Quelque 2000 nouveaux étudiants entreprennent chaque année un baccalauréat en psychologie dans une université québécoise. Moins d’un sur six aura accès au doctorat, pourtant obligatoire pour avoir le droit de pratiquer comme psychologue. En temps de pénurie, il est inacceptable que tant d’étudiants brillants se heurtent à un mur et se voient ainsi refuser le titre de psychologue, plaident des figures de proue du milieu.

À McGill, en 2021, 460 étudiants étaient inscrits au baccalauréat en psychologie. Au doctorat, ils étaient 10. À l’Université Concordia, en 2022-2023, au 1er cycle, la nouvelle cohorte est composée d’un peu plus de 500 étudiants. En 2021-2022, 13 étudiants ont reçu un doctorat de cet établissement. À l’Université de Montréal (UdeM), 60 étudiants ont pu s’inscrire au doctorat en 2022, alors qu’ils sont environ 300 par année à être inscrits au baccalauréat. L’Université du Québec à Montréal (UQAM) décerne le plus grand nombre de doctorats (57 en moyenne émis par année).

Pourquoi les universités admettent-elles tant d’étudiants au baccalauréat en sachant qu’elles ne pourront pas leur offrir l’accès au doctorat, alors que le dossier scolaire de tant de ceux-là leur permet parfaitement d’y aspirer et que le titre de psychologue l’exige ?

« C’est une excellente question », dit Hélène David, qui a été professeure en psychologie à l’Université de Montréal, puis vice-rectrice et ministre de l’Enseignement supérieur.

Elle explique que le problème vient du mode de financement des universités : plus il y a d’étudiants, plus il est élevé. Ceux qui sont inscrits en psychologie — et qui ont besoin du doctorat pour obtenir le droit de pratique – se retrouvent ainsi dans une compétition folle. Une « rat race », en ses mots, très délétère, qui affecte leur santé mentale.

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Hélène David, ancienne professeure en psychologie à l’Université de Montréal

Il faut des moyennes de malade [pour être admis au doctorat]. Si tu n’as pas des A partout, tu pleures ta vie.

Hélène David, ancienne professeure en psychologie à l’UdeM

Elle évoque ici le cas de cette ancienne étudiante en psychologie qui a fini par être admise en médecine. « Pour une même durée d’études, tu vas être médecin, tu vas être plus riche et tu auras plus de pouvoir dans la société ! », se souvient-elle lui avoir dit.

Étudiants trop nombreux, professeurs manquants

Le problème de fond ? Depuis 2006, le doctorat est obligatoire pour devenir psychologue au Québec. Or, cette décision n’est pas allée de pair avec l’ajout de professeurs dans les universités. Résultat : ils sont assez nombreux pour donner les cours de baccalauréat dans de grands auditoriums, mais pas assez pour assurer le suivi long et individualisé d’étudiants qu’exige une thèse de doctorat.

Quand l’obligation du doctorat a été introduite, Hélène David trouvait que c’était une bonne idée.

Elle regrette que cela se soit traduit par un tel « entonnoir d’admissions » et par des études qui n’en finissent plus de finir, illustre Hélène David. Elle-même a obtenu son titre de psychologue à 21 ans, avec des exigences autrement moins élevées.

« Je voyais ça comme une grosse maîtrise », explique-t-elle, disant avoir alors cru que le doctorat allait permettre aux étudiants de faire plus de stages, et non pas les amener à faire plus de recherche.

Rose-Marie Charest était présidente de l’Ordre des psychologues du Québec quand a été introduite l’exigence du doctorat pour être psychologue. L’idée, dit-elle, était justement de s’assurer que les jeunes aient plus de formation pratique, et non pas que leur parcours soit indûment rallongé par des exigences en recherche.

« Il faut trouver le moyen de former davantage de psychologues, dit-elle aujourd’hui. Les besoins des gens sont plus grands de nos jours, et la société ne peut pas se permettre d’avoir des pénuries aussi importantes. »

Pour l’heure, les notes exigées sont toujours de plus en plus hautes et les expériences connexes en recherche, en bénévolat, etc. vont sans cesse en croissant, explique Stéphanie Juneau, vice-présidente de la Fédération interuniversitaire des doctorant. e. s en psychologie, qui décrit l’accès au doctorat comme étant très « anxiogène ».

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Stéphanie Juneau, vice-présidente de la Fédération interuniversitaire des doctorant. e. s en psychologie

Il faut trouver un professeur et ça peut être la chance qui détermine ceux qui seront acceptés. Souvent, il n’y a pas de place.

Stéphanie Juneau, vice-présidente de la Fédération interuniversitaire des doctorant. e. s en psychologie

L’Association des étudiantes et étudiants en psychologie de l’Université de Montréal (AGEEPUM) note pour sa part avoir été sidérée que le plan d’action en santé mentale, dévoilé l’an dernier, ne fasse aucunement mention de la difficulté d’accéder au doctorat, qui est pourtant au cœur du problème.

Avant de s’inscrire, les jeunes savent qu’il leur faudra aller jusqu’au doctorat pour devenir psychologues, note l’AGEEPUM. Mais ce n’est qu’une fois admis qu’ils réalisent que même un bulletin parfait risque de ne pas suffire, comme le leur signale leur département lors de séances d’information, une fois leur scolarité entreprise. On leur demande alors de songer à un plan B, de se diriger par exemple en psychoéducation, en criminologie, etc.

De longues études

Le premier ministre du Québec, François Legault, semble ignorer tout cela. Pendant la campagne électorale, il avait déclaré que pour former un psychologue, « ça prend trois ans d’université ».

En réalité, les jeunes n’arrivent au terme de leurs études qu’au bout de huit à neuf ans, note Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues.

« Le programme universitaire pourrait-il se faire plus rapidement ? Peut-être », dit-elle, assurant que l’Ordre des psychologues « n’est pas fermé à l’idée d’essayer toute solution qui augmente l’accès [à un psychologue]. »

Mais elle souligne que pour ces étudiants qui sont admis dans les facultés de psychologie, tout n’est pas non plus perdu. « Faire un baccalauréat en psychologie donne une culture fort intéressante », fait valoir Mme Grou.

Les universités qui nous ont transmis leurs données ont d’ailleurs spécifié qu’il serait dangereux de faire un lien entre la pénurie de main-d’œuvre et la réduction marquée du nombre d’étudiants entre le premier cycle et le doctorat. Tous n’aspirent pas à être psychologues en s’inscrivant dans ce domaine, font-elles valoir.

C’est la raison pour laquelle on n’a pris en compte que les étudiants inscrits au baccalauréat. À l’Université de Montréal, si on incluait tous ceux qui sont inscrits au département de psychologie (mineures, majeures, certificats, baccalauréats, etc.) à l’automne 2021, à temps plein ou à temps partiel, le chiffre monte à 2143 étudiants.

Et au doctorat, pour les rares places disponibles, la compétition provient aussi d’étudiants d’autres universités.

Si certains jeunes prennent conscience au fil de leurs études que la profession de psychologue n’est pas pour eux, la presque totalité y aspire, relève Hélène David.

« Inquiets pour 2023 »

Sophie Parent, vice-doyenne à la faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal, affirme pour sa part que son institution est consciente « qu’il serait souhaitable qu’on forme plus de psychologues ». (Idem pour l’Université Laval, qui nous indique « chercher des solutions pour augmenter le nombre de personnes admises au doctorat ».)

Mais il manque de professeurs pour assurer davantage de direction de thèse, explique Mme Parent. Chaque professeur du département de l’Université de Montréal suit déjà entre cinq et neuf étudiants au doctorat — et « on est très inquiets en 2023 » en raison du boycottage annoncé, explique-t-elle.

Des centaines de psychologues et de neuropsychologues du réseau québécois menacent en effet de ne plus prendre de stagiaires et d’internes l’an prochain.

Ils calculent qu’un psychologue du secteur public en Ontario gagne 57 % de plus que son homologue du Québec. Selon la Coalition des psychologues du réseau public québécois, ces conditions de travail contribuent au premier plan aux pénuries, les psychologues étant nettement plus attirés par la pratique privée, où les salaires sont autrement plus élevés.

En savoir plus
  • 900
    Nombre de psychologues qu’il manquera dans le réseau de la santé en 2023
    Source : Coalition des psychologues du réseau public québécois (CPRPQ)
    65 028 $ (35 h/semaine)
    Salaire d’entrée des psychologues du secteur public après l’obtention d’un doctorat
    Source : Coalition des psychologues du réseau public québécois (CPRPQ)
  • 700 heures
    Durée des stages durant la formation
    Source : Ordre des psychologues du Québec
    1600 heures
    Durée de l’internat obligatoire pendant la formation
    Source : Ordre des psychologues du Québec