Bizarrement, c’est quand j’ai appris que le Groupe TVA souhaitait transformer l’édifice de TVA situé à l’angle du boulevard De Maisonneuve Est et de la rue Alexandre-DeSève en logements sociaux que j’ai pris la mesure de la tragédie.

Les mots me manquent pour qualifier ce que le grand patron de Québecor, Pierre Karl Péladeau, a annoncé jeudi. Pour un coup de semonce, c’en est tout un. On connaît son côté alarmiste et ses attaques à répétition contre ses concurrents (Radio-Canada, Bell, etc.). D’innombrables fois, il a alerté l’opinion publique sur la crise qui frappe les médias, régulièrement il s’en est pris à l’inertie du gouvernement.

C’est son droit, sa manière de faire.

Mais l’annonce faite jeudi après-midi n’a rien d’un vulgaire coup de théâtre : elle confirme la gravité de la situation : 547 employés, dont 300 en production interne, perdront leur emploi au Groupe TVA. Au total, cela représente 31 % de l’effectif actuel. Cela s’ajoute aux 140 postes supprimés en février. C’est énorme pour une population comme le Québec.

Cette saignée a été qualifiée de « journée la plus noire de notre histoire » par le Syndicat des employé(e)s de TVA. Pas besoin de vous dire que des larmes ont coulé sur les joues des employés jeudi lorsque la nouvelle a été annoncée. À cela vont se greffer l’inquiétude et le stress.

Voilà un beau temps des Fêtes en perspective pour des centaines de parents !

« C’est une véritable bombe qui vient de tomber dans les médias », a dit Sophie Thibault, jeudi à 17 h, en présentant sans doute le bulletin de nouvelles le plus « inconfortable » de sa carrière.

L’émotion et le malaise étaient palpables sur les visages de ses collègues Emmanuelle Latraverse, Mario Dumont et Paul Larocque. Ce dernier a précisé qu’en 32 ans de carrière, deux autres évènements étaient comparables à ce qu’il vivait : la mort de Gaétan Girouard et celle de Jean Lapierre.

Il a aussi dit, avec justesse, qu’aucun média au Canada n’était à l’abri de ce genre de situation.

TVA doit pouvoir compter sur de solides revenus publicitaires pour permettre à ses centaines d’employés de travailler et de créer. Mais voilà, ces revenus ne sont plus au rendez-vous (malgré d’excellentes cotes d’écoute) face à l’intrusion massive des géants du monde numérique.

Pierre Karl Péladeau a dit que cette restructuration ne se verrait pas à l’antenne. Je le crois. Mais n’empêche…

TVA était la dernière chaîne de télé qui conservait à son service des professionnels capables d’assurer la production interne. À l’instar d’autres chaînes (Radio-Canada, Télé-Québec, chaînes spécialisées, etc.), elle confiera maintenant la grande majorité de ses émissions à des entreprises privées. Souhaitons qu’un bon nombre d’employés qui perdront leur poste pourront être embauchés par ces boîtes.

Dans l’angle mort de cette restructuration, il y a la centaine de postes liés aux activités des stations régionales de TVA. On nous dit que la production de bulletins de nouvelles des antennes régionales passera dorénavant par les équipes de la capitale nationale et que la « diversité » sera respectée. Il faudra voir ce que cela veut dire.

J’ai rencontré Pierre Karl Péladeau en mai dernier à son bureau. Il m’avait laissé entendre que LCN pourrait passer à la trappe. Mais les chaînes de Québecor ont des obligations de production d’information face au CRTC. On a donc décidé de couper dans la production des émissions.

Maintenant que le personnel assurant les bulletins de nouvelles, l’émission Salut Bonjour, la programmation de LCN et certaines émissions de TVA Sports sera centralisé, va-t-on en profiter pour effectuer d’autres coupes ? La chose est à prévoir.

En août dernier, lorsqu’on a appris la fermeture des journaux Métro, je me suis demandé combien il faudrait de fermetures et de licenciements pour que l’on saisisse l’ampleur du drame qui se joue.

Lisez la chronique « Combien en faudra-t-il ? »

Vous voulez d’autres chiffres ? Bell (dont CTV) : 1300 postes supprimés ; Corus Entertainment (dont Global) : 250 postes ; Coops de l’information : 125 postes ; Postmedia : 70.

Hier c’était les journaux, aujourd’hui ce sont les télés. Et demain les radios ?

Ça fait une dizaine d’années que le gouvernement fédéral tente de stopper l’hémorragie. Les ministres du Patrimoine canadien défilent… Mélanie Joly, Pablo Rodriguez… Et maintenant Pascale St-Onge, qui se retrouve avec les plans de ses prédécesseurs.

Cette dernière hérite sans doute du plus gros défi de sa carrière. C’est sur ses épaules qu’une énorme pression va maintenant retomber. Elle aura le choix entre le maintien de la stratégie mise de l’avant pour forcer les géants du numérique à négocier avec les médias ou un nouveau coup de poker.

Récemment, elle s’est dite ouverte à la création d’un fonds pour les médias financé par Google. J’aime cette avenue et cette ouverture d’esprit. Je crois qu’à Ottawa (tout comme à Québec où le ministre Mathieu Lacombe a été prompt à dire jeudi qu’on devait revoir le système d’aide aux médias d’information), on a compris que toutes les idées devaient être envisagées pour permettre aux médias de se sortir de cette terrible spirale.