La Terre se réchauffe, les glaciers fondent, le niveau des océans augmente et la forêt amazonienne brûle : notre planète est en si mauvaise santé, et son avenir paraît si sombre, que certains commencent à perdre tout espoir et sont maintenant en proie à un phénomène relativement nouveau, « l’écoanxiété ».

« C’est un concept qui est beaucoup utilisé en Europe et dans d’autres pays, et nous on commence à le voir tranquillement, a dit la docteure Jalila Jbilou, qui est professeure agrégée à l’École de psychologie de l’Université de Moncton. C’est comme une conceptualisation d’une préoccupation qui existait déjà dans le milieu. On a vraiment un terme par rapport à ça. »

Le phénomène affecte surtout les jeunes, pour des raisons évidentes, mais aussi des adultes, au point de pouvoir devenir « pathologique » chez certains, a-t-elle ajouté.

« Ça touche tout le monde, a expliqué la docteure Jbilou. Il y a une vingtaine ou une trentaine d’années, c’était plus des gens qu’on identifiait comme des hyper engagés, des hyper orthodoxes de l’écologie et de l’environnement, et là on se rend compte en fait que, dans cette masse de “revendicateurs politiques”, il y a des gens qui sont vraiment anxieux et préoccupés et à la limite terrorisés par ce qui va arriver. »

On peut facilement penser à une anxiété et un désespoir extrême, poursuit-elle : l’écologie peut n’être qu’une première étape, et après tout s’effondre et ça a un effet beaucoup plus grand.

« L’anxiété c’est une préoccupation pour le futur, et ça c’est le grand point qui est avancé surtout par les gens qui se préoccupent de l’écologie : oui, tout de suite, les choses vont plus ou moins bien, mais le problème on l’a devant nous, il arrive et il s’en vient », a-t-elle dit.

Pas nouveau

Ce n’est pourtant pas d’hier que l’humain a un impact sur son environnement.

S’il n’y a aucun doute que les changements climatiques et la destruction de l’environnement constatés aujourd’hui soient de grande ampleur, et qu’ils aient tendance à s’accélérer, une vaste étude publiée récemment par le prestigieux magazine Science démontrait que l’humain a commencé à modifier son environnement il y a environ trois ou quatre mille ans, soit beaucoup plus tôt qu’on ne le croyait jusqu’à présent.

L’étude ArchaeoGLOBE, qui a mis à contribution 255 chercheurs à travers le monde, révèle que c’est à ce moment que les humains ont commencé à domestiquer les animaux et les plantes. Les premiers agriculteurs et éleveurs ont alors notamment détruit les forêts pour faire pousser leurs récoltes ou créer des pâturages. Environ 40 % de la surface terrestre de la planète était touchée il y a quatre mille ans.

« Les changements cumulatifs à long terme provoqués par les premiers producteurs de nourriture sont plus importants que plusieurs ne le réalisent », a indiqué dans un communiqué une des auteures de l’étude, Andrea Kay de l’Université du Queensland.

Ces données pourraient permettre aux chercheurs d’examiner quelles solutions avaient été adoptées par les civilisations anciennes pour mitiger les effets négatifs de la déforestation, de la rareté de la ressource en eau, et autres.

Les chercheurs croient que ces nouvelles données pourraient aussi permettre de mieux prédire le futur impact humain sur l’environnement, puisque des prédictions de qualité comparent le présent au passé et que le portrait actuel du passé sous-estime cet impact.

Responsabilité collective

Mme Jbilou se dit frappée par l’exemple de Greta Thunberg, la jeune militante environnementale suédoise qui est notamment à l’origine du mouvement des vendredis sans école qui a mobilisé des centaines de milliers d’étudiants à travers le monde.

« Parfois les médias mettent une pléthore d’informations que probablement certaines personnes ne sont pas en mesure de processer au fond d’elles-mêmes pour temporiser, et du coup ça peut devenir anxiogène, a-t-elle dit. La responsabilité collective des médias, des parents, des institutions est d’outiller les jeunes pour que ce mouvement de revendications et d’actions politiques et sociales ne devienne pas une zone d’angoisse et de stress. »

L’important, ajoute-t-elle, est de reconnaître qu’il y a dans la vie des choses sur lesquelles on peut agir seuls, des choses sur lesquelles on peut agir collectivement et des choses face auxquelles nous sommes impuissants, « et c’est l’acceptation de ces trois aspects qui fait qu’on arrive à avoir une vie équilibrée ».

« Si on se concentre sur ce qu’on ne peut pas changer et qu’on en fait son cheval de bataille, c’est difficile d’avancer », a-t-elle dit.

Il est aussi crucial de remettre l’écoanxiété dans le contexte de « la vie au complet, dans toutes les sphères de vie, et notamment les sphères qui vont bien », poursuit Mme Jbilou.

« Il faut travailler sur les pensées sur ce qui ne va pas. Souvent on regarde les problèmes, mais on ne regarde pas les solutions, tout ce qui se passe de bien dans sa vie, a-t-elle expliqué. C’est un peu de déplacer la pensée par rapport à l’écologie seulement. »

« Le deuxième point, c’est l’éducation, a conclu, Mme Jbilou. “OK, tu penses que ça ne va pas, mais tu peux y contribuer pour améliorer”. On peut s’engager par rapport à l’écologie à tous les niveaux. C’est de transformer sa source d’anxiété en une source de force régénératrice : il devient maître de la pensée négative et il commence à agir dessus et il peut même éduquer d’autres personnes, donc ça transforme son inquiétude en valorisation d’action. »