Les trois commissions scolaires francophones de Montréal ont prévenu le gouvernement Legault : il ne pourra y avoir que très peu, ou pas du tout, de nouvelles classes de maternelle 4 ans à temps plein pour la prochaine rentrée scolaire sur leur territoire, a appris La Presse.

La commission scolaire de la Pointe-de-l'Île (CSPI) a fait savoir au ministère de l'Éducation qu'elle ne pouvait tout simplement pas en ajouter. Elle se demande même si elle parviendra à conserver toutes les classes existantes tant l'espace manque et que les inscriptions explosent pour les autres niveaux.

La commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSMB) se dit prête à en ouvrir deux de plus seulement.

Enfin, la Commission scolaire de Montréal (CSDM) avait informé Québec qu'aucune classe supplémentaire ne pouvait être créée, mais elle lui a soumis récemment une proposition. Elle suggère de financer l'ouverture de 10 classes destinées à des enfants de 4 ans qui ont un handicap ou d'importants troubles d'apprentissage. Ce programme existe déjà, mais n'est pas pleinement financé par le ministère de l'Éducation.

Ces classes spéciales compteraient 8 enfants chacune - une classe standard de maternelle compte environ 14 élèves. L'accès serait réservé à cette clientèle en difficulté, et non pas ouvert à tous. Une option qui aurait été bien accueillie par Québec dans les circonstances.

Il existe 398 classes de maternelle 4 ans au Québec à l'heure actuelle, toutes en milieu défavorisé. De ce nombre, 73 se trouvent dans l'île de Montréal, selon les données du ministère de l'Éducation.

«Une crise qui se prépare»

Le premier ministre François Legault a promis en campagne électorale d'offrir la maternelle 4 ans à tous, partout au Québec, d'ici cinq ans. Cela représente la création de 5000 classes, selon ses propres chiffres.

Or, le ministre de l'Éducation, Jean-François Roberge, affirmait à La Presse en novembre qu'il prévoyait créer «à peu près» 220 classes pour la prochaine rentrée scolaire, la première année de mise en application de son engagement. C'est le double de ce qu'ont fait les libéraux pour la rentrée 2018, mais c'est plutôt timide au regard de la promesse caquiste. «Ça ne va pas assez vite à mon goût», reconnaissait François Legault.

Dans les dernières semaines, le ministère de l'Éducation a demandé aux commissions scolaires le nombre de classes qu'elles pourraient créer en septembre. À Montréal, c'est de toute évidence bien en deçà des attentes du gouvernement.

«Nous, la réponse, ça a été non, aucune», affirme Miville Boudreault, président de la CSPI. 

«Ce n'est pas une question de savoir si on est pour ou contre la maternelle 4 ans, ou si on voudrait se traîner les pieds. On est dans une situation où on se demande si on va avoir assez de locaux pour la maternelle 5 ans, les première, deuxième, troisième années!»

Pas moins de 4000 élèves se sont ajoutés en deux ans, et la tendance se maintient pour la prochaine rentrée, selon M. Boudreault.

«Il y a une crise qui se prépare, prévient M. Boudreault. On est en situation d'urgence, non seulement pour le recrutement d'enseignants, mais aussi pour la disponibilité des locaux.» Ce sont, à ses yeux, «les vraies priorités auxquelles il faut s'attaquer de toute urgence».

Des bibliothèques et des locaux de musique ou d'art disparaissent. Des spécialistes sont forcés de traîner leur matériel dans des chariots, faute de bureaux. Une école primaire accueille maintenant plus de 1000 élèves. M. Boudreault en vient à faire un aveu : «Je le reconnais, il y a la qualité du service éducatif qui commence à être affectée par cette situation.»

Dans les circonstances, «pour l'an prochain, il est hors de question qu'on ouvre de nouvelles classes de maternelle 4 ans et on va regarder ce qui se passe avec les 22 qu'on a présentement, laisse-t-il tomber. On regarde toutes les hypothèses présentement, mais pour le moment, aucune décision n'a été prise». Pourrait-il y avoir fermeture de classes? «On n'est pas rendu à cette extrémité-là.»

La CSPI ne peut pratiquement plus agrandir d'écoles - 26 l'ont été dans les dernières années. Elle lorgne des immeubles de la commission scolaire anglophone English-Montréal, mais les négociations piétinent. «Je suis toujours partisan d'une solution où on s'entend plutôt que ce soit imposé, affirme M. Boudreault. Mais c'est sûr qu'il faut qu'il se passe quelque chose.»

«C'est monstrueux!»

Dans une décision exceptionnelle, le ministre Jean-François Roberge vient de forcer la commission scolaire anglophone Lester-B.-Pearson à céder une école à la CSMB. Cette dernière a dépassé de 122 groupes sa capacité d'accueil, et 50 nouvelles inscriptions entrent chaque semaine ces temps-ci.

«C'est monstrueux!» lance sa présidente, Diane Lamarche-Venne. «Toutes nos écoles sont en dépassement de leur capacité d'accueil. Toutes !» Il n'est «pas question de se braquer» devant la volonté de Québec de créer plus de classes de maternelle 4 ans, «mais pour septembre, c'est très limité», l'effort que peut faire la CSMB.

La seule option, selon elle, est de réaménager la disposition des locaux dans une nouvelle école en construction à LaSalle. Deux classes de maternelle 4 ans pourraient être créées dans cet établissement qui sera prêt pour la rentrée, explique-t-elle.

Selon une lettre datée du 23 janvier que La Presse a obtenue, le ministre Roberge invite d'ailleurs les commissions scolaires à ajouter de ces classes «dans la portée des projets d'ajout d'espace déjà autorisés». Que les projets soient déjà en chantier ou à l'étape des plans et devis. «Les demandes de contribution financière additionnelle qui en découleront seront traitées en priorité par le ministère», écrit-il. Cette proposition a causé la surprise dans le réseau. Modifier des projets à cette étape de réalisation est plutôt difficile, confie-t-on.

«On ne sera pas plus avancés»

À la CSDM, les inscriptions pour la maternelle 4 ans ont pris fin le 29 janvier. Résultat : «On n'a pas remarqué d'augmentation [de la demande]. C'est à peu près les mêmes chiffres que l'an passé», révèle sa présidente Catherine Harel Bourdon. «Alors je veux bien construire tout ça, mais si les parents continuent d'envoyer leurs enfants en CPE, en milieu familial ou de les garder à la maison, on ne sera pas plus avancés.»

La CSDM a répondu au Ministère être incapable d'ajouter de nouvelles classes aux 28 existantes pour septembre. «Dans son sondage, on a marqué 0. Ce n'est pas tant la capacité que le personnel, [le problème]. On ne veut pas aller de l'avant avec la maternelle 4 ans s'il n'y a pas un prof qui a fait une partie de sa formation en préscolaire», explique Mme Harel Bourdon.

Néanmoins, la CSDM «veut en faire, des efforts». Elle propose donc 10 classes de maternelle pour des enfants de 4 ans en difficulté, proposés par le système de santé. L'objectif est de leur venir en aide plus tôt, grâce à l'apport de spécialistes, afin de faciliter l'intégration à l'école.