Même la greffière a pleuré. Au palais de justice de Québec jeudi, la Couronne a conclu la présentation de sa preuve au procès d'Alexandre Bissonnette avec le témoignage coup-de-poing d'une adolescente, fille du héros Azzedine Soufiane.

Celle qu'on ne peut nommer puisqu'elle est mineure a témoigné au nom de sa famille. Sa mère se sentait incapable de le faire. Alors, du haut de ses 14 ans, elle l'a fait : elle s'est présentée devant le juge François Huot pour raconter les mois d'enfer vécus par elle et sa famille.

« La dernière chose qu'il a faite avant de partir à la mosquée, c'est saluer ma petite soeur. Il lui a dit "Bye, bye, ma princesse" », a raconté l'adolescente au tribunal.

Quelques minutes plus tard, Azzedine Soufiane mourait en tentant, seul, de désarmer l'assassin qui l'a atteint de cinq balles. Ç'a été le début d'un enfer pour sa veuve et ses trois enfants.

« On a dû vendre l'épicerie. Cette épicerie, c'était tout pour nous. Il y avait beaucoup trop de souvenirs de mon père là-bas pour que ma mère continue d'aller travailler là-bas tous les jours. »

Ils se sont défaits de l'épicerie Assalam - « la paix », en arabe - qui se trouve dans le quartier Sainte-Foy. La mère de famille ne se sentait pas la force de marcher dans les pas de son mari, de penser à lui tous les jours. « Je ressentais sa présence partout », a expliqué la dame dans une lettre lue à la cour. Elle s'est donc retrouvée du jour au lendemain seule pour élever trois enfants, sans travail.

« IL N'Y AVAIT PLUS NOTRE PÈRE »

La fille d'Azzedine Soufiane a raconté qu'elle avait mis du temps avant de réaliser que son père ne reviendrait pas. Elle a vraiment compris que son père était mort au retour des funérailles au Maroc. « On est arrivés à l'aéroport de Montréal, on est sortis pour revenir à Québec et c'était vide. Il n'y avait plus notre père. Il n'était pas là pour nous accueillir. C'est là qu'on s'est dit qu'il était vraiment parti, qu'on ne pourrait plus jamais le voir. »

« Ça me fait de la peine de voir ma petite soeur. Elle n'a pas eu tous les conseils que mon père nous a donnés, elle n'a pu vivre longtemps avec lui », a dit la fille du héros.

Sa mère, dans l'assistance, pleurait. Elle a dit à sa voisine : « Je ne l'ai jamais entendue dire ça avant. »

L'adolescente a livré son témoignage dignement, s'arrêtant parfois pour sangloter. Elle ne s'est jamais adressée à l'assassin, qui lui-même pleurait dans le box.

Quand elle a eu fini de parler, la salle était silencieuse. Plusieurs membres de la communauté musulmane pleuraient. Même la greffière n'a pu retenir ses larmes.

Le juge Huot s'est adressé à la fille d'Azzedine Soufiane. « Tu vas m'écouter très attentivement, a commencé le magistrat. Je n'ai pas eu l'opportunité, le privilège de connaître ton papa. Mais il est important que tu saches que ton père, il l'a prouvé par ses gestes, était un homme exceptionnel. »

« Ton père appartenait à la race des géants, ton père était un héros, a dit le juge. Sois-en fière, sois-en digne, jusqu'à la fin de tes jours. On peut voir en toi un peu de sa force. Je suis convaincu que de là-haut, il veille sur toi comme il l'a fait avec ses frères le 29 janvier 2017. »

Les plaidoiries sur la peine vont reprendre lundi. La défense doit présenter entre trois et cinq témoins. Alexandre Bissonnette, qui était obsédé par les musulmans et qui a tué six hommes à la grande mosquée de Québec, est passible de 150 ans de prison ferme.

OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

« On a dû vendre l'épicerie. Cette épicerie, c'était tout pour nous. Il y avait beaucoup trop de souvenirs de mon père là-bas pour que ma mère continue d'aller travailler là-bas tous les jours. »