La journée de mercredi sera dure pour l'ancien ministre de la Justice Marc Bellemare; la commission Bastarache, chargée de lever le voile sur les accusations qu'il a lancées le printemps dernier, réfutera ses prétentions. Après 10 mois d'enquête, rien ne permet d'affirmer que l'ex-ministre a fait l'objet de pressions indues pour la nomination des juges à la Cour du Québec, a appris La Presse.

L'ex-juge Michel Bastarache conclut qu'on est bien loin des «pressions colossales» qu'a décrites l'ancien ministre de la Justice aux audiences publiques de la Commission, en août. Me Bellemare avait alors soutenu que Jean Charest lui avait intimé l'ordre d'obtempérer aux demandes de financiers du PLQ, notamment de Franco Fava, qui voulaient faire nommer des candidats à la magistrature.

Jean Charest et Marc Bellemare ne feront pas l'objet d'un blâme explicite, mais ils ne pourront éviter des critiques claires du commissaire Bastarache. «Il y en aura pour tout le monde», a résumé une source proche des réflexions du juge acadien.

Crédibilité mise à mal

Le verdict sera plus dur pour Marc Bellemare, dont la crédibilité sera mise à mal. Ses déclarations, au printemps 2009, avaient mis le feu aux poudres et provoqué la mise en place de la Commission, qui aura coûté environ 6 millions de dollars aux contribuables.

Après deux mois d'audiences publiques, les fameuses «pressions colossales» dont Me Bellemare se disait la cible se résument à bien peu de chose. Il est clair que bien des gens - bailleurs de fonds du PLQ et ministres libéraux - ont pu tenter d'influencer le ministre Bellemare dans le choix des magistrats. En revanche, on est bien loin d'interventions qui auraient forcé le ministre à choisir un candidat plutôt qu'un autre.

Des apparatchiks libéraux, des ministres ont pu se parler, faire des téléphones, faire des représentations auprès de Marc Bellemare, mais rien dans ces interventions ne pouvait amener le ministre à agir contre sa volonté, explique le rapport de 300 pages du commissaire Bastarache.

Devant une commission d'enquête, faute de preuve, il faut établir qu'il y a une «probabilité» dans ce qui est allégué. Le commissaire doit, un peu comme dans une cause civile, analyser la prépondérance des probabilités pour évaluer les deux versions, contradictoires, qu'il a entendues. Jean Charest avait nié avoir jamais ordonné à son ministre, en septembre 2003, de céder aux pressions de Franco Fava, un bailleur de fonds du PLQ, pour nommer ses protégés à la Cour du Québec. Dès le début des audiences, au mois d'août dernier, Jean Charest avait prévenu que rien ne démontrerait l'existence de «pressions indues» dans le choix des juges.

La Commission estime peu probable que Marc Bellemare ait raison. Il y a eu des représentations, on pourrait parler de pressions, mais Michel Bastarache estime que rien ne démontre qu'elles aient atteint un degré indu.

Critiques contre Jean Charest

Michel Bastarache n'épargne pas non plus Jean Charest. Sa poursuite en libelle diffamatoire contre son ancien ministre est venue compliquer la tâche de la Commission, créer des embûches. C'est pourquoi M. Bastarache ne voudra pas répondre aux questions des journalistes après sa présentation, mercredi après-midi: il veut éviter toute déclaration susceptible de fournir des munitions à MM. Charest et Bellemare, qui se poursuivent mutuellement.

Il est clair que l'ancien juge Bastarache aura de nombreux changements à suggérer au processus de nomination des magistrats qu'applique le gouvernement Charest depuis 2003. Durant les audiences il n'a pas caché son intérêt pour ces questions plus théoriques.

On peut prévoir que le commissaire Bastarache recommandera de réduire sensiblement le nombre de personnes informées du nom des candidats en général et de celui qui est choisi en définitive.

Aux audiences, il a été mis en preuve que plusieurs employés politiques avaient accès à ces renseignements - une proche conseillère de M. Charest, Chantal Landry, signalait même l'allégeance politique des candidats à leur dossier. Il est clair que, sous les régimes péquistes, avant 2003, la confidentialité du processus était plus rigoureusement assurée.

Le commissaire demandera aussi que le processus de formation des comités destinés à scruter les candidatures à la magistrature soit plus formel.

La commission Bastarache a confirmé lundi les informations publiées par La Presse. Le rapport sera rendu public mercredi après-midi. C'est Michel Bastarache lui-même, à la demande du gouvernement, qui fera une présentation. Le rapport compte 300 pages avec les nombreuses annexes, mais sa synthèse ne comptera qu'une quarantaine de pages.

Frictions

L'imminence de la publication du rapport a soulevé de nouvelles frictions lundi entre la Commission et l'ancien ministre Bellemare. Ce dernier avait demandé par lettre au commissaire Bastarache de lui remettre ses conclusions trois jours à l'avance afin qu'il puisse préparer ses interventions de mercredi (le gouvernement recevra le rapport mardi).

Dans une réponse transmise par lettre la semaine dernière, Me Bastarache dit avoir «suggéré au gouvernement de prendre des mesures pour répondre favorablement» à la demande de M. Bellemare. Or, le gouvernement «n'a pas jugé bon de donner suite à ma recommandation», conclut l'ancien magistrat.

Marc Bellemare estime que, sans surprise, Jean Charest fait peu de cas d'un des «principes fondamentaux de notre système judiciaire, celui de l'équité». En se gardant l'exclusivité du rapport, M. Charest «confirme que cette commission n'est en fait qu'une vaste opération de relations publiques».

Le porte-parole de Jean Charest, Hugo D'Amour, a déclaré que le gouvernement avait décidé d'appliquer pour la diffusion de ce rapport des règles «identiques» à ce qui s'était fait pour toutes les autres commissions d'enquête.

Lundi, Pauline Marois a toutefois appuyé les doléances de l'ancien ministre Bellemare. «Comme il est beaucoup mis en cause, a-t-elle dit, la demande de Me Bellemare est légitime.» Comme le premier ministre Charest aura les conclusions 24 heures à l'avance, son ancien ministre devrait avoir le même traitement, «mais on voit encore que le gouvernement ne fonctionne pas en toute transparence», a conclu Mme Marois.