Huit petites secondes. C’est exactement le temps qu’il nous a fallu pour transformer l’un des trois chargeurs de cinq balles vendus avec notre carabine SKS en un chargeur à haute capacité prohibé de 30 balles.

La méthode, connue de plusieurs experts à qui nous avons parlé pour cette enquête, ne nécessite pas d’équipement sophistiqué. C’est exactement la même procédure utilisée par Richard Bain pour commettre son attentat au Metropolis, en septembre 2012, avec un chargeur prohibé de 30 balles modifié peu de temps avant de passer à l’acte.

Au Canada, le Code criminel interdit catégoriquement de posséder un chargeur de plus de cinq balles pour la plupart des armes longues, sous peine d’accusations criminelles. La limite est fixée à 10 balles pour les pistolets et les armes de poing.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Des chargeurs haute capacité de calibre 7,62 x 39 mm vendus avec la carabine SKS que nous avons achetée. Ces trois chargeurs sont limités à cinq balles par un mécanisme rudimentaire, que nous avons désactivé en 8 secondes.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

La SKS illégale achetée par notre journaliste tire des balles de calibre 7,62 x 39 mm.

Plutôt que de fournir d’emblée des chargeurs de plus petite capacité, plusieurs fabricants d’armes de nouvelle génération fournissent de facto des chargeurs de 30 balles, qui sont limités à cinq balles grâce à un mécanisme controversé.

Nous l’avons désactivé en huit secondes sur l’un des trois chargeurs fournis avec l’arme à feu non immatriculée d’ancienne génération que nous avons achetée par le biais d’une annonce sur le groupe Facebook SKS Québec vente interdite.

L’avocat Francis Boucher, qui possède lui-même plusieurs armes à feu, dit que des sites internet en Alberta vendent des chargeurs de 30 balles non protégés par le mécanisme, car « plusieurs tireurs préfèrent les installer eux-mêmes parce qu’ils trouvent que ceux posés en usine provoquent des enrayages ».

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre fédéral de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc

Le ministre fédéral de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, de passage à la fin d’octobre devant le Comité permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants du Sénat, a annoncé l’intention du gouvernement d’interdire ces chargeurs modifiés, que les policiers saisissent régulièrement lors de frappes visant le crime organisé.

L’avocat Rodolphe Bourgeois, un spécialiste du droit des armes à feu qui qualifie de « ridicule » l’efficacité du mécanisme de contrôle, croit que le gouvernement fédéral aurait avantage à réglementer plus rigoureusement les pièces détachées d’armes à feu.

« Ce sont les mêmes failles dans la loi qui permettent par exemple d’acheter, sans permis, des canons pour des armes à feu imprimées avec une imprimante 3D », explique-t-il.

« En Allemagne, ils ont décidé de réglementer les canons, et ça fonctionne assez bien. C’est de loin la pièce la plus difficile à fabriquer », résume-t-il.

Arme remise à la police

L’arme à feu acquise dans le cadre de cette enquête a été remise au SPVM à la fin de nos recherches, pour qu’elle soit détruite de façon sécuritaire. Le mécanisme du chargeur le limitant à cinq balles, que nous avons retiré pour des fins de démonstration, a été réinstallé immédiatement. Tous les chargeurs, ainsi que les munitions restantes, ont aussi été remis au SPVM.