(Québec) Le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, a suscité déception et inquiétude dans le réseau des centres de la petite enfance (CPE) lors d’une conférence virtuelle dont La Presse a obtenu l’enregistrement. Il a annoncé à leurs gestionnaires que l’aide financière pour compenser les coûts liés à la COVID-19 serait inférieure aux attentes.

Cette rencontre a eu lieu mercredi en fin de journée. Dans l’enregistrement, on entend le ministre échanger avec la directrice générale de l’Association québécoise des CPE (AQCPE), Geneviève Bélisle. Des gestionnaires de CPE sont à l’écoute, mais ils ne prennent pas la parole.

Mme Bélisle questionne le ministre Lacombe au sujet de l’aide gouvernementale promise pour financer les mesures mises en place par les CPE afin de respecter les consignes sanitaires. Il s’agit entre autres de l’ajout de personnel pour respecter le concept de « groupe-bulle », faire la désinfection et s’occuper de l’arrivée et de la sortie des enfants, afin de limiter la présence des parents dans la garderie.

« Les gens se sont mis en marche pour mettre en place des mesures sanitaires, et ça a un coût assez important pour les organisations. Ce sont des dizaines de milliers de dollars » par CPE, explique Mme Bélisle.

Mathieu Lacombe chiffre à 100 millions de dollars la demande formulée par l’AQCPE, une estimation que cette dernière ne conteste pas (ce serait environ 60 000 $ par CPE sur une base annuelle). Il prévient rapidement que les CPE ne toucheront pas cette somme. « Je suis pas mal convaincu que ça va être en bas de ça », laisse-t-il tomber.

Le ministre explique qu’il a « beaucoup de travail à faire à l’interne au gouvernement » pour convaincre ses collègues. Le dossier est analysé au ministère des Finances, et « c’est clair qu’il y a un enjeu », un os, selon lui. Le ministre témoigne que les Finances lui posent des questions au sujet des surplus cumulés des CPE, qui atteignaient environ 239 millions en 2018-2019, selon les données les plus récentes disponibles.

Cent millions, « c’est beaucoup d’argent et c’est plus que ce qui a été donné au réseau scolaire », ajoute Mathieu Lacombe. Il mentionne la plus récente annonce de son collègue de l’Éducation Jean-François Roberge : une enveloppe de 85 millions de dollars pour les écoles, qui n’est toutefois pas la seule aide offerte au réseau scolaire jusqu’ici.

Les propos du ministre font alors réagir les gestionnaires, qui écrivent en direct à la directrice générale de leur association. « Je ne vous cacherai pas la déception des membres à cet égard, je vois les messages passer ! », a lancé Geneviève Bélisle.

On leur demande d’être de bons gestionnaires, d’être imputables, de se mettre en marche derrière le gouvernement pour affronter une crise et après ça, [ils seront] malheureusement rendus responsables d’une année financière qui va sûrement être déficitaire, voire catastrophique.

Geneviève Bélisle, directrice générale de l’Association québécoise des CPE (AQCPE)

« […] Je vois beaucoup de questions et d’inquiétude des membres sur le fait de n’avoir toujours aucune réponse à savoir si l’État pourra nous venir en soutien », a-t-elle ajouté.

« Permettez-moi d’être un peu en désaccord, a répondu du tac au tac Mathieu Lacombe. Moi, je ne peux pas juste dire oui toujours. »

Il dit avoir « une job ingrate », celle d’assurer « une certaine cohérence » dans les actions du gouvernement et de convenir avec les Finances de « politiques qui respectent la capacité de payer et qui respectent l’état des finances publiques, qui ne sont pas dans un bon état ». Il a toutefois invité les CPE à « rester optimistes » malgré tout. « Je vous demande un peu de patience pour mener ça à bon port », a-t-il ajouté.

Jeudi, un porte-parole du ministre s’est contenté de dire que « le travail se poursuit » afin d’offrir une aide financière aux CPE. Il a souligné que l’État payait déjà des masques et des visières, mais l’AQCPE a indiqué de son côté que le gouvernement « couvr[ait] dans les faits 70 % à 80 % des besoins réels » en équipements.

Geneviève Bélisle a confirmé en entrevue qu’« il y a vraiment un sentiment chez les CPE de ne pas être soutenus et compris par le gouvernement ». Ils ont été « derrière le ministre depuis le début de la crise » et soucieux de respecter les consignes sanitaires, selon elle.

« On est en bas de 300 cas de COVID-19 depuis le 16 mars, a-t-elle souligné. Alors on s’étonne d’autant plus de ne pas avoir de nouvelles sur comment on va soutenir le réseau. Les gens n’en peuvent plus de gérer dans le brouillard. »