Il existe « peu de preuves solides de la valeur ajoutée de la technologie en éducation » et le simple fait d’avoir un téléphone intelligent à sa portée a un effet négatif sur l’apprentissage des élèves dans 14 pays étudiés.

Ce qu’il faut savoir

  • La pandémie a accéléré l’introduction d’ordinateurs et de logiciels à l’école.
  • Les élèves sont de plus en plus nombreux à apporter leur téléphone en classe.
  • En mai, le gouvernement caquiste a bloqué une motion du Parti québécois demandant d’encadrer l’utilisation du téléphone au primaire et au secondaire.
  • Selon l’UNESCO, l’introduction de technologies en classe se fait de façon imprudente, sans évaluation suffisante de leurs bienfaits réels.

C’est ce que conclut un rapport diffusé mardi par l’UNESCO, qui s’est penchée sur l’utilisation des technologies en classe.

« La simple proximité d’un appareil mobile distrait les élèves », et « pourtant, moins d’un pays sur cinq les bannit en classe par l’entremise de lois ou de réglementations », peut-on lire dans le Rapport mondial de suivi sur l’éducation de 20231.

De façon générale, l’étude se désole du manque de précautions prises avant l’introduction de nouvelles technologies.

La technologie évolue plus rapidement que la vitesse à laquelle des évaluations peuvent être faites. En éducation, les produits changent en moyenne tous les 36 mois.

Extrait du rapport de l’UNESCO

En plus de « la pression sur les budgets nationaux » que suppose l’achat de tout l’équipement pour l’ensemble des élèves – ordinateurs, logiciels, etc. –, l’UNESCO est préoccupée par les coûts secondaires de tout cela.

D’abord pour le bien-être des enfants. « Aux États-Unis, souligne le rapport, les enfants âgés de 11 à 14 ans passent en moyenne neuf heures par jour devant un écran. »

Autre problème : l’enjeu de la vie privée des enfants, dont les données restent mal protégées. « Seul un pays sur six garantit actuellement la confidentialité des données par la loi. »

Et c’est sans compter toute la pollution qu’occasionnent ces outils, dont la durée de vie est souvent limitée.

Pas un refus du progrès pour autant

Est-ce à dire que l’UNESCO refuse la technologie et prône le retour aux sources, au manuel scolaire en papier, au cahier Canada et au crayon à mine ?

La question n’est pas de « refuser le progrès, il faut avancer avec le progrès. Mais pas à l’aveugle », répond en entrevue téléphonique Patrick Montjouridès, l’un des auteurs de l’étude.

Pour certains apprentissages qui nécessitent un entraînement particulier, certains outils présentent des avantages certains, ajoute-t-il. Ceux, par exemple, qui permettent aux enfants d’apprendre les tables de multiplication de façon très ludique.

Mais ce qui inquiète d’abord les auteurs, c’est que les évaluations des produits utilisés en classe sont souvent financées par les fabricants eux-mêmes, plutôt que par des experts indépendants.

L’étude relève le fait que le cellulaire est une source de distraction pour les jeunes, que des pays l’ont banni des classes, mais il ne va pas jusqu’à recommander directement son interdiction, que ce soit par les gouvernements ou par les autorités scolaires. Serait-ce ou pas une bonne idée que la question soit réglée par les gouvernements, par celui du Québec, en l’occurrence ?

M. Montjouridès répond d’abord que l’Ontario l’a fait (en France, le téléphone est même interdit dans les cours de récréation) et que sauf à des fins strictement pédagogiques, « le téléphone n’a pas sa place en classe ».

Une étude menée auprès de 14 pays conclut qu’un jeune qui reçoit une notification met 20 minutes à se reconcentrer.

Patrick Montjouridès, l’un des auteurs de l’étude de l’UNESCO

Mais il ne faut pas se limiter à l’interdire, « il faut aussi conscientiser les élèves » à ses conséquences néfastes, fait observer M. Montjouridès.

Au Québec, au printemps, la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ) a révélé que 92,4 % de ses membres étaient d’accord avec l’interdiction des téléphones en classe, à moins qu’ils soient utilisés à des fins pédagogiques.

Une question à creuser, mais une évolution à embrasser

Professeur émérite de la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, Roch Chouinard, qui a aussi enseigné à des enfants en adaptation scolaire, ne cache pas qu’il a lui-même beaucoup pesté contre les cellulaires, beaucoup joué à la police. Au point, à l’université, de chercher à savoir s’il pouvait brouiller les ondes pour qu’ils ne puissent pas être utilisés (il n’y a pas été autorisé !).

Son expérience l’amène à croire qu’à tout le moins, un enseignant ou un professeur « doit dire d’emblée aux étudiants, dès le premier cours, que le cellulaire ne sera pas autorisé et les informer des conséquences s’ils l’utilisent ».

L’interdiction devrait-elle venir de plus haut, des centres de services scolaires, des gouvernements eux-mêmes ? De façon générale, par rapport à toute la technologie en classe, « une réflexion en profondeur s’impose », répond M. Chouinard.

Comme le rapport de l’UNESCO était soumis à un strict embargo jusqu’ici, on n’a fait connaître ses principales conclusions que verbalement à M. Chouinard, qui entend bien le lire, d’autant que le résumé qu’on lui en a fait l’a fait sourciller à certains égards.

C’est quand même extraordinaire que l’on ait des outils qui nous permettent d’avoir tout le savoir humain à portée de main. Le ministère de l’Éducation ne pourrait pas se détacher de tout cela.

Roch Chouinard, professeur émérite de la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal

Comme l’UNESCO, M. Chouinard pense qu’il faut assurément bien évaluer les avantages et les inconvénients possibles de l’introduction de matériel informatique en classe. Mais pour en avoir consulté plusieurs, il croit qu’il existe bel et bien des études très valables sur le sujet.

Mais indépendantes ? M. Chouinard estime que si tout un pan de connaissances dans un domaine n’était couvert que par des études non indépendantes, une vigilance accrue s’imposerait. Sur ces questions, il dit que ce n’est pas le cas, ajoutant au passage qu’un financement extérieur ne signifie pas non plus qu’une étude est à jeter aux orties (les spécialistes étant tenus à une éthique de recherche).

Au Québec, du moins, M. Chouinard doute que les technologies soient aussi massivement utilisées en classe que ce que redoute l’UNESCO, ne serait-ce que parce que les syndicats y sont généralement très réfractaires, fait-il observer.

Notons cependant que des écoles privées n’utilisent presque plus de manuels en papier et que l’achat d’ordinateurs dans ces écoles est souvent obligatoire à l’inscription.

1. Le rapport, dont la version intégrale n’est publiée qu’en anglais, a pour titre complet 2023 GEM report : Technology in Education – A tool on whose terms ? (Rapport GEM 2023 : Les technologies dans l’éducation – Qui est aux commandes ?).

Lisez le rapport (en anglais)