L’inventaire écologique réalisé pour Aéroports de Montréal comporte des lacunes, plaide un regroupement d’ornithologues amateurs.

Un regroupement de plus de 4000 citoyens appuyés par de nombreux scientifiques réclame une nouvelle étude « exhaustive » et « indépendante » avant qu’Aéroports de Montréal (ADM) ne donne le feu vert à un projet de construction d’une usine de fabrication de masques sur des terrains reconnus comme principal site d’observation d’oiseaux à Montréal.

Selon l’organisme Technoparc Oiseaux, la décision d’ADM de permettre la construction du site proposé est basée sur une étude environnementale qui comporte de nombreuses lacunes.

Situé dans le Technoparc Montréal, qui regroupe des entreprises des sciences de la vie, de l’aéronautique et des technologies, le terrain visé se trouve dans une zone de milieux naturels de 155 hectares appartenant au gouvernement fédéral.

IMAGE TIRÉE DU MÉMOIRE DE TECHNOPARC OISEAUX

Le site se trouve dans un secteur (encerclé) considéré comme l’un des derniers espaces verts non protégés dans l’île de Montréal.

Une filiale de Medicom y installerait une usine de production de toiles non tissées destinées à la fabrication de masques de protection individuelle.

Dans un mémoire d’une centaine de pages soumis dans le cadre d’une consultation publique de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada, Technoparc Oiseaux soutient que « la décision de permettre le développement du site proposé est basée sur des données incomplètes » et réclame qu’« une étude écologique exhaustive et indépendante soit menée ».

L’inventaire écologique réalisé par la firme Évolution Environnement pour le compte d’ADM indique qu’il n’y a ni milieu humide, ni cours d’eau, ni espèces ou habitats vulnérables, ni zone protégée sur le site.

PHOTO ANDREJ IVANOV, COLLABORATION SPÉCIALE

Milieu humide asséché dans le Technoparc Montréal

Technoparc Oiseaux soutient le contraire. « Tout au long de ce mémoire […] appuyé sur des données probantes de différentes sources scientifiques, nous avons clairement démontré que cet énoncé est faux », peut-on lire dans le document.

L’organisation a reçu l’appui de nombreux scientifiques réputés, dont David Bird et Rodger Titman, sommités en matière d’ornithologie au Canada.

Des relevés « insuffisants »

À l’aide d’observations sur le terrain et d’inventaires issus de banques de données reconnues, l’organisme a relevé la présence de 27 espèces de plantes indicatrices de milieux humides. De plus, 142 espèces d’oiseaux ont été répertoriées sur le site, dont au moins 10 espèces vulnérables et 33 espèces reconnues par Environnement Canada comme étant « prioritaires ».

PHOTO ANDREJ IVANOV, COLLABORATION SPÉCIALE

L’organisme Technoparc Oiseaux a répertorié 142 espèces d’oiseaux sur le site.

Selon Technoparc Oiseaux, « le problème le plus notable de l’étude d’Évolution Environnement faite pour Divco-ADM concerne la méthodologie et l’insuffisance des relevés. Nos préoccupations concernant la méthodologie sont nombreuses et variées », peut-on lire dans le mémoire intitulé Caractérisation écologique du Champ des monarques.

La plupart des méthodes ne sont pas décrites en détail, et le rapport tire ses conclusions de la base de probabilité d’occurrence douteuse plutôt que d’enquêtes rigoureuses de terrain.

Technoparc Oiseaux, dans un mémoire intitulé Caractérisation écologique du Champ des monarques

Malgré plusieurs demandes d’entrevue de La Presse, Évolution Environnement n’a pas voulu commenter le mémoire de Technoparc Oiseaux.

De son côté, ADM a été avare de commentaires. « Le mémoire sera analysé, comme tous les autres documents qui ont été soumis dans le cadre de la consultation publique », indique-t-on.

Technoparc Oiseaux demande également à ce que soit annulée une autorisation accordée à une autre filiale de Medicom pour un projet similaire à proximité.

Le champ des monarques

Selon l’organisme, on peut aussi observer chaque année sur le site une population importante de papillons monarques, espèce désignée en voie de disparition au Canada.

Surnommé le « champ des monarques », on y retrouve une plante, l’asclépiade, dont se nourrit exclusivement la chenille du monarque. Le déclin de ce papillon emblématique est largement attribuable à la perte d’habitats abritant des plants d’asclépiades.

PHOTO ANDREJ IVANOV, COLLABORATION SPÉCIALE

Plants d’asclépiades sur le site projeté pour la construction d’une usine de fabrication de masques

Or, selon Technoparc Oiseaux, « le recensement de l’asclépiade par Évolution Environnement n’a pas été systématique ; plutôt que de documenter la présence de l’espèce de façon conventionnelle par des quadrats ou une caractérisation ciblée du site, l’étude fait référence à “quelques asclépiades” présentes sur le site ».

Dans son mémoire, l’organisme indique que le nombre d’asclépiades recensées sur le site même est d’environ 450 et monte jusqu’à 1000 « si l’on inclut les limites immédiates du site ». Le nombre de plants dépasse les 4000 dans tout le secteur.

Lors de son passage, La Presse a pu observer plusieurs papillons monarques, et nous avons même photographié une chrysalide, sorte de cocon dans lequel la chenille achève sa transformation avant de devenir papillon.

PHOTO ANDREJ IVANOV, COLLABORATION SPÉCIALE

Chrysalide d’un papillon monarque

De mystérieux filets

Le 22 juin dernier, Technoparc Oiseaux a constaté que de nombreux arbres sur le site avaient été enveloppés dans des filets, « conformément aux techniques de prévention des nids ».

PHOTO ANDREJ IVANOV, COLLABORATION SPÉCIALE

Arbre qui était recouvert d’un filet empêchant la nidification à la fin de juin, selon Technoparc Oiseaux

Selon l’organisme, envelopper des arbres dans des filets pour empêcher la nidification à la fin de juin est illégal en vertu de la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs.

Les filets ont été retirés après que l’organisme eut informé Aéroports de Montréal.

Consultez le mémoire de Technoparc Oiseaux  Consultez l’étude écologique d’Évolution Environnement 

Clifford Lincoln s’en mêle

L’ancien ministre de l’Environnement du Québec Clifford Lincoln demande au premier ministre sortant du Canada, Justin Trudeau, de mettre fin à la destruction projetée de cet habitat irremplaçable. Dans une lettre transmise le 1er septembre, M. Lincoln dénonce « la construction d’une usine industrielle sur des terres écologiquement fragiles sous le contrôle du gouvernement fédéral, utilisant à cette fin d’importants fonds publics ». La missive indique que le champ des monarques fait partie intégrante de la biodiversité du dernier grand écosystème marécageux et riverain non protégé dans l’île de Montréal.