Épuisés et écœurés, les enseignants démissionnent massivement, entend-on souvent. Est-ce vraiment le cas ? Nous avons demandé aux commissions scolaires leurs données à ce sujet depuis dix ans.

Des congés de maladie, oui. Des retraites devancées, oui. Mais dès lors qu’ils ont leur permanence, les enseignants québécois du primaire et du secondaire sont très peu nombreux à démissionner.

La Presse a envoyé une demande d’accès à l’information à toutes les commissions scolaires, inspirée en cela par la lecture d’un article dans le quotidien français Le Monde qui avait aussi voulu vérifier si les enseignants étaient vraiment nombreux à délaisser la profession, comme le disent souvent médias et syndicats.

La réponse : ici comme en France, non.

Au Québec, les chiffres ont très peu bougé depuis 10 ans et ils sont très bas.

C’est à la Commission scolaire de Montréal (CSDM) que les hausses sont les plus prononcées : 164 démissions en 2018, un sommet depuis 10 ans (en 2012-2013, il y avait eu 126 départs).

N’empêche, fait remarquer Catherine Harel Bourdon, présidente de la CSDM, sur les quelque 8200 professeurs, ces chiffres demeurent petits et ils ne témoignent pas d’un abandon de la profession. C’est d’autant plus vrai que ces chiffres, étrangement, comprennent même, à la CSDM, ceux qui ont entrepris un processus d’embauche et l’ont abandonné (avant ou après l’entrevue, par exemple).

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Catherine Harel Bourdon, présidente de la Commission scolaire de Montréal

« Plusieurs de ceux qui démissionnent veulent se rapprocher de la maison et s’en vont enseigner pour une autre commission scolaire ou une école privée. » — Catherine Harel Bourdon, présidente de la CSDM

La deuxième commission scolaire en importance au Québec, Marguerite-Bourgeoys, elle aussi sur l’île de Montréal, nous a d’abord dit, en réponse à notre demande d’accès à l’information, qu’elle n’avait aucun document ou donnée sous la main à nous transmettre.

Sa présidente, Diane Lamarche-Venne, a cependant affirmé en entrevue que bon an, mal an, ils ne seraient qu’une quinzaine d’enseignants à remettre leur démission.

À la commission scolaire Pointe-de-l’Île, pas d’hémorragie non plus. Il y a eu 36 démissions, ce qui est un peu plus haut que les années précédentes, mais pas loin des 30 démissions de 2010-2011.

Dans les commissions scolaires anglophones de Montréal, les chiffres sont stables. Idem à la Commission scolaire de Laval : 20 démissions en 2018-2019, alors que ça a monté jusqu’à 53 en 2009-2010.

Ailleurs au Québec, il y a des hausses négligeables et, à plusieurs endroits, des baisses.

Le ministère de l’Éducation, à qui nous avons présenté la même demande d’accès, a répondu qu’en 10 ans, quelque 4900 enseignants avaient démissionné de l’une des 70 commissions scolaires prises en compte (les chiffres excluaient les commissions scolaires Crie et Kativik). Là-dessus, un certain nombre, non identifié, est allé enseigner dans une école privée. Et le chiffre des démissions est, à quatre près, exactement le même en 2017-2018 qu’en 2008-2009.

L’effet de la pénurie

Nous avons retrouvé et interviewé quelques démissionnaires. Pourquoi sont-ils partis ? En premier lieu, parce qu’à une époque où certaines commissions scolaires, désespérées, partent en Europe recruter des enseignants, laisser une permanence, du moins à Montréal, n’est plus le saut de l’ange que c’était auparavant.

L’une s’apprête à partir d’une école qu’elle adorait pour se rapprocher de la maison. Un autre nous dit être parti en raison d’« un climat toxique avec ses collègues ». « Je me suis trouvé un nouvel emploi avant de démissionner et c’est le cas de tous ceux que je connais qui ont aussi démissionné », nous a-t-il dit.

Un autre nous a raconté qu’au mitan de sa carrière, il a eu besoin d’un congé sans solde, qui lui a été refusé. Les commissions scolaires les plus frappées par les pénuries en acceptent de moins en moins. Il est parti travailler dans une école privée.

« Des professeurs qui renoncent carrément à leur carrière, c’est exceptionnel. » — Une enseignante, qui travaille à Montréal

« On voit beaucoup d’enseignants partir en congé de maladie, puis revenir, poursuit cette enseignante. Mais partir pour de bon, abandonner l’enseignement, quand tu as étudié là-dedans et que tu es installé dans un poste ? C’est très rare. »

Le cas particulier des jeunes

Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE), souligne qu’il faut faire très attention, puisque les enseignants prennent de plus en plus une retraite anticipée et qu’ils ne sont donc pas comptés dans les statistiques de démission.

Mme Scalabrini insiste aussi sur tous ces jeunes qui n’entrent pas dans les statistiques parce qu’ils sont maintenus pendant des années dans la précarité.

Mais là-dessus, impossible d’avoir un portrait clair. La FSE s’en remet à l’estimation du ministère de l’Éducation, dont les données remontent à 2010-2011 et qui avancent que de 25 à 30 % des enseignants abandonneraient le métier après leur première année en poste.

Nous avons retrouvé trois autres études, qui datent, elles aussi, et qui vont dans tous les sens : l’une parle de 40 % d’abandon après un an, une autre, à l’autre extrême, de 13 % dans les cinq premières années.

Alain Fortier, président de la Fédération des commissions scolaires du Québec (FCSQ) et président de la commission scolaire des Découvreurs, prend ces données avec un grain de sel.

« On entend toutes sortes de chiffres et il me semble chaque fois qu’ils enflent à l’approche de négociations. » — Alain Fortier, président de la FCSQ

Mais même si l’on se fie aux statistiques de 2010-2011 du ministère de l'Éducation, « on serait beaucoup plus dans le trouble qu’actuellement » en ce qui a trait aux pénuries.

Pendant 25 ans, M. Fortier a fait de la formation d’enseignants. Oui, il y en a qui partent, dit-il, « comme dans toutes les professions. Il arrive que certains enseignants découvrent, à leur dernier stage, qu’ils sont moins heureux qu’ils le pensaient de se retrouver toute la journée devant des enfants. Mais faites l’exercice autour de vous : vos proches sont loin de tous travailler dans le domaine dans lequel ils ont étudié. »

D’aucune façon, insiste-t-il, il ne veut minimiser l’ampleur de la tâche des enseignants.

D’ailleurs, le ministère de l’Éducation a enregistré une hausse de 11 % des dépenses d’assurance salaire longue durée entre 2014-2015 et 2015-2016 (les dernières données disponibles).

Le nombre de jours d’assurance salaire était néanmoins plus petit en 2015-2016 (373 285) qu’en 2012-2013 (399 050), et ce, même si le nombre total d’enseignants, lui, va légèrement en augmentant.

— Avec la collaboration de William Leclerc