En politique internationale comme dans les relations humaines, je me méfie de ceux qui invoquent la volonté divine pour justifier leurs agissements.

Dieu, s’il existe, n’avait sûrement pas idée au départ des conneries qu’on lui mettrait sur le dos, le pauvre.

Quand la journaliste Marie-Christine Bergeron a demandé à un homme pourquoi il a donné son sperme à des dizaines (en vérité des centaines) de femmes, il a répondu que Dieu est son guide.

L’homme, voyez-vous, a eu des enfants et n’est plus marié. Selon sa compréhension des règles divines concernant la masturbation, il ne faut pas que la semence de l’homme sorte en vain de son corps. Ces spermatozoïdes – les élus – doivent être utiles.

C’est ainsi que lui et son fils ont parcouru le Québec en tant que « donneurs artisanaux », comme l’a raconté le documentaire Père 100 enfants1. Sans frais, ils offraient leur sperme à des mères, qui se l’injectaient elles-mêmes au moyen d’une seringue. Ils fournissent même des certificats médicaux.

Ils ne sont pas les seuls, mais ils sont les plus prolifiques, de très loin. Le documentaire parle de 225 enfants issus de leurs dons. Un mois après la diffusion, le compte est à… 473. Et Marie-Christine Bergeron, qui est aussi cheffe d’antenne à Noovo Info, reçoit chaque jour de nouveaux témoignages de mères (transparence : je collabore à cette antenne).

Le hic (enfin, un des nombreux hics), c’est que l’homme prétend n’offrir son sperme qu’à une dizaine de familles au maximum. Dans ce contrat sans argent entre ces mères et ces donneurs bénévoles, on voit donc tout de suite qu’il y a un léger décalage dans les prétentions…

Pour le DPierre Miron, cette affaire est « une bombe ». Elle illustre les effets pervers des règles actuelles entourant la procréation assistée… et surtout l’absence de règles.

Spécialiste en la matière, il a cofondé Procréa et est maintenant à la tête de Fertilys. Pour lui, la situation est le fruit d’un laisser-faire législatif de gouvernements pourtant dûment avertis des risques de santé publique.

Les risques ne sont pas purement théoriques : des centaines de personnes dans la région de Montréal se promèneront avec un bagage génétique commun. Qui sait, au fait, si ces deux donneurs ne sont pas porteurs du gène d’une maladie rare, qui n’a pas été détectée ?

Grâce notamment aux efforts de Pierre Lavoie, plusieurs maladies rares peuvent être détectées au moyen d’un simple test de salive pour les gens issus de certaines familles du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Mais manifestement, cette précaution n’est pas prise pour des donneurs « artisanaux ». En soi, ce ne serait pas si sérieux… si ces gens n’étaient pas des ultra-donneurs.

Car à l’heure actuelle, rien en principe n’interdit d’être donneur bénévole pour 10, 50, 500 ou 5000 mères. Plusieurs pays ont des lois à ce sujet, limitant par exemple le nombre de dons à 10 familles, ou à 25 mères, selon l’État. Les contrevenants peuvent être sanctionnés.

Ce système parallèle existe en partie à cause des coûts du système privé ou de la lenteur du système public de procréation assisté – l’État paie six tentatives. C’est beaucoup plus simple de trouver un donneur sur l’internet – sans compter que le sperme « frais » est deux fois plus efficace que le sperme congelé. Mais c’est beaucoup plus risqué aussi.

Ce système parallèle existe aussi parce que le gouvernement fédéral a décidé, il y a 20 ans, que tout le matériel génétique serait hors commerce. Il découle de la Loi sur la procréation assistée de 2004 qu’on ne peut recevoir de rémunération pour un don de sperme.

Résultat : les banques de sperme canadiennes sont tombées à sec. Car le don de sperme bien encadré suppose beaucoup plus que quelques coups de poignet : il faut un test sanguin et toutes sortes d’examens.

Ironiquement, m’explique le DMiron, quand on a cessé de verser 40 $ (ou à peu près) à des donneurs, les banques canadiennes se sont mises à importer du sperme américain… qui coûte aux dernières nouvelles 738 $ la « paille » (oui, madame, cela se vend à la paille). Ce sperme est ensuite congelé ici, et utilisé pour insémination ou fertilisation.

Depuis longtemps, le DMiron milite pour la création d’un registre national des donneurs, pour des raisons sanitaires et génétiques évidentes. Cela existe en France.

Une banque de sperme pourrait aussi fort bien être gérée par un organisme du style Héma-Québec, pour mettre de l’ordre et de la sécurité dans ce système.

En 2010, la Cour suprême a invalidé une partie de la loi fédérale sur la procréation assistée (en maintenant l’interdiction du clonage et la rémunération pour les mères porteuses, etc.). Mais le Québec, qui avait pourtant défendu vigoureusement sa compétence en matière de santé, n’a pas agi depuis.

Bien entendu, personne n’avait pu deviner que deux envoyés de Dieu iraient aussi loin dans la distribution de leur ADN.

Mais maintenant qu’on le sait, au nom de toutes les femmes désespérées devant les difficultés de procréer, et de toutes celles dont les enfants se découvriront bientôt des centaines de demi-frères et de demi-sœurs, le DMiron ne veut plus interpeler le gouvernement québécois ; il l’a fait trop souvent.

Il le supplie d’agir.

Cette « bombe » montre par l’absurde qu’il a raison.

1. Père 100 enfants, de Marie-Christine Bergeron et Maxime Landry, sur Crave