-il.

Elle va avoir un conflit de loyauté.

Karel Ménard, du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets

Stéphanie Benoit devra se retirer des discussions sur la consigne au C. A. de Recyc-Québec, car elle sera en conflit d’intérêts, estime Marc-André Viau, directeur des relations gouvernementales d’Équiterre.

La présence d’entreprises à la table de Recyc-Québec est souhaitable pour que l’organisation atteigne ses objectifs, mais l’opposition « frontale » d’Agropur est un problème à ses yeux.

C’est Recyc-Québec qui met la réforme de la consigne en application, donc c’est sûr que si quelqu’un qui s’y oppose siège à son C. A., ce n’est pas la situation idéale.

Marc-André Viau, d’Équiterre

Opposition ouverte

L’élargissement de la consigne à tous les contenants de boisson de 100 millilitres à 2 litres, dont l’entrée en vigueur est maintenant prévue au printemps 2023⁠1, suscite l’opposition d’Agropur.

La coopérative laitière a lancé, avec le Conseil des industriels laitiers du Québec et le Conseil de la transformation alimentaire du Québec, la coalition « Mon lait dans le bac », qui fait notamment campagne sur les réseaux sociaux.

Elle affirme sur son site internet que l’élargissement de la consigne « entraînera des désagréments importants pour les consommateurs, [qui devront] entreposer et accumuler les contenants vides, les rapporter dans un point de dépôt officiel pouvant être situé jusqu’à 10 km de la maison ».

« Ils sont très actifs »

Le gouvernement « subit beaucoup de pression » de différents groupes, dont Agropur, pour retarder ou limiter l’élargissement de la consigne, s’inquiète Karel Ménard.

« Ils ont rencontré le cabinet du ministre [de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette], des députés, ils sont très, très actifs depuis deux mois », dit-il.

« On sait que notre production de déchets est problématique et que notre production de matières recyclées est problématique, ajoute Marc-André Viau. Il faut s’attaquer à ces problèmes-là. »

Stéphanie Benoit, à qui il n’a pas été possible de parler, mardi, « a été nommée à titre personnel et non comme représentante d’Agropur » et l’entreprise n’a joué « aucun rôle » dans cette nomination, a déclaré à La Presse sa porte-parole, Mylène Dupéré.

Le cabinet du ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette, s’est voulu rassurant, soulignant que « les grandes orientations » de la réforme de la consigne relèvent du gouvernement et non de Recyc-Québec et qu’elles étaient déjà établies avant la nomination de Mme Benoit.

Le profil de Mme Benoit « complète bien l’équipe du c. a. de Recyc-Québec, lequel cherchait notamment à obtenir la perspective du secteur agricole afin d’améliorer la gestion des matières résiduelles générées par ce secteur », a déclaré Rosalie Tremblay-Cloutier, l’attachée de presse du ministre, assurant que la nouvelle administratrice quittera les réunions si les sujets abordés la placent en conflit d’intérêts.

Recyc-Québec n’était pas en mesure de répondre aux questions de La Presse, mardi.

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En savoir plus
  • 5 milliards
    Nombre de contenants qui seront récupérés annuellement par la consigne élargie, contre 2,2 milliards actuellement
    Source : ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec