Ils ont 14 ans, parfois 13. Et ils ne vont plus à l’école. Depuis la pandémie, les jeunes décrocheurs qui fréquentent l’organisme La Maison de Jonathan, à Longueuil, sont de plus en plus… jeunes. La Presse est allée à leur rencontre.

Raphaël-Antoine, 14 ans, est penché sur le moteur d’une Toyota Supra 1995 miniature.

Tuque vissée sur la tête, l’adolescent manipule les petites pièces avec délicatesse. « On est en train de finaliser le moteur », lance-t-il fièrement.

Prochaine étape : assembler le radiateur.

C’est un mercredi en matinée. Raphaël-Antoine n’est pas à l’école, contrairement à la plupart des jeunes de son âge.

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Raphaël-Antoine, 14 ans, participe à un atelier de modèle réduit.

Il participe à un atelier de modèle réduit à La Maison de Jonathan, qui œuvre auprès des jeunes en situation de décrochage scolaire, à Longueuil.

Chaque année, l’organisme accueille jusqu’à 30 adolescents qui ont abandonné l’école ou songent à le faire, dans le cadre de son programme Passage. Sa mission : développer leur estime de soi et les aider à se trouver un projet de vie. Pour ultimement retourner sur les bancs d’école.

« L’école, c’était vraiment infernal », raconte Raphaël-Antoine. L’an dernier, il a atterri à La Maison de Jonathan. À l’âge de 13 ans.

L’adolescent a tellement aimé son expérience qu’il a souhaité y revenir cette année. « Chez moi, j’ai zéro motivation. Je viens ici, et j’ai envie de tout faire », confie-t-il.

Ce qui frappe ici, c’est l’âge de la clientèle. Les jeunes décrocheurs qui fréquentent l’organisme sont de plus en plus… jeunes. Avant la pandémie, la moyenne d’âge tournait autour de 15-16 ans.

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Isabelle Lord, directrice clinique de La Maison de Jonathan

« Maintenant, on a plusieurs jeunes de 14 ans, et quelques-uns de 13 ans », explique Isabelle Lord, directrice clinique de La Maison de Jonathan.

Les places se remplissent plus vite aussi, souligne Mme Lord.

Selon elle, c’est préoccupant. Et c’est peut-être le signe de « quelque chose qui ne va pas ».

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Les jeunes sont ici de deux à quatre jours par semaine.

Qui sont ces jeunes ?

Ici, il n’y a pas de cloche, pas de casiers. Au programme : des ateliers artistiques et manuels variés, entrecoupés de leçons de français et de mathématiques.

Les jeunes sont ici de deux à quatre jours par semaine. Il y a Nicolas, 15 ans, affairé à construire une fusée en carton. Et William, 14 ans, qui fait des exercices de conjugaison.

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L’organisme La Maison de Jonathan œuvre auprès des jeunes décrocheurs. Depuis la pandémie, l’âge moyen de sa clientèle a baissé.

« William s’implique beaucoup. Il fait du bénévolat et il cuisine. C’est tout le temps bon, ce qu’il fait ! », s’exclame Isabelle Lord.

Les raisons qui ont poussé ces jeunes à décrocher sont multiples : anxiété, problèmes familiaux, difficultés scolaires, manque de motivation…

Sans oublier les impacts de la pandémie.

Nos plus jeunes, ce sont ceux qui ont fait leur 6e année du primaire à la maison. Ils arrivent au secondaire et ils n’ont pas leurs acquis.

Isabelle Lord, directrice clinique de La Maison de Jonathan

Diane Laforte, qui anime des ateliers de français, remarque elle aussi les conséquences de la COVID-19 : « Il y a un retard qui s’est créé et qui va perdurer. »

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Loïck, 16 ans, et Diane Laforte, une bénévole

La bénévole est au milieu d’une leçon sur les homonymes avec Loïck, 16 ans.

Quand la pandémie a forcé la fermeture des écoles, l’adolescent était en première secondaire. « Je n’avais aucune motivation et j’avais beaucoup de difficulté en français », dit-il.

L’ado est tout de même monté en deuxième secondaire. Et l’écart avec ses camarades de classe s’est creusé.

Démotivé, Loïck a lâché l’école cette année pour travailler. Il s’est trouvé un emploi à temps plein dans un magasin de chaussures, à Saint-Bruno.

C’est une nouvelle réalité avec laquelle La Maison de Jonathan doit composer. Sa clientèle travaille de plus en plus. Et de plus en plus jeune.

« Parfois, j’ai l’impression que ça prend le dessus. Les jeunes vont aller là où ils tirent un bénéfice concret. Une paye, c’est concret », soutient Mme Lord.

Une mission essentielle

Un mois après son arrivée ici, Loïck s’est fixé un objectif : obtenir son diplôme d’études secondaires pour devenir débardeur au port de Montréal. Comme son beau-père.

Pour la première fois depuis longtemps, l’adolescent est motivé. Il s’est même découvert un talent pour le calcul mental… !

« Je sais l’importance de la mission et de ce que ça peut faire dans la vie d’un jeune », confie l’éducatrice Mélina Rousseau.

La jeune femme parle d’expérience. Il y a dix ans, elle était à leur place.

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Mélina Rousseau, éducatrice

Quand je suis sortie d’ici, je ne voulais rien savoir de l’école. Mais je savais que je pouvais faire quelque chose de ma vie.

Mélina Rousseau, éducatrice

Après un détour sur le marché du travail, Mélina a complété sa formation générale pour adultes. Et elle est allée à l’université.

Aujourd’hui, elle veut redonner au suivant. « Je boucle la boucle. C’est ce qui me donne la motivation de me lever chaque matin. »

Règlementation au Québec

Au Québec, un employeur doit s’assurer que les heures de travail d’un enfant obligé de fréquenter l’école ne l’empêchent pas d’y être pendant les heures de classe. Il doit aussi lui permettre d’être chez lui entre 23 h et 6 h. Des exceptions s’appliquent si l’enfant n’est plus tenu de fréquenter l’école ou dans diverses circonstances ou conditions.