J’ai très hâte de voir à quoi vont ressembler les capsules et les émissions qui seront offertes aux élèves sur les ondes de Télé-Québec, car dans une chronique publiée il y a quelques jours, je me demandais pourquoi personne ne pensait à utiliser le temps d’antenne de la télévision publique québécoise pour offrir des cours.

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Je suggérais même une méthode révolutionnaire : un enseignant avec du charisme, un tableau et une craie.

Votre idée est excellente, mais trop simple, m’ont écrit ironiquement des professeurs. « Le Ministère n’approuverait pas votre projet, m’a dit une enseignante qui a une trentaine d’années d’expérience et qui s’apprête à prendre sa retraite. Je suis désolée de vous dire ça, raide de même, mais ce que vous décrivez est un enseignant du temps des dinosaures », a-t-elle ajouté avec un brin d’humour.

En tout cas, une entreprise privée n’a pas mis de temps à réagir. Vous avez été nombreux à me parler de « La classe de Marie-Ève », un concept qui ressemble pas mal à ce que je décrivais à part la présence d’une trouvaille technologique fort intéressante. Depuis le 31 mars, Marie-Ève Lévesque offre quotidiennement sur YouTube des classes aux élèves de la première à la sixième année.

IMAGE TIRÉE D’UNE VIDÉO DE « LA CLASSE DE MARIE-ÈVE »

Depuis le 31 mars, Marie-Ève Lévesque offre quotidiennement sur YouTube des classes aux élèves de la première à la sixième année.

Marie-Ève est devant un tableau transparent et, à l’aide de crayons de couleur, propose des exercices et des trucs reliés principalement à deux matières : le français et les mathématiques. La personnalité chaleureuse et attachante de l’enseignante et ses qualités de pédagogue font le reste.

Marie-Ève a un petit ordinateur à côté d’elle qui lui permet d’afficher des tableaux, des illustrations et des messages des élèves (elle leur confie une mission tous les jours) qui la regardent en direct ou en webdiffusion. « C’est un véritable marathon, m’a-t-elle confié. Je commence à 8 h 15 et je termine à 12 h 30. » Chaque classe a une durée d’environ 30 minutes.

À l’origine de ce projet (qui devrait durer encore quatre semaines), il y a Succès scolaire, une entreprise privée qui, en temps normal, offre des services de tutorat et des cours d’été. « On fonctionne sans subvention, a tenu à me préciser Benoit Archambault, son président. Pour le moment, il n’y a aucun revenu. On fait cela pour faire connaître le nom de Succès scolaire. »

Ce projet a pu être rapidement mis sur pied grâce à la collaboration de la firme EdLive. « On travaillait depuis quelques mois à un concept, m’a expliqué Mehdi Fichtali, directeur général de l’entreprise. Ce projet est une occasion en or de le faire connaître. Marie-Ève est en studio avec un seul technicien-caméraman. Elle est entièrement autonome. » En ces temps de COVID-19, il s’agit d’un système qui permet une distanciation sécuritaire.

Mehdi Fichtali s’est toutefois bien gardé de me révéler le mystère qui fascine tout le monde. Marie-Ève écrit sur un tableau transparent qui est devant elle. Or, les mots et les chiffres qui sont rédigés ne nous parviennent pas à l’envers. « C’est un secret qu’on ne peut dévoiler », s’est contenté de me dire Mehdi Fichtali.

Enseignante de quatrième année dans une école de la Commission scolaire Marie-Victorin, Marie-Ève Lévesque a déjà travaillé pour Succès scolaire au début de sa carrière. Pour offrir ces cours, elle a obtenu l’autorisation de son syndicat et de sa commission scolaire. « Le reste de ma journée est consacré à assurer un suivi auprès de mes élèves. »

Après quelques jours seulement, les cours offerts sur la chaîne « La classe de Marie-Ève » sont recommandés par plusieurs enseignants du Québec. Chacune des classes attire environ un millier d’élèves. Ils sont ensuite plusieurs milliers à regarder ces cours en webdiffusion.

En tout cas, moi, je colle une belle image de chien colley dans le cahier de l’équipe de « La classe de Marie-Ève » pour la féliciter d’avoir réalisé cette idée en si peu de temps. Oui, oui, je sais que je suis un vieux dinosaure !

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Plusieurs enseignants m’ont fait part des difficultés qu’ils rencontrent afin d’assurer un suivi pédagogique auprès de leurs élèves. D’ailleurs, ils utilisent rarement le terme « élève ». Ils préfèrent dire « mes petits cocos » ou « mes amours ».

Ces enseignants déplorent un manque d’encadrement de la part du ministère de l’Éducation et la désorganisation qui règne en ce moment.

« Je fais comme mes collègues et je prends les devants, m’a confié Sophie, une enseignante de deuxième année de la région montréalaise. Je fais ce que je crois qui est bon pour mes élèves. »

Vendredi, en fin d’après-midi, Sophie a voulu organiser une dictée avec « ses petits cocos » par l’entremise de Zoom. Elle s’est d’abord butée à une entrave inattendue. Les textes qu’elle voulait utiliser sont protégés par la Loi sur les droits d’auteur. Vous avez bien lu. Elle ne pouvait les lire à ses élèves.

Après avoir trouvé d’autres textes, elle a dû prendre contact avec les parents de ses 24 élèves pour organiser ce rendez-vous auquel, finalement, une douzaine ont pris part. J’ai appelé Sophie dimanche pour savoir comment les choses s’étaient déroulées.

« Ç’a été l’enfer. Comme tous les micros étaient ouverts, tout le monde parlait en même temps. Certains disaient : “Madame Sophie, je ne comprends rien !” C’était la cacophonie. On s’est fait plein de bisous et on s’est dit au revoir. »

Sophie a finalement donné sa dictée sur YouTube par un lien privé. Les enfants ont pu la faire à leur guise. Les parents ont reçu le texte par courriel. Ce sont eux qui sont chargés de corriger les fautes. « On dit souvent que beaucoup de parents ne collaborent pas, dit Sophie. Je les comprends. Plusieurs travaillent encore. Ce n’est pas évident pour eux de prendre en charge cet aspect. »

Et pour ce qui est des profs dont on dit qu’ils sont actuellement payés à ne rien faire ? « Je ne connais aucun enseignant qui prend cela à la légère. La plupart ont le sentiment d’abandonner leurs élèves en ce moment. C’est dur pour tout le monde, ce qui nous arrive en ce moment. »