On ne peut pas être pour la liberté universitaire seulement quand ça nous arrange, à la tête du client. Ces derniers jours, c’est la fâcheuse impression qui s’est dégagée du refus du gouvernement caquiste d’entériner la nomination de Denise Helly, une chercheuse connue pour ses travaux sur le racisme systémique et l’islamophobie, au conseil d’administration de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).

J’écris « fâcheuse impression » puisque, jusqu’ici, c’était la seule chose sur laquelle on pouvait se rabattre : une impression. Pas d’explications. Tout le monde se perdait en conjectures.

Voilà une semaine que cette histoire de nomination bloquée fait les manchettes. Face au refus obstiné du gouvernement de s’expliquer, profs, syndicats, étudiants et, bien sûr, partis de l’opposition ont conclu à une ingérence politique. Beaucoup ont profité de l’occasion pour souligner l’hypocrisie de ce gouvernement censeur, le même qui se faisait, il n’y a pas si longtemps, champion de la liberté universitaire.

Je m’apprêtais d’ailleurs à me joindre au concert de critiques quand le cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, est sorti de son mutisme. Voici donc, en primeur, l’explication du gouvernement : « Nous avions des réserves quant aux liens qu’a entretenus Mme Helly avec le prédicateur controversé Adil Charkaoui, nous avons donc demandé à l’établissement de nous soumettre une autre candidature. »

Rien à voir, donc, avec la nature des travaux de Denise Helly, assure Simon Savignac, l’attaché de presse de la ministre. Rien à voir, jure-t-il, avec la liberté universitaire. Mais de ça, évidemment, on peut débattre.

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En novembre 2015, Denise Helly a organisé un symposium sur l’islamophobie auquel a participé Adil Charkaoui, un Québécois d’origine marocaine soupçonné par les services de renseignement canadiens, des années auparavant, d’être un sympathisant du groupe terroriste Al-Qaïda.

« Il y avait une dizaine d’associations musulmanes, dont le Collectif québécois contre l’islamophobie dirigé par Adil Charkaoui », m’a expliqué Denise Helly en entrevue, mercredi matin. « Le colloque était organisé par quatre personnes, c’était un colloque international, on a eu des grosses têtes européennes, américaines… J’ai fait ma job, c’est tout ! » Elle ne nie pas qu’Adil Charkaoui soit « un provocateur », mais en tant que chercheuse, elle croyait pertinent de lui donner la parole.

À mon avis, ce n’est jamais une bonne idée de donner la parole à ce personnage, peu importent les circonstances.

À peine quelques mois avant ce symposium, La Presse avait révélé que l’imam avait prêché à six jeunes Québécois partis faire le djihad en Syrie. Et ses démêlés judiciaires étaient connus depuis une bonne douzaine d’années.

Denise Helly fait valoir qu’elle n’avait pas à discriminer le prédicateur, en l’absence de preuves de ses accointances djihadistes. C’est vrai, mais c’est aussi un peu court : le certificat de sécurité auquel a été soumis Adil Charkaoui a été révoqué par la Cour fédérale en 2009 parce que les services de renseignement refusaient justement de divulguer leurs preuves, craignant de mettre en péril leurs sources et leurs méthodes d’enquête. C’était ni plus ni moins une question de sécurité nationale, ont toujours invoqué les autorités fédérales.

Cela dit, Denise Helly pouvait s’intéresser au point de vue de l’imam sans l’endosser. « C’est comme si, comme journaliste, vous travailliez sur l’extrême droite et qu’on vous demandait : pourquoi êtes-vous allée voir le chef de La Meute ? Ça n’a aucun sens ! », s’indigne-t-elle.

J’y vois un certain lien avec le débat sur le « mot qui commence par un N », qui a poussé le gouvernement à légiférer pour protéger la liberté universitaire. À l’époque, on insistait beaucoup pour dire que les profs, sans endosser l’usage de ce mot, devaient avoir le droit de le prononcer en classe pour expliquer un concept, par exemple, ou pour présenter un ouvrage.

De la même manière, le fait d’inviter un individu à un symposium ne signifie pas nécessairement qu’on appuie tout ce qu’il fait ni tout ce qu’il raconte. Une chercheuse peut avoir envie d’écouter ce que son objet d’étude a à dire, en toute liberté… universitaire.

Mais voilà, il y a plus que ce symposium. Au cabinet de la ministre, on a froncé les sourcils en apprenant que, quelques mois plus tard, Adil Charkaoui avait décerné à Denise Helly un prix de reconnaissance pour ses efforts dans la lutte contre l’islamophobie. La cérémonie avait eu lieu lors d’une soirée organisée par le prédicateur, un « évènement mémorable », selon un communiqué daté du 11 avril 2016.

Certes, n’importe quel organisme peut tenter de se bâtir un semblant de crédibilité en distribuant des médailles à droite et à gauche. L’erreur est de jouer le jeu en acceptant ces honneurs bidon.

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Accepter ce prix était donc une erreur de jugement de la part de Denise Helly. Reste à savoir si cette erreur était suffisamment grave pour que le gouvernement refuse d’entériner sa nomination au conseil d’administration de l’INRS. Et si ce refus viole la Loi sur la liberté académique dans le milieu universitaire adoptée par ce même gouvernement en juin 2022.

Après tout, l’autonomie des universités est un principe enchâssé dans cette nouvelle loi…

Normalement, entériner le choix des membres de l’INRS n’aurait dû être qu’une formalité, selon la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU). Denise Helly avait été élue par ses pairs, le Ministère n’avait qu’à apposer son sceau.

Simon Savignac rétorque que non, le gouvernement ne fait pas que du rubber stamping ; la décision d’accepter ou non une candidature demeure la prérogative de la ministre et cette dernière prend le processus de vérification au sérieux. « Le gouvernement a une responsabilité, quand il nomme des administrateurs. »

Bien que le gouvernement ne rejette que très rarement des candidatures, il ne s’attendait pas à une telle levée de boucliers. Son problème, je crois, vient en partie du fait qu’il s’est longtemps muré dans le silence. Appelons ça un excès de discrétion ministérielle.

« La machine à spéculations est partie en vrille, on en est conscients », admet Simon Savignac.

Résultat, on soupçonne maintenant le gouvernement d’avoir écarté une professeure dont les champs d’expertise ne cadrent pas avec le programme de la Coalition avenir Québec. Denise Helly elle-même s’estime victime de « profilage idéologique ».

Si c’était vrai, ce serait extrêmement grave. Mais ce ne l’est pas – en tout cas, pas si l’on en croit le gouvernement. Le seul problème, affirme-t-il, c’était Adil Charkaoui.

L’imam est si controversé que la ministre Pascale Déry a sans doute voulu éviter que la nomination de Denise Helly ne revienne la hanter un jour. À mon avis, toutefois, la ministre n’aurait pas dû rejeter la candidature de cette chercheuse pour une erreur de jugement qui n’invalide pas l’ensemble de sa carrière.