Depuis deux ans, des sacs de plastique trouvent une seconde vie, transformés en matelas pour les sans-abri. La cinquantaine de couchettes tissées par un groupe de quatre dames de Lachine a permis de sauver de l’enfouissement près de 25 000 sacs.

Elles sont quatre dames âgées dans la salle commune d’une église de l’ouest de l’île. L’une coupe et plie des sacs de plastique. Sa voisine les noue les uns aux autres, formant des guirlandes qu’elle glisse autour de son cou. À quelques pas, les deux autres femmes entrelacent les bandes de sacs sur un cadre de bois qui ressemble à un métier à tisser. Les sacs ainsi noués forment une paillasse.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

La cinquantaine de couchettes tissées par un groupe de quatre dames de Lachine a permis de sauver de l’enfouissement près de 25 000 sacs.

L’objectif : récupérer des déchets et aider les plus démunis.

« Je veux un meilleur monde pour mes enfants et mes petits-enfants ! Et ne pas laisser ces sacs dans l’environnement », déclare Marion Golden, maître d’œuvre de cet atelier temporaire.

Ses amies la taquinent. Elles la présentent comme la patronne. Mme Golden, 77 ans, explique, sans lâcher son ouvrage, que cette idée lui est venue en regardant une vidéo sur internet. Rapidement, ses proches l’ont aidée à ramasser des sacs de lait, sa matière première. Elle a ensuite construit un cadre en bois sur lequel elle attache en quadrillage les bandes de plastique.

Ses deux principaux fournisseurs sont l’école primaire Birchwood, à Saint-Lazare, et l’école secondaire Lakeside Academy, située à deux pas de l’église. Les élèves participent au branle-bas de combat. Ils amassent les sacs multicolores qui emballent les poches de lait et les apportent à l’Église Unie Summerlea.

La fabrication d’un matelas sauve 460 sacs du dépotoir. Sa confection exige environ quatre heures de travail aux quatre dames qui se réunissent souvent après la messe et travaillent d’arrache-pied. « On arrête quand il n’y a plus de sacs », scandent en chœur Mme Golden et sa coéquipière Undeg Edwards.

Le résultat est impressionnant : un matelas de sol de 5 cm d’épaisseur assez large pour coucher une personne. Une ganse facilite le transport du lit de fortune.

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Le résultat : un matelas de sol de 5 cm d’épaisseur assez large pour coucher une personne.

Rien n’est laissé au hasard ; elles confectionnent aussi des coussins. Les petits carrés de plastique sont plus faciles à transporter qu’un matelas.

Dormir dans la rue

Pour distribuer leurs matelas, les dames ont tenté de joindre les divers refuges de la métropole, mais elles se sont heurtées à une réponse négative. Les centres d’hébergement pour sans-abri préfèrent ne pas encourager les nuits à l’extérieur.

Un enjeu demeure : celui de l’accès à un lit pour ceux qui ont un animal. À Montréal, la plupart des refuges interdisent les animaux de compagnie. « Avec nos matelas, ils ont de la place pour s’étendre dehors avec leur animal », se félicite Mme Edwards.

En novembre 2018, Christian, un sans-abri, a vu son chien mourir dans ses bras alors qu’il passait une nuit glaciale à l’extérieur. La triste histoire a ravivé l’espoir des quatre dames, confirmant l’importance de leur travail. Elles ont alors fourni une quinzaine de matelas à ceux qui dorment sous le pont Jacques-Cartier.

Aujourd’hui, huit matelas attendent toujours de trouver un propriétaire.

Plus pour la planète

L’Église Unie Summerlea récupère plusieurs matières qui ne sont pas ramassées par la Ville. Dans un local adjacent à la salle commune, un débarras déborde de styromousse apporté par les citoyens. Plus tard, ces déchets seront acheminés dans un écocentre. L’église tente de faire le pont entre les citoyens et les écocentres. Une tâche qui devient de plus en plus difficile depuis la fermeture de deux d’entre eux, ceux de Saint-Laurent et de LaSalle, qui ont cessé leurs activités récemment. L’église ramasse aussi les attaches des sacs de pain, les goupilles de cannettes en métal, les timbres, les soutiens-gorges et les lunettes. Le tout est envoyé à divers organismes de bienfaisance.