Tony Accurso est un homme déterminé. Après s'être rendu, sans succès, jusqu'en Cour suprême pour obtenir le droit d'interroger le grand patron de l'UPAC, il poursuit ses démarches pour découvrir ce que les policiers ont cherché à savoir à son sujet.

Au cours des derniers jours, il a demandé à la commission Charbonneau de lui fournir tous les documents sous scellés ayant autorisé l'interception de ses conversations privées, ainsi qu'une copie de la transcription de toutes les écoutes électroniques qu'elle détient. Sa demande a été rejetée hier, mais il pourrait porter l'affaire en appel.

Si le passé est garant de l'avenir, un nouveau bras de fer pourrait s'amorcer entre la commission Charbonneau et l'ancien roi de la construction Tony Accurso.

Depuis un an, l'homme d'affaires multiplie les démarches devant les tribunaux afin d'éviter d'y témoigner. L'entrepreneur craint de s'incriminer ou d'alimenter des enquêtes policières qui seraient toujours en cours contre lui. La Cour suprême a promis de s'attaquer au dossier «en urgence» et tranchera pour de bon la question au cours des prochaines semaines.

Alors que plusieurs croyaient qu'il avait épuisé ses recours judiciaires, voilà qu'il amorce un nouveau débat.

Heures, dates et lieux des écoutes électroniques, copie des mandats des juges les ayant autorisées, renseignements divulgués dans les déclarations sous serment des policiers: Tony Accurso ne veut vraisemblablement pas avoir de surprises lors de son interrogatoire devant la Commission, qui devrait se dérouler du 2 au 5 septembre prochain.

Dans sa requête, déposée devant la commission Charbonneau le 21 juillet et dont le contenu n'avait pas été rendu public avant aujourd'hui, l'entrepreneur exige également  une liste détaillée des sujets sur lesquels on entend l'interroger ainsi que la liste des documents que l'on souhaite lui présenter. Il demande même une copie du paquet scellé de l'autorisation ayant permis l'interception de ses conversations privées.

«Contrairement à la prétention du requérant, la Commission n'a pas reçu le contenu des paquets scellés. La Commission n'est pas, par conséquent, en mesure de répondre à ce volet de la demande de communication», peut-on lire dans la décision, cosignée hier par la juge France Charbonneau et le commissaire Renaud Lachance.

Lors d'un procès criminel, les accusés ont le droit de recevoir avant le procès la preuve qui sera présentée contre eux.

«Les règles en matière de commissions d'enquête permettent d'utiliser des communications interceptées, et ce, même si une cour de justice en venait à casser le mandat les ayant autorisées. Cela s'explique par le fait que la mise en péril diffère substantiellement de celle qui existe en matière criminelle», rappellent les commissaires dans leur décision.

La commission Charbonneau s'est déjà engagée à ne pas aborder les accusations pendantes contre lui.

«Le requérant avance que considérant notre engagement à ne pas poser de questions sur les faits en lien avec les poursuites pendantes, nulle communication privée interceptée à être utilisée dans les instances criminelles ne pourrait être par conséquent utilisée par la Commission. Cette affirmation est sans fondement», écrivent les commissaires. «Une communication privée interceptée peut comporter plusieurs sujets différents dont certains n'ont aucun lien avec les accusations portées contre le requérant et s'avérer par ailleurs utile et pertinente aux travaux de la Commission.»

Contacté hier soir par La Presse, l'avocat de Tony Accurso, Me Louis Belleau, a indiqué qu'il n'avait pas encore lu la décision et donc n'avait pas encore statué sur la possibilité d'en appeler, d'abord devant la Cour supérieure.

Si tel était le cas, les intérêts de la CEIC devant les tribunaux supérieurs seraient défendus par le procureur en chef adjoint, Me Simon Tremblay, et Me Erika Porter, comme c'est le cas depuis les débuts des travaux de la Commission.

Au menu du témoignage d'Accurso

La commission Charbonneau a déjà communiqué à Accurso les questions qu'elle souhaite aborder avec lui. Plusieurs sujets d'interrogatoire ont été rendus publics en mai dernier dans la foulée de procédures judiciaires devant la Cour d'appel. La Commission veut par exemple connaître les noms de tous les passagers qui ont séjourné sur son luxueux yacht depuis sa mise à l'eau en 2004. Elle veut aussi l'interroger sur le financement des partis politiques, l'obtention de ses contrats publics et ses liens avec des membres du crime organisé. Dans la décision rendue hier, on apprend que deux nouveaux sujets se sont ajoutés début juillet: les partenariats public-privé et les activités commerciales d'Accurso avec Hydro-Québec.

Le combat d'Accurso pour éviter la Commission

18 juillet 2013

Tony Accurso reçoit une assignation à comparaître devant la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction (CEIC). À l'époque, on prévoyait l'appeler à la barre entre le 3 septembre et le 20 décembre 2013.

19 août 2013

Première démarche judiciaire d'Accurso pour éviter de témoigner devant la commission Charbonneau. Craignant de s'auto-incriminer avant ses trois procès pour fraude et corruption, il demande à la Cour supérieure de déclarer qu'il bénéficie d'une exemption constitutionnelle qui le dispense de témoigner.

18 décembre 2013

Dans le cadre de l'audition de sa cause, Tony Accurso envoie une assignation de témoin pour pouvoir interroger le grand patron de l'Unité permanente anticorruption, Robert Lafrenière. Il demande aussi qu'on lui fournisse le résumé des enquêtes en cours contre lui. Le juge Jean-François Buffoni refuse, estimant que ces informations sont protégées par le privilège de la Couronne. Accurso décide de porter les deux décisions en appel.

10 avril 2014

Après un premier revers devant la Cour d'appel en février 2014, Accurso se tourne vers la Cour suprême. Le plus haut tribunal refusera de l'entendre.

1er mai 2014

Retour devant la Cour supérieure. Le juge Jean-François Buffoni rejette la requête initiale d'Accurso visant à être exempté de témoigner. Il conclut que le témoignage de l'homme d'affaires est très important pour la Commission.

30 mai 2014

Accurso se tourne vers la Cour d'appel afin de casser le jugement du juge Buffoni. Une «expédition de pêche» devant la Commission risquerait de compromettre ses chances d'avoir un procès équitable, plaidera son avocat, Me Louis Belleau. La Cour d'appel refuse d'entendre la cause. L'affaire est portée devant la Cour suprême.

23 juillet 2014

La Cour suprême annonce que le dossier d'Accurso sera traité «en urgence». Une décision est toujours attendue. Elle devrait être rendue avant le 2 septembre, la date prévue pour son témoignage devant la CEIC. Il s'agit de sa quatrième assignation à comparaître. Cette fois sera-t-elle la bonne?