Programmes d’études menacés, pertes d’emploi, gels de salaires, versements de primes différés, dépenses reportées et réduites : dans les universités et les cégeps du Québec, l’inquiétude est grande, particulièrement à l’Université McGill et à l’Université Laval, de même que dans les cégeps en région, qui comptent beaucoup sur les étudiants étrangers pour se maintenir à flot.

Selon les données d’Immigration et citoyenneté Canada, quelque 30 700 étudiants étrangers étudiaient au Québec en 2019. C’est très peu par rapport à l’Ontario, mais comme ces étudiants étrangers sont concentrés dans quelques établissements, leur absence sera durement ressentie par endroits au Québec.

Pas moins que le tiers des étudiants de l’Université McGill vient de l’étranger. Quand pourront-ils revenir ? Quel pourcentage d’entre eux voudront toujours quitter leur pays pour étudier au Québec ? Devant l’incertitude, l’Université McGill a suspendu les embauches et gelé les salaires de la rectrice, de tous les cadres supérieurs et des doyens. Toutes les dépenses jugées non urgentes ou essentielles sont analysées, indique Cynthia Lee, responsable des relations avec les médias.

« Par solidarité », « pour éviter toute perte d’emploi chez quelque employé que ce soit, professeur ou pas », les professeurs ont aussi accepté que le versement de leurs primes au mérite soit reporté du 1er juin au 6 décembre, indique Janine Mauzeroll, présidente de l’Association des professeurs de l’Université McGill.

« Nous sommes dans une position privilégiée, on en est conscients et on sait que les étudiants en arrachent beaucoup plus que nous », ajoute Mme Mauzeroll.

À l’Université Laval, qui attire 7000 étudiants étrangers annuellement (14 % de tous les étudiants), 752 personnes (qui étaient pour la plupart à contrat) ont été coupées.

De façon préliminaire, il apparaît que le manque à gagner pourrait s’élever jusqu’à 100 millions.

Simon La Terreur, conseiller en relations médias

Certains Québécois qui ont perdu leur emploi se seraient-ils dit qu’ils étaient aussi bien d’étudier ? En tout cas, à l’Université Laval (comme à l’Université TÉLUQ), les inscriptions pour la session d’été sont à la hausse.

Préoccupations dans les cégeps de région

Ensemble, les 48 cégeps de la province n’accueillent que 4300 élèves étrangers, mais les cégeps en région, où ils se concentrent, risquent de souffrir beaucoup de leur absence.

Ces dernières années, le cégep de Matane a déployé d’immenses efforts en ce sens, au point que 45 % de ses étudiants viennent d’ailleurs.

Là comme à Jonquière, notamment, « la survie de certains programmes dépend de cet apport », souligne Bernard Tremblay, président-directeur général de la Fédération des cégeps.

Les cégeps ont tous déjà perdu des revenus de stationnement, de location de résidence ou des contrats de recherche qu’ils avaient avec des entreprises.

En région s’ajoutent les problèmes de l’internet à haute vitesse, qui limitent l’enseignement à distance. 

Et un peu partout au Québec, rappelle Bernard Tremblay, des étudiants ont fini leur session sur un iPhone. « Si on croit en l’égalité des chances, il faudra trouver un moyen d’aider les étudiants qui n’ont pas d’ordinateur à la maison. »

Beaucoup de questions

À l’Université de Montréal (qui accueille de 8 % à 10 % d’étudiants étrangers), les relations publiques nous ont simplement dit qu’avant l’automne, l’effet de la pandémie est très difficile à évaluer. Pour l’instant, un budget provisoire a été adopté, prévoyant des dépenses supplémentaires pour l’ajout de matériel audiovisuel et des ressources de techno-pédagogie. 

Dominic Arsenault, deuxième vice-président du Syndicat général des professeurs et professeures de l’Université de Montréal, indique n’avoir à peu près aucune nouvelle de la direction, « qui est particulièrement opaque ».

On nous a demandé si on avait des questions sur un budget provisoire qui a été adopté en avril, mais on ne nous a presque rien dit de ce qu’il contenait. On est dans le néant.

Dominic Arsenault

M. Arsenault ajoute que certains de ses membres n’ont pas réussi à se transformer en « professeurs à distance ». Cela dit, le syndicat a proposé que des chargés de cours les remplacent. « L’université a refusé, en disant ne pas pouvoir dépenser de l’argent supplémentaire. »

L’UQAM, grande habituée des crises

Si cette pandémie est du jamais-vu, Magda Fusaro, rectrice de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), signale que l’établissement, de par son rôle social, a acquis au fil des ans une résilience certaine.

Autrement dit, les grèves ont préparé l’UQAM aux grands remous. « C’est vous qui l’avez dit ! », répond-elle en riant.

Le budget québécois de mars, qui a été favorable aux universités, a fait du bien, rappelle Mme Fusaro, même si la crise qui a suivi a changé totalement la donne.

Un déficit est-il possible à l’UQAM ? Peut-être, répond-elle, en indiquant que seules des orientations budgétaires ont été élaborées pour l’instant, un budget en bonne et due forme étant reporté au début de l’automne.

Comme d’autres universités, l’UQAM se félicite en tout cas d’avoir pu prendre le virage de l’enseignement à distance dès le début de la quarantaine.

Certains y ont pris goût, ou l’inverse. C’est présentement un laboratoire à ciel ouvert […], il y a une réflexion sur l’après.

Magda Fusaro

Peut-être plus de programmes encore seront offerts à distance ou sur une forme hybride, avance Mme Fusaro.

À HEC Montréal, dit Marie-Pierre Hamel, conseillère aux relations médias, on a espoir que les étudiants étrangers reviendront. « Par les questions qui nous sont posées, par les étudiants comme par leurs parents, nous n’avons pas l’impression que les projets de venir étudier chez nous sont remis en question. »

L’automne prochain, l’université et le cégep à distance

Québec l’a bien indiqué aux cégeps et aux universités : à l’automne, il faut se préparer à une rentrée à distance, comme l'a déjà confirmé l'Université de Montréal. Avec sa longueur d’avance en la matière, la TÉLUQ a le vent dans les voiles.

Anciennement appelée Télé-université et vouée à la formation à distance, la TÉLUQ a traversé une douloureuse grève en 2019. La voilà de nouveau en selle.

Par rapport à il y a deux ans (les données de 2019 n’étant pas représentatives), la TÉLUQ a enregistré une hausse de 15 % d’inscriptions à sa session d’été, session toujours très occupée pour cette université toute particulière, indique Marie-Thérèse Brunelle, directrice des communications et des affaires publiques.

Elle ajoute que la fréquentation du site web de la TÉLUQ est par ailleurs quatre fois plus élevée que d’habitude.

Les programmes pour entrepreneurs, de même que des cours gratuits en ligne, font fureur.

Dans les trois jours suivant son lancement, pas moins de 75 000 visites ont été enregistrées sur le site du cours sur l’enseignement à distance.

Le cours gratuit « conciliation travail-famille » connaît aussi de belles heures.