Le 25 mai, je vous racontais la vie et la mort de Fabienne Houde-Bastien, 31 ans, happée par une voiture dans une collision causée par un chauffard ivre1. Ça s’est passé coin Saint-Laurent et Jean-Talon.

Sa famille souhaitait que soit racontée l’histoire de Fabienne, la femme, la sœur, la tante, la fille. Qu’elle ne soit pas simplement la « piétonne » des dépêches relatant ce fait divers.

On ne savait rien du chauffard accusé, Vi Trung Ngo. On savait qu’il a 47 ans. On savait qu’il avait bu. On savait qu’il avait provoqué l’accident en brûlant un feu rouge, direction ouest, sur Jean-Talon, percutant le véhicule qui a été projeté sur Fabienne.

Mardi, dans La Presse, le journaliste Louis-Samuel Perron a révélé des informations qui permettent d’en savoir plus sur Vi Trung Ngo2.

Je vais résumer : c’est un type qui se contre-crisse d’autrui.

Ça n’a pas été dit comme ça à la Cour, bien sûr.

Mais ce que la Cour a appris lors de l’enquête sur remise en liberté de Vi Trung Ngo, propriétaire du garage Auto Vi dans Rosemont, relève de la sociopathie.

Le citoyen Ngo cumule plus de 40 constats d’infraction dans son historique de conduite. Il a été pincé quatre fois à manipuler son cellulaire au volant ; deux fois pour avoir brûlé un feu rouge.

Devinez combien de fois le chauffard Ngo a reçu des tickets pour ne pas avoir eu son permis de conduire en sa possession ?

Cinq !

Je cite la Couronne : « Il est incapable de respecter les règles les plus élémentaires, il n’y a pas plus basique que ça [avoir son permis lorsqu’on conduit]. Ça montre le portrait de quelqu’un qui n’apprend pas de ses erreurs. »

Et un mois avant l’accident qui a tué Fabienne Houde-Bastien, Vi Trung Ngo a heurté un véhicule à basse vitesse… Sous le regard de policiers ! Sa « défense » : il leur a menti en disant que le véhicule qu’il venait d’accrocher était celui… d’un de ses employés.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

La victime, Fabienne Houde-Bastien

Bref, le gars est un danger public qui n’a jamais rien appris de ses nombreuses contraventions et qui bafoue les règles élémentaires de prudence à répétition. Le genre d’écervelé qui est une bombe à retardement sur nos routes.

J’ajoute que Vi Trung Ngo affichait un taux d’alcool de 0,213 (213 milligrammes par 100 millilitres de sang, selon la preuve qui n’a pas été jugée sur le fond) quand il a été impliqué dans l’accident qui a tué Fabienne. C’est près de trois fois la limite légale de 0,08.

Petite mise en contexte avant d’aller plus loin. Le Canada a choisi de fixer à 0,08 la limite légale pour conduire un véhicule. C’est une limite très, très généreuse : c’est 0,05 en France, en Italie, au Danemark, aux Pays-Bas, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Suisse et en Allemagne.

En Suède et en Norvège ? C’est 0,02.

Évidemment, pour des sociopathes comme Vi Trung Ngo, la limite légale importe peu. Ces gens-là se fichent du mal qu’ils peuvent causer à autrui, une fois au volant, soûls ou pas.

Non, je fais la mise en contexte du point-zéro-huit pour expliquer que cette limite nous semble « raisonnable » parce qu’elle est la limite légale. Dans les faits, quand vous êtes à 0,08, vous avez beaucoup bu et votre jugement d’automobiliste s’en trouve déjà grandement altéré3.

CAA-Québec l’explique très bien sur son site web4 : pour atteindre le seuil de 0,06, un homme doit boire six consommations en six heures. Et il sera toujours « légal ».

On ne peut que spéculer sur le nombre de consommations englouties par le chauffard Vi Trung Ngo, dans les heures qui ont précédé l’accident qui a tué Fabienne Houde-Bastien… Seul son barman le sait.

Mais je vais m’étirer le cou et y aller avec cette formule : il a bu comme un trou, avant l’accident. Avec une alcoolémie de 0,213, Vi Trung Ngo a bu au-delà d’une dizaine de verres avant de prendre le volant.

L’avocat de Ngo, MRoberto Fragasso, lui, a dit à la Cour que le dossier de conduite catastrophique de son client « ne révèle absolument rien » sur Vi Trung Ngo… 

Permettez, Maître, que je souligne mon bonheur de vivre dans un pays où les accusés ont droit à un avocat qui leur fournit une défense pleine et entière, c’est la marque d’un État de droit. Mais il y a des criminalistes qui n’ont pas peur du ridicule quand vient le temps de choisir les mots pour dédouaner leurs clients… Et vous en faites partie, Maître.

Vi Trung Ngo, lui, je le souligne, ne se considère pas comme un alcoolique. Il est pourtant en thérapie fermée pour alcooliques, une cure de six mois. C’est quand même curieux de faire une thérapie pour régler un problème qu’on nie.

Oh, j’oubliais : le garagiste avait apparemment subtilisé le véhicule d’un de ses clients du garage Auto Vi pour sa petite balade funeste du 21 mai !

Et il a un dossier criminel pour non-respect de condition et supposition de personnes.

Dans ce contexte, le citoyen raisonnable pourrait penser que le juge Pierre Dupras aurait décidé de ne pas remettre Vi Trung Ngo en liberté, en attente de son procès, tant il a bafoué de règles dans le passé…

Mais ce citoyen raisonnable ne comprend pas les voies impénétrables du Droit. Je cite le texte de Louis-Samuel : aux yeux du juge, « il n’est pas nécessaire de détenir Vi Trung Ngo pour assurer la sécurité du public et pour maintenir la confiance de la population envers la justice… ».

Si je comprends bien le raisonnement du juge, le chauffard a :

  • bafoué à répétition le Code de la sécurité routière ;
  • conduit à répétition sans son permis ;
  • subtilisé le véhicule d’un client pour conduire ivre mort avant d’être impliqué dans un accident mortel ;
  • menti à des policiers…

Mais ce chauffard est digne de confiance pour se tenir à carreau le temps avant que commence son procès ?

Wow.

Il y a des juges qui sont débranchés de la population dont ils sont chargés d’apprécier la proverbiale « confiance dans le système de justice ».

1. Lisez la chronique « Fabienne, plus qu’une piétonne » 2. Lisez l’article « Mort de Fabienne Houde-Bastien : le chauffard avait un taux d’alcool de près de trois fois la limite » 3. Consultez l’article de Radio-Canada « Alcool au volant : 0,08, une limite dangereuse ? » 4. Consultez l’article du CAA « Élimination de l’alcool : cinq mythes déboulonnés »