(Québec et Montréal) Les tuiles n’en finissent plus de s’abattre sur le Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM). Sept des quinze membres du conseil d’administration ont claqué la porte, la présidente démissionnaire a été réprimandée pour avoir contrevenu au code d’éthique et un rapport commandé par Québec fait état de « conflits d’intérêts », de « collusion » et d’« entente secrète ». D’ici juin, la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, déposera un rapport sur « la gestion budgétaire et la gouvernance » du plus gros centre de services scolaire de la province, a aussi appris La Presse.

Le gouvernement Legault soupèse maintenant ses options. L’imposition d’une tutelle fait partie des scénarios envisagés.

Entré en fonction en octobre dernier, le conseil d’administration du CSSDM est dans la tourmente. La présidente démissionnaire, Mélisandre Shanks, a contrevenu au code d’éthique et de déontologie des commissaires du CSSDM, a conclu en janvier la responsable de l’application du code, MMadeleine Lemieux.

Dans son rapport, dont La Presse a pris connaissance, MLemieux soutient qu’à l’automne 2020, la présidente du conseil a violé des dispositions du code d’éthique : l’obligation de respecter les fonctions et pouvoirs prévus à la loi, les devoirs de collégialité et de solidarité, ainsi que le devoir de loyauté et d’éviter les conflits d’intérêts. MLemieux a imposé une « réprimande » à Mme Shanks le 19 janvier.

Son enquête portait sur la tenue de réunions à l’insu d’une partie des membres du conseil d’administration et auxquelles ont participé des personnes qui ne font pas partie du C. A.

Professeur titulaire au département des sciences comptables de HEC Montréal, Julien Le Maux est celui qui a porté plainte à la commissaire à l’éthique.

Peu après sa nomination au conseil d’administration, en octobre, il dit avoir été convié à une rencontre par le président du comité de parents du CSSDM, Marc-Étienne Deslauriers.

Il affirme qu’au cours de cette réunion, une « stratégie à adopter face à l’administration » du centre de services scolaire a été mise en place par les parents membres du conseil d’administration, dont Mme Shanks, et des personnes qui n’étaient pas membres du C. A.

J’étais profondément choqué, on voulait m’embarquer là-dedans et ce n’était pas ma vision de la gouvernance.

Julien Le Maux, en entrevue avec La Presse

Le lendemain, pendant la réunion du conseil d’administration, il est invité à se joindre à une discussion privée tenue en parallèle sur Messenger, le logiciel de messagerie de Facebook.

Les sept membres du conseil d’administration qui ont démissionné dans la dernière semaine étaient présents. Le groupe de discussion comptait aussi le président du Comité de parents des écoles de Montréal, Marc-Étienne Deslauriers, et Lyne Deschamps, employée à titre de conseillère stratégique de ce même comité.

Celle-ci, dit Julien Le Maux, dictait aux membres parents ce qu’ils devaient faire. « Il y avait beaucoup d’échanges, de moqueries sur les autres administrateurs qui étaient dites. La conseillère stratégique disait : ‟il faut dire ça, voter ça”. Les administrateurs étaient entièrement pilotés », dit M. Le Maux. Il a démissionné du conseil d’administration en février.

Dans son rapport, MMadeleine Lemieux explique qu’une personne a préparé un projet de résolution et joué un rôle important dans les délibérations du conseil à l’insu d’une partie de ses membres.

Lyne Deschamps n’a pas voulu nous accorder une entrevue à ce sujet. En janvier, elle a mis en demeure le CSSDM de s’assurer que le rapport de la commissaire à l’éthique ne soit pas rendu public, faute de quoi sa « réputation serait entachée ».

Il a été impossible de joindre Mélisandre Shanks. D’autres membres démissionnaires ont refusé de répondre ou n’ont pas répondu à nos messages. Le président du comité de parents du CSSDM, Marc-Étienne Deslauriers, assure qu’il s’agissait seulement d’aider les parents nouvellement membres du conseil d’administration.

« J’ai participé à des réunions dans d’autres domaines : on se prépare à l’avance, on se jase. Parfois, on échange pendant la réunion, parce qu’on ne peut pas arrêter tout le monde pour vérifier un truc. Arriver préparé, c’est la chose raisonnable et normale à faire, en respect des institutions. Qu’on reproche ça aux parents, je ne comprends pas », dit M. Deslauriers.

Une « intervention d’urgence »

Il n’y a pas que MLemieux qui s’est penchée sur la situation au CSSDM. En janvier, Québec a lancé une enquête « sur l’administration, l’organisation et le fonctionnement du Centre de services scolaire de Montréal », « sur la base d’éléments préoccupants portés à [son] attention ».

La firme Brio Conseils, mandatée par Québec, a récemment remis son rapport, dans lequel on lit notamment que les « faits rapportés s’apparentent également à de la collusion, soit une entente secrète au préjudice d’un tiers ». Elle considère qu’une « intervention d’urgence est nécessaire ».

Le gouvernement entend agir rapidement. Des analyses sont en cours sur les moyens d’intervenir, dont la tutelle.

Au cabinet du ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, on estime qu’il y a eu des « manquements graves de la part des administrateurs parents du conseil d’administration du Centre de services scolaire de Montréal ».

« Cette situation est propre au C. A. du Centre de services scolaire de Montréal. Nous sommes plus que jamais convaincus du bien-fondé de dépolitiser la gouvernance scolaire », nous écrit-on.

Le président du Comité de parents du CSSDM, Marc-Étienne Deslauriers, se dit pour sa part « déçu pour [ses] collègues, pour l’organisation ». « Il n’y a rien de positif qui ressort de ça », dit-il.