Parfois, c’est à cause de la chasse au chevreuil. D’autres fois, c’est en raison du tournoi de hockey qui s’est prolongé, des billets d’avion pour le Sud qui sont tellement moins chers hors saison, du gros mal de ventre le jour de l’exposé oral, quand il ne s’agit pas d’élèves qui optent pour la semaine de quatre jours. Ou de trois. Portrait de l’école buissonnière.

Loin des 180 jours au calendrier

Trois semaines d’absence. Dans certaines commissions scolaires — en région, tout comme aux portes de Montréal —, on est loin des 180 jours d’école prévus au calendrier scolaire.

À la Commission scolaire Marie-Victorin, sur la Rive-Sud (Montréal), les élèves (du primaire et du secondaire confondus) ont été absents en moyenne 14 jours en 2017-2018 (soit deux jours de plus qu’il y a 10 ans.) Idem dans les écoles secondaires de Sorel-Tracy. Au Lac-Saint-Jean ? Quinze jours d’absence en moyenne par année et par élève du secondaire.

C’est ce que La Presse a pu constater en présentant une demande d’accès à l’information dans 25 commissions scolaires (à laquelle 17 ont répondu positivement), histoire d’avoir une idée de l’assiduité des élèves.

Une deuxième semaine de relâche ?

Si l’absentéisme prend des proportions importantes dans certaines commissions scolaires, les quatre ou cinq jours d’absence sont les plus courants.

Tel est le portrait à la Commission scolaire des Découvreurs où, au primaire, on est passé de 3,4 jours d’absences par élève par année il y a 10 ans à 4,7 en 2017-2018.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Si l’absentéisme prend des proportions importantes dans certaines commissions scolaires, les quatre ou cinq jours d’absence sont les plus courants.

« Ça a quand même pas mal augmenté », observe Alain Fortier, président de la commission scolaire, qui s’est dit surpris du résultat et qui promettait de soulever la question à la séance des commissaires.

« Nos élèves viennent très majoritairement de milieux assez favorisés, de Sainte-Foy, Sillery et Cap-Rouge », poursuit-il.

J’ai bien l’impression que ces augmentations sont dues à des voyages en famille qui ont été faits en dehors des périodes de vacances.

Alain Fortier, président de la Commission scolaire des Découvreurs

« Ça m’amène à me demander, comme certains commentateurs, si on ne devrait pas avoir une semaine de relâche à l’automne. »

Chose certaine, la question du typique voyage à Cuba ou à Paris soulève les passions parmi les enseignants. Faut-il consentir à de la récupération et à préparer devoirs et leçons de vacances, comme le réclament souvent les parents ? Une enseignante exaspérée de voir que déjà trois de ses élèves étaient partis en vacances depuis septembre — et même pas au pays natal, précisait-elle — a posé la question dans un forum de discussion de profs. Plus de 150 de ses collègues lui ont répondu, la plupart lui suggérant de ne pas encourager le vice, d’autres lui conseillant d’imposer à l’enfant une recherche sur le pays visité.

« Responsabilité partagée »

À la Commission scolaire de Sorel-Tracy, Christine Marchand, secrétaire générale, dit que le problème est pris très au sérieux. « On répète sans cesse à quel point la fréquentation assidue à l’école est liée à la réussite et que c’est une responsabilité partagée entre la famille, l’école et les employeurs dans la région », dit-elle.

Les PME de la région sont donc régulièrement interpellées à ce sujet.

En cette époque de pénurie de main-d’œuvre, notamment en restauration ou dans les magasins grande surface, la tentation est grande de donner plus d’heures à nos jeunes de 15, 16 ou 17 ans.

Christine Marchand, secrétaire générale de la Commission scolaire de Sorel-Tracy

À la Commission scolaire du Lac-Saint-Jean, où les élèves du secondaire ratent quelque 15 jours par année, selon les données transmises, Marc-Pascal Harvey, directeur des services éducatifs, pressent que ces chiffres qui nous ont été transmis peuvent être imprécis. « Dans notre système informatisé, il semble que les retards soient comptés comme des absences. Possible aussi que lors de stages, les élèves soient comptés comme étant absents. »

Il n’a pas été possible d’obtenir une entrevue avec un responsable de la Commission scolaire Marie-Victorin.

Le cas des voyages humanitaires

Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement, dénonce pour sa part le fait que certaines écoles encouragent elles-mêmes l’absentéisme en organisant des voyages humanitaires qui débordent des congés prévus. « Il faut être cohérent : si on insiste sur le fait que l’absentéisme est souvent lié à l’abandon [scolaire], il ne faut pas en faire la promotion, mais s’assurer au contraire que ces voyages coïncident avec des journées pédagogiques. »

Des absences aux multiples significations

Linda Pagé, directrice d’une école primaire à la Commission scolaire de la Région-de-Sherbrooke et présidente de l’Association des directeurs et directrices d’établissement d’enseignement de l’Estrie, croit qu’il faut distinguer les absences qui témoignent d’un réel problème (souvent en milieu défavorisé) de celles qui, bien que non souhaitables, ne soulèvent pas de drapeau rouge.

Oui, il serait préférable que les tournois sportifs et les voyages se fassent pendant les vacances ou les fins de semaine. Mais ce qui est beaucoup plus troublant, insiste Mme Pagé, c’est quand les absences « sont dues à des difficultés scolaires, à des élèves qui se découragent ou à des contextes familiaux difficiles. Derrière l’absentéisme, il y a souvent un appel à l’aide ».

« Les parents sont parfois dépressifs, ils peuvent venir de perdre un emploi, un conjoint », poursuit-elle.

Il arrive qu’une mère dise à l’école que son enfant est malade alors qu’en fait, elle veut le garder auprès d’elle pour avoir du réconfort après une séparation douloureuse.

Linda Pagé, présidente de l’Association des directeurs et directrices d’établissement d’enseignement de l’Estrie

Comme l’école n’a aucun pouvoir de sanction, il faut souvent beaucoup de temps et de discussions avec les familles pour régler la question des absences chroniques.

Quelques classiques, en vrac

Au Québec, certaines causes d’absence sont classiques, nous ont raconté des enseignants*. La tempête de neige. La manif à ne pas rater. Aussi, étonnamment, les sorties sportives ou récréatives — la sortie à la montagne, l’hiver, ou aux glissades d’eau, pendant le temps chaud — sont très souvent boudées, au point où certaines écoles les annulent, constatant un manque d’intérêt et beaucoup d’absentéisme.

D’autres motifs d’absence à la petite semaine, selon les enseignants consultés ? Bien sûr, le typique voyage à Cuba ou à Paris, la difficulté, aussi, de garder les élèves du secondaire en classe après les examens du Ministère qui sont programmés de plus en plus tôt, en mai.

On nous a aussi parlé de ces élèves super anxieux qui, physiquement, tombent carrément malades les jours d’examen ou de présentation orale.

Quand ils prennent eux-mêmes congé, certains parents décident de garder leur enfant à la maison.

« Dans les classes, nous a dit un enseignant, quand le prof constate l’absence d’un élève, il n’est pas rare d’entendre les enfants s’exclamer : “Ben, là, c’est sûr qu’il n’est pas là, on est vendredi !” »

* Les enseignants consultés ici ont demandé l’anonymat pour pouvoir parler sans crainte, puisque leur employeur leur demande un devoir de réserve.

— Avec William Leclerc, La Presse

Quand l’enfant disparaît

Quand des enfants disparaissent de l’écran radar pendant des semaines, « les directeurs d’école sont démunis. Les CLSC n’interviennent pas, alors, tu essaies du côté de la Sûreté du Québec », raconte Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement.

La Loi sur l’instruction publique oblige tout directeur d’école à signaler à la DPJ tout élève qui arrête d’aller à l’école ou qui s’absente régulièrement pour des motifs non valables.

Ça, c’est la théorie, explique M. Prévost.

« Même quand l’enfant n’est pas là pendant deux semaines, la DPJ ne retient pas le signalement », à moins qu’il y ait de forts soupçons que l’enfant soit aussi négligé et en danger.

Cas inquiétants

L’enfant qui disparaît de l’écran radar pendant des semaines est certes exceptionnel. En 20 ans de carrière, M. Prévost affirme que ça a dû lui arriver sept ou huit fois, mais que ces quelques fois-là l’ont grandement inquiété.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

La Loi sur l’instruction publique oblige tout directeur d’école à signaler à la DPJ tout élève qui arrête d’aller à l’école ou qui s’absente régulièrement pour des motifs non valables.

C’est la raison pour laquelle il a demandé à être entendu à la commission parlementaire spéciale mise sur pied dans la foulée de la mort, le printemps dernier, d’une fillette de Granby qui était absente de l’école depuis un mois.

Dans les cas où la DPJ accepte de se pencher sur la question, poursuit M. Prévost, « il arrive souvent que les parents, sentant la soupe chaude, changent d’école. »

On retrouve finalement l’enfant quand la direction de sa nouvelle école nous demande des informations sur lui.

Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement

Mme Pagé, qui est présidente de l’Association des directeurs et directrices d’établissement d’enseignement de l’Estrie, signale elle aussi l’inquiétude suscitée par ces enfants « qui disparaissent » trop longtemps.

Elle souligne elle aussi que la DPJ n’intervient pas « à moins qu’il y ait clairement une inquiétude autre, comme de la négligence », mais elle soutient qu’un dialogue étroit avec les familles permet de régler bon nombre de situations.

À Montréal, silence radio

Le portrait de l’absentéisme dans les écoles francophones de Montréal ? Impossible de le connaître. La Commission scolaire de Montréal et les commissions scolaires Marguerite-Bourgeoys et de la Pointe-de-l’Île — les trois commissions scolaires de Montréal — nous ont toutes trois répondu qu’elles ne pouvaient nous éclairer.

« Le nombre des absences par établissement n’est pas centralisé et il faudrait aller sonder chacune des écoles et calculer combien d’élèves ont été absents pour fournir l’information », a répondu la Commission scolaire de Montréal.

« La Commission scolaire ne détient aucune liste comportant le nombre total de jours d’absence des élèves », a écrit la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys.

Même son de cloche à la Pointe-de-l’Île.

Un registre national des absences ? 

Au Québec, si l’éducation est obligatoire, plusieurs commissions scolaires n’ont aucune donnée centralisée sur l’assiduité des élèves. Contrairement à la France, le ministère de l’Éducation du Québec ne compile lui-même aucune statistique. « Je ne dis pas qu’il n’y a rien à corriger, mais on n’envisage pas de registre national des absences, a dit en entrevue à La Presse, en juin, Jean-François Roberge, ministre de l’Éducation. C’est dans chaque école que cela doit se faire. » En France, lorsqu’un enfant s’absente de l’école de manière récurrente et non justifiée, des sanctions sont prises, qui peuvent aller jusqu’à 750 euros (environ 1085 $) d’amende pour les parents. L’absentéisme scolaire est comptabilisé. Peut-on en arriver à des données parfaitement précises ? En tout cas, en 2017-2018, le ministère français de l’Éducation nationale a compté que « 5,6 % des élèves [au lycée et au collège, donc à l’adolescence] ont été absents de façon non justifiée quatre demi-journées ou plus par mois, en moyenne ».