Deux mois après le dépôt d’accusations pour crimes sexuels contre trois entraîneurs de basketball de l’école secondaire Saint-Laurent, le monde du basketball et du sport est encore sous le choc. Si des changements sont en cours, beaucoup de travail reste toutefois à faire pour s’attaquer à une « culture du silence » ambiante.

Au cours des dernières semaines, certaines actions ont été prises à l’école Saint-Laurent en réaction à la crise. « La saison et les tournois des joueuses ont été annulés, mais l’école a mis en place des entraînements. Maintenant, il y a une intervenante qui assiste à toutes les pratiques, en plus de l’entraîneur », dit le père d’une joueuse de basketball de l’école, qui a requis l’anonymat par crainte de représailles.

Trois entraîneurs de l’école secondaire Saint-Laurent ont été accusés de crimes sexuels, le 3 février. La Presse avait d’ailleurs rapporté qu’un climat « hyper nocif », marqué par les agressions verbales et l’intimidation, régnait au sein du programme de basketball féminin.

Le centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys confirme avoir tenu une rencontre récemment avec les parents des élèves des équipes de basketball. « Ils veulent changer la mentalité pour que ce ne soit plus gagner à tout prix. Ils souhaitent garder la compétitivité, mais miser plus sur le développement de l’athlète », indique le père de famille.

Ce dernier confirme que, depuis quelques semaines, l’école Saint-Laurent est à revoir son processus de sélection. « Ils veulent mettre en place un système pour choisir les entraîneurs. Le processus ne sera pas seulement basé sur les antécédents judiciaires. Il y aura une sélection plus rigoureuse », souligne-t-il.

Appuyer les victimes

Bien connu dans le monde du sport scolaire, Daniel Lacasse, le responsable du programme de basketball de Saint-Laurent, est accusé d’exploitation sexuelle. Les deux autres entraîneurs, Robert Luu et Charles-Xavier Boislard, font face à des accusations de contact sexuel, d’incitation à des contacts sexuels et d’agression sexuelle. M. Boislard a également été accusé d’exploitation sexuelle.

La Presse a rencontré une dizaine de femmes qui s’étaient réunies au palais de justice le 24 mars, en marge d’une audience en prévision du procès des accusés. « On est là pour soutenir les victimes de violence sexuelle. C’est vraiment important pour nous de montrer notre appui, parce que c’est un enjeu qui nous touche », lance Clorianne Augustin, intervenante et co-coordonnatrice du collectif La voix des jeunes compte, qui réclame une loi pour prévenir les violences sexuelles au primaire et au secondaire.

Les abus sexuels se passent quotidiennement dans les écoles, que ce soit par des enseignants ou des entraîneurs. On demande de protéger les jeunes du Québec, parce qu’il n’y a rien qui les protège.

Clorianne Augustin, intervenante et co-coordonnatrice du collectif La voix des jeunes compte 

Plusieurs membres du collectif étaient au palais de justice à l’invitation de la Coalition des grandes sœurs du sport, regroupement d’ex-joueuses de basketball dont l’objectif est de mettre fin à la « culture du silence » dans le sport. « On souhaitait que les accusés nous voient. C’est important de montrer que, même si ça va être un marathon, on va toujours y être », dit Joëlle Martina, porte-parole de la coalition. « La culture du sport normalise les abus verbaux. Et personne n’en parle », ajoute-t-elle.

Briser le silence

Fabrice Vil, directeur général de Pour 3 points, organisme qui forme des entraîneurs pour accompagner de jeunes athlètes, rappelle qu’un changement de culture « prend du temps », mais qu’il est bien possible. « La première des choses, c’est avoir des espaces où l’on peut se parler des enjeux et de la prévention des abus sexuels. Il faut briser la culture du silence », dit-il.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Fabrice Vil, directeur général de l’organisme Pour 3 points

Un changement de culture ne dépend pas seulement des règles objectives qu’on met en place, mais aussi des individus qui sont là. Le point de départ, c’est la clarté des intentions des individus.

Fabrice Vil, directeur général de l’organisme Pour 3 points

Plus tôt cette semaine, Baseball Québec a mis en place une politique de vérification des antécédents de ses coachs. Tout entraîneur, coordonnateur ou membre du conseil d’administration devra dorénavant passer à travers un processus administratif tous les trois ans « afin de vérifier les infractions à caractère sexuel, liées à la violence, de vol et de fraude et liées aux drogues et stupéfiants ».

« Le sport organisé doit offrir un environnement sain et sûr pour tous ceux et celles qui le pratiquent », explique le directeur de Baseball Québec, Maxime Lamarche. Il affirme que le cas de Robert Litvack, entraîneur de baseball accusé en septembre d’avoir agressé sexuellement un garçon de 10 ans, a contribué à « accélérer les démarches ».

Avoir une politique, et l’appliquer

Selon l’ancienne intervenante scolaire et professionnelle de la santé à l’école Saint-Laurent Anaë Bergeron, qui y a travaillé de 2013 à 2016, il serait judicieux de « développer un code de vie » au sein de l’établissement.

« On dit aux jeunes qu’il existe des politiques concernant l’intimidation, mais on ne l’applique pas – ou on n’ose pas l’appliquer – chez les adultes. Avoir une vraie politique qui fonctionne pour les coachs et les intervenants aussi, ce serait un bon début », ajoute Mme Bergeron.

Embaucher des « pacificateurs » en milieu scolaire pourrait aussi être une solution, avance-t-elle. « Ça prend quelqu’un qui est là pour s’assurer que tout le monde est protégé, et qui est embauché par un organisme extérieur, qui n’a rien à gagner dans tout ça. »

Mme Bergeron appelle enfin Québec à simplifier les processus de plainte, « souvent très lourds à porter pour un jeune, surtout s’il fait face à un adulte en position d’autorité », comme c’était le cas de Daniel Lacasse. « Il faut s’attaquer à cette forme de mutisme qu’on voit dans plusieurs établissements. Ils ne sont pas [tenus de rendre des comptes] actuellement, ces gens-là. »