À cause de sa bouille qui semble très sympathique, de sa robe bicolore et de son air de gros nounours, le panda semble venir d’une autre planète.

Il fait la fierté de sa Chine d’origine, qui n’hésite pas à instrumentaliser sa vedette pour faire mousser ses relations internationales. Le panda est si précieux qu’en 2012, un entrepreneur chinois a essayé de valoriser ses excréments dans une culture de thé de luxe. Pas besoin de vous dire que ce breuvage provenant des plantes fertilisées avec le caca de panda allait coûter la peau des fesses.

Au début de son projet, le promoteur espérait vendre le premier lot de 500 grammes pour 35 600 $. Que voulez-vous ? Quand on est une si grande vedette du show-business animalier, même notre crotte bien authentifiée peut valoir de l’or. Puisque le mangeur de bambou au très bon transit produit une cinquantaine d’évacuations par jour, il y avait matière à faire un plan d’affaires. M. Yanshi (prière de bien prononcer à l’asiatique) s’est fait un gros tas de fric. De l’argent qui, pour une fois, ne manquait pas d’odeur.

Si je vous parle de panda, c’est aussi pour marquer la rencontre entre le président américain et celui de la Chine. Entre Joe Biden et Xi Jinping, ce ne sont pas les dossiers à discuter qui manquaient pendant leurs retrouvailles californiennes que beaucoup d’observateurs ont qualifiées de très fructueuses. L’ouverture au dialogue semblait incarnée et bilatérale.

Malheureusement, pendant que son invité s’éloignait, Biden a encore traité Xi de dictateur. Au lieu de surfer sur la vague en chantonnant Good Vibrations au pays des Beach Boys, il a plutôt dû ramer pour adoucir sa définition de la dictature.

Heureusement pour Joe, avec une économie chancelante et un désir de ramener les investisseurs américains, le président chinois a bouché ses oreilles devant l’attaque. Il sait que les investisseurs s’offusquent rarement devant les méthodes dictatoriales quand il y a de l’argent à faire. Pensons simplement à notre cher premier ministre, si prompt à verser la larme devant le malheur et l’injustice, mais qui a trouvé 14 milliards de raisons de se consoler lors de la vente de blindés canadiens à cette grande championne des droits de la personne qu’est l’Arabie saoudite.

PHOTO KEVIN LAMARQUE, ARCHIVES REUTERS

Le président chinois, Xi Jinping, et le président américain, Joe Biden, en marge du sommet de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC), mercredi

En attendant la suite de cette romance sino-américaine, souhaitons à Xi Jinping de ne pas croiser son ami Justin Trudeau au sommet de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC). À défaut de le chicaner encore, peut-être lui dira-t-il qu’il est chanceux de faire un face-à-face avec lui plutôt que de croiser Narendra, qui est encore plus en maudit contre lui. Rien à craindre pour Trudeau, car Narendra ne sera pas du sommet.

Espérons aussi qu’à la suite de cette fructueuse rencontre, Xi Jinping permettra aux Américains de retrouver les pandas que la Chine, bien fâchée contre leur gouvernement, avait confisqués. Les pandas chinois sont des ours velus qui tolèrent le froid, mais pas le froid diplomatique. Or, ces dernières années, entre la Chine et les États-Unis, ce n’est pas le grand amour. Ce qui a amené Pékin à rapatrier les animaux qui faisaient le bonheur des visiteurs du zoo de Washington.

La Chine prête des pandas aux amis et les reprend avec fracas quand la chicane culmine. J’ai bien dit avec fracas, car je suis bien convaincu qu’à notre époque où l’image nous vaut mille maux, ramener à la maison ces sympathiques balourds bicolores frappe davantage l’imaginaire collectif que le rapatriement d’un obscur diplomate dont personne ne regardera les joyeuses péripéties sur YouTube. Le torchon a brûlé depuis si longtemps entre les deux pays que la Chine a presque eu le temps d’achever la dépandatisation de l’Amérique en rapatriant aussi les pensionnaires des zoos de San Diego et de Memphis.

Pourquoi la Chine règne-t-elle sans partage sur la génétique du panda ? D’abord, cette injuste appropriation est facilitée par le très faible taux de reproduction de l’espèce. Les femelles font entre cinq et huit petits pendant leur existence. Il y a aussi le fait que dans la nature, le panda ne se retrouve désormais que sur le territoire chinois.

Pourtant, au paléolithique, le panda existait dans bien d’autres régions de l’Asie du Sud-Est. C’est la sédentarisation, la prédation et le déboisement intensif qui ont précipité la disparition de l’espèce à l’extérieur des frontières chinoises.

Profitant de ce privilège cosmique, ce pays a décidé que le panda lui appartient. Il est donc impossible d’en adopter ou d’en acheter. La location étant la seule option, même les petits nés dans un tiers pays sont des propriétés chinoises.

Une injustice qui mériterait d’être contestée. Quand on y pense, la Chine a le droit de posséder des girafes, mais l’Afrique ne peut pas posséder des pandas. Pourtant, la girafe est un peu à l’Afrique ce que le grand panda est à la Chine. Imaginez si tous les pays imitaient la Chine en réclamant un droit de propriété sur les animaux endémiques de leur territoire. La diplomatie de la girafe africaine côtoierait celle du très solitaire panda chinois.

Le panda est si solitaire dans la nature qu’il est difficile de lire ses intentions dans ses expressions corporelles. Contrairement aux chiens et aux chats qui communiquent avec leur face, leur posture, leur queue et le mouvement de leurs oreilles, le panda n’a pas évolué pour exceller dans la communication sociale. Malgré son visage qui semble bien sympathique, il est aussi difficile de décoder le panda que de lire les intentions de Xi Jinping sur son visage, aussi souriant soit-il.