Alors que l’Université McGill célèbre son bicentenaire, des étudiants réclament que la statue de son fondateur esclavagiste James McGill soit déboulonnée. Ils souhaitent aussi qu’on fasse une place accrue aux Noirs et à leur histoire au sein de cet établissement.

« Pour moi, il n’y a rien à célébrer », soutient Fanta Ly, étudiante en droit, au sujet des 200 ans de l’Université McGill. Connaître le passé colonial de l’établissement – dont le fondateur James McGill a possédé au moins cinq esclaves noirs et deux esclaves autochtones – contextualise « l’expérience de la communauté noire à McGill ». « Cela permet de comprendre pour qui l’Université est faite », soutient cette dernière.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Fanta Ly, étudiante en droit à McGill

Le 31 mars dernier ont eu lieu les célébrations du bicentenaire de l’université, fondée en 1821 grâce à un legs du riche marchand écossais James McGill, arrivé à Montréal à la fin du XVIIIsiècle. Après le déboulonnage des statues du général sudiste Robert Lee aux États-Unis et de l’esclavagiste Edward Colston au Royaume-Uni, le fondateur de McGill sera-t-il le prochain ? C’est ce que réclament des étudiants, de même qu’une plus grande représentation noire sur le campus et dans le curriculum universitaire.

La statue doit être déboulonnée, lance l’étudiante en droit Anne-Clara Sanon, catégorique. En tant que personne racisée, voir le monument de James McGill sur le campus la fait sentir encore plus « isolée ».

On sent que notre présence n’est pas aussi voulue que celle des étudiants blancs.

Anne-Clara Sanon, étudiante en droit

Du même avis, Adenrele Orimalade, président de Black Students’ Network, souligne qu’une statue « est un symbole de pouvoir érigé pour célébrer une personne ». Selon lui, la sculpture est un « rappel constant » du racisme antinoir et du colonialisme, en plus d’honorer un homme qui a fait fortune grâce à l’esclavagisme, notamment en important des marchandises venues des Antilles.

Être esclavagiste au XVIIIsiècle n’a rien d’exceptionnel, nuance Jean-Pierre Le Glaunec, professeur titulaire au département d’histoire à l’Université de Sherbrooke. Il reste que la principale université québécoise porte aujourd’hui le nom d’un propriétaire d’esclaves, poursuit-il. « Que fait-on avec ça ? », demande le professeur. S’il n’est pas nécessaire de déboulonner la statue, il est possible de faire de l’espace public un lieu « réparateur » en y ajoutant des voix noires et autochtones qui s’expriment sur l’esclavage, avance le professeur.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

La statue de James McGill sur le campus de l’Université McGill

« Une décision concernant le site permanent de la sculpture sera prise d’ici la fin du bicentenaire de McGill », précise Frédérique Mazerolle, relationniste de l’Université. Pour le moment, la statue de James McGill a été retirée, après avoir fait l’objet de vandalisme en juillet dernier.

Manque criant de représentation

S’il est important de parler du passé de James McGill, c’est surtout pour reconnaître la discrimination qui existe toujours dans l’établissement, estiment des étudiants. Selon Anne-Clara Sanon, l’Université McGill fait « le strict minimum » pour s’attaquer au racisme et doit améliorer les services en santé mentale offerts aux étudiants racisés.

En 2020, l’établissement a mis en place un plan contre le racisme antinoir. S’il s’agit d’un « pas dans la bonne direction », il doit être complètement exécuté, soutient Adenrele Orimalade.

Le principal enjeu à l’université est le manque de représentation noire à la fois au sein du corps professoral et de la direction, soutient M. Orimalade. Les choses doivent changer : « McGill est un nom si important au Canada et partout dans le monde que faire de tels changements influencera sans doute d’autres établissements », estime-t-il.

Embaucher plus de professeurs noirs est l’une des recommandations du rapport du bicentenaire de McGill de la chercheuse Charmaine Nelson. Ceux-ci représentaient 0,8 % du corps professoral en septembre 2020, selon des chiffres de l’établissement.

Depuis 2020, 15 nouveaux professeurs noirs ont été engagés, a indiqué Frédérique Mazerolle, relationniste de l’Université McGill.

Le corps professoral homogène est l’un des symptômes du « racisme structurel » présent dans les universités canadiennes, estime Karine Coen-Sanchez, candidate au doctorat à la faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa. Cela se manifeste aussi dans « la gouvernance, la recherche et le programme d’études », poursuit-elle. Le matériel d’apprentissage de la plupart des programmes, par exemple, n’inclut pas les travaux d’universitaires noirs et autochtones. « Cela fait taire et invisibilise les étudiants racisés dans les universités et est utilisé pour maintenir le statu quo biaisé sur les campus », conclut-elle.

PHOTO FOURNIE PAR KARINE COEN-SANCHEZ

Karine Coen-Sanchez, candidate au doctorat à la faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa

Un sondage réalisé auprès de 76 étudiants racisés – lors d’un webinaire sur le racisme systémique dans les universités canadiennes – révèle que 47 % d’entre eux affirment avoir subi du racisme durant leurs études, rapporte Mme Coen-Sanchez. La majorité des répondants, soit 94 %, ont dit ne jamais avoir signalé de cas de racisme, parce qu’ils estiment que cela est « inutile » ou « cause plus de répercussions/problèmes ». Le même exercice répété auprès de professeurs racisés a démontré des résultats semblables.

La construction de la race qui a circulé dans les Amériques est ce qui reste aujourd’hui de l’esclavage au Québec, soutient Jean-Pierre Le Glaunec. « L’idée de la race circule si bien qu’on est incapable d’accepter qu’il y ait quelque chose de légitime dans l’expression de racisme systémique », souligne-t-il.

Peu ou pas d’études noires au Québec

Contrairement aux États-Unis, « on n’enseigne pas les études noires au Québec ou presque pas », déplore Jean-Pierre Le Glaunec. Ouvrir un tel département « contribuerait à exprimer le point de vue que pour l’Université McGill, les études noires sont fondamentales pour comprendre l’histoire des Amériques », estime le professeur. S’il existe une mineure et une majeure en études africaines à McGill, les étudiants mentionnent ne pas pouvoir réaliser un parcours complet dans ce domaine, faute de cours. Un groupe de travail se penche actuellement sur les offres de programmes et de cursus dans ce domaine d’études et de recherche, répond Frédérique Mazerolle, relationniste de McGill.