La pandémie et les retards scolaires – constatés aussi bien par le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, que par les syndicats d’enseignants – n’y changent rien : les redoublements continuent d’être exceptionnels dans les écoles qui, échec ou pas, font passer les enfants au niveau supérieur.

La Presse a demandé aux différents centres de services scolaires de fournir leurs données sur les redoublements et l’aiguille n’a bougé qu’à de rares endroits.

Au centre de services scolaire de Montréal, si l’on voit une bonne hausse du taux d’élèves ayant redoublé au 3e cycle (0,6 % en 2021 comparativement à 0,3 % en 2018), en moyenne, pour le primaire au complet, c’est stable.

Au centre de services scolaire de la Côte-du-Sud, dans la région de Montmagny, on enregistre 127 redoublements en 2021-2022, un record depuis 2015-2016, où l’on en comptait 88. (La population au primaire tourne pourtant autour de 4100 élèves d’année en année, pendant cette période.)

Au centre de services scolaire de la Capitale, à Québec, une légère hausse récente a été constatée. La pandémie y a peut-être contribué, avance Marie-Claude Lavoie, conseillère en communication, bien qu’il soit « impossible d’expliquer avec certitude les facteurs » qui sont en cause.

Quoi qu’il en soit, indique Marie-Claude Lavoie, « le redoublement demeure une mesure d’exception ».

Les difficultés scolaires de nombreux enfants, privés d’école en présentiel à de nombreuses reprises depuis mars 2020, sont tangibles. Par exemple, les résultats au test de lecture de la 4e année du primaire du ministère de l’Éducation du Québec ont baissé de 11 % entre 2019 et 2021 – soit avant, puis pendant la pandémie – , comme rapporté au dernier congrès de l’ACFAS.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRECHETTE, LA PRESSE

Avec la grande réforme de l’éducation implantée en 2000, le redoublement a été officiellement interdit, sauf pour de très rares exceptions.

« Une mesure d’exception »

Au Centre de services scolaire de Laval, en réponse à nos questions, on insiste comme ailleurs sur le caractère exceptionnel des redoublements. De fait, à Laval, le taux d’élèves du primaire ayant redoublé (0,5 % en 2020-2021) est même en recul par rapport aux années prépandémiques (1 % des enfants en 2017-2018, par exemple).

Ces derniers mois, Dominique Dubois s’est battue pour que son fils, qui a d'importantes difficultés scolaires, redouble sa 3e année comme le recommandaient son enseignante et son orthopédagogue. En août, elle a reçu le rapport de Claude Provencher, protecteur de l’élève du centre de services scolaire de Laval, où elle avait déposé une plainte.

M. Provencher écrit : « Je n’arrive pas à comprendre pourquoi on n’a pas permis au comité de révision d’avoir le bénéfice d’entendre les deux professionnelles de l’enseignement qui connaissent le mieux [l’enfant] et qui recommandent son redoublement. »

Le comité de révision n’a pu entendre que le directeur par intérim, et M. Provencher se désole que l’opinion de l’orthopédagogue et celle de l’enseignante « chevronnée d’environ 25 ans d’expérience » aient été ignorées.

Cette plainte est bien fondée, car je ne suis pas convaincu que la décision ait été rendue sur la base de tout l’éclairage qui était nécessaire et que, si tel avait été le cas, la décision aurait été la même.

Claude Provencher, protecteur de l’élève du centre de services scolaire de Laval

Le Protecteur de l’élève n’ayant pas de pouvoir décisionnel, l’enfant se retrouve néanmoins en 4e année. « On n’a pas beaucoup d’espoir », dit Mme Dubois, dénonçant le fait que les parents, comme l’enseignante et l’orthopédagogue, n’aient pas voix au chapitre.

En entrevue à la station QUB la semaine dernière, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a indiqué qu’à son avis, l’important, « c’est de partir du besoin de l’élève ». « Quand un jeune peut réussir avec de l’aide, faisons-le », a-t-il dit, ajoutant ne pas pour autant être fermé à l’idée du redoublement quand c’est la meilleure solution pour un jeune.

Un virage à 180 degrés

Au Québec, jusque dans les années 1990, le redoublement était si commun que, selon le ministère de l’Éducation, cette mesure coûtait annuellement entre 350 et 500 millions. En 1993-1994, toujours selon les données de l’époque du ministère de l’Éducation, 16 % des élèves accusaient un retard (essentiellement consécutif à un redoublement).

Avec la grande réforme de l’éducation implantée en 2000, le redoublement a été officiellement interdit, sauf pour de très rares exceptions. Il a donc complètement disparu du paysage, avant d’être réintroduit en 2008, timidement et de façon exceptionnelle.

Les difficultés scolaires des jeunes n’ont pas disparu pour autant, fait observer Brigitte Bilodeau, vice-présidente aux dossiers pédagogiques et professionnels de la Fédération des syndicats de l’enseignement.

Il n’est pas rare « de voir un enfant arriver en 3e année sans savoir lire », souligne-t-elle.

« Les parents doivent souvent se battre avec les directions d’école » s’ils pensent que leur enfant serait mieux servi en redoublant.

PHOTO FOURNIE PAR LA FÉDÉRATION DES SYNDICATS DE L’ENSEIGNEMENT

Brigitte Bilodeau

Depuis la réforme, il y a ce dogme selon lequel le redoublement n’est pas une mesure efficace, que c’est à éviter. La recherche ne démontre pas hors de tout doute son efficacité, mais en même temps, ça fonctionne dans certains cas.

Brigitte Bilodeau, vice-présidente aux dossiers pédagogiques et professionnels de la Fédération des syndicats de l’enseignement

Ce dogme, dit-elle, laisse sous-entendre que d’envoyer l’enfant au niveau supérieur donne de meilleurs résultats, ce qui est loin d’être nécessairement le cas. Surtout, enchaîne Mme Bilodeau, quand l’élève est promu sans les services nécessaires. Au mieux, dit-elle, il aura tout au plus « quatre ou cinq périodes d’orthopédagogie, par exemple », et tout le reste du temps, il se retrouvera dans une classe ordinaire sans en avoir les capacités. Et l’enseignante aura devant elle des élèves dont le niveau va du tout au tout.

Des études divergentes

Que faire quand un élève est en échec ? Le redoublement est-il préférable ? En France, en 2017, le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquier le réintroduisait. « Il y a quelque chose d’absurde à laisser passer de classe en classe des élèves accumulant les retards. […] Autoriser à nouveau le redoublement, ce n’est pas un virage absolu, mais c’est une inflexion importante. »

En Belgique, particulièrement dans la partie francophone, les redoublements sont monnaie courante. Hugues Drealants, sociologue à l’Université de Louvain-La-Neuve, a résumé ainsi en 2019 le fruit de ses recherches sur les ondes de la chaîne RTL. « Le redoublement doit toujours être une solution de dernier recours. […] Ce n’est pas la panacée, mais ce n’est pas non plus quelque chose qu’il faut diaboliser. Le droit à la différenciation du temps pour apprendre doit être autorisé. »

Ici comme en Europe, les études n’apportent pas de réponses claires et elles vont dans toutes les directions. Certaines études concluent que le redoublement donne un coup de pouce à l’élève. D’autres, au contraire, concluent qu’il est à bannir parce que trop nocif pour l’estime de soi et qu’il peut mener au décrochage.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

En savoir plus
  • Redoublement exceptionnel
    « À l’enseignement primaire et à la fin de la première année du secondaire, le directeur de l’école peut, exceptionnellement, dans l’intérêt d’un élève, lui permettre de rester une seconde année dans la même classe s’il appert de son plan d’intervention que cette mesure est celle qui, parmi celles possibles, est davantage susceptible de faciliter son cheminement scolaire. »
    Source : Régime pédagogique de l’éducation préscolaire, de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire
    518 424
    Effectif scolaire au primaire [hors préscolaire], réseau public, prévisions 2022-2023
    Source : Ministère de l’Éducation du Québec