Le pilote Raymond Boulanger, l’une des figures les plus « marquantes de l’histoire criminelle du Québec et du Canada », s’est éteint mardi de causes naturelles, a appris La Presse.

« Je lui ai parlé la veille au soir », raconte Anne Roy, voisine et amie du pilote mercenaire. « Je lui ai apporté de la nourriture et il m’a dit qu’il n’allait pas bien, mais jamais je n’aurais cru que c’était la dernière fois que je lui parlais », dit-elle, la voix étranglée par l’émotion.

Âgé de 76 ans, Raymond Boulanger aura passé près de 20 ans de sa vie derrière les barreaux pour avoir posé un Convair transportant 4000 kg de cocaïne à Casey, en Haute-Mauricie, le 18 novembre 1992, au terme d’une longue cavale aérienne.

Il souffrait depuis de nombreuses années de graves problèmes de santé, affligé notamment d’un cancer rare. « Il testait des médicaments expérimentaux, mais il avait décidé à l’automne d’arrêter ses traitements », raconte Mme Roy. Dès lors, elle a vu son ami dépérir à vue d’œil. « Je lui faisais tout le temps de la soupe, et j’allais cogner à sa porte pour la lui donner. C’était tout ce qu’il pouvait manger. »

Mais jamais n’a-t-elle senti que Raymond Boulanger ne tenait plus à la vie : « Il ne parlait jamais de la mort et il avait plein de projets », se désole-t-elle. Une télésérie de fiction mettant en vedette le comédien Patrick Huard et consacrée à la vie de M. Boulanger devait notamment voir le jour.

Lisez la chronique « Patrick Huard incarnera le pilote Raymond Boulanger »

Raymond Boulanger a été retrouvé sans vie mardi dans son appartement du Château Saint-Ambroise, dans le Sud-Ouest. Il y vivait depuis 2013, après avoir bénéficié d’une libération conditionnelle. « Raymond, ici, c’était devenu un peu comme une rock star », estime Mme Roy, qui l’a connu à ce moment.

« Une vie peu banale »

« C’est un criminel québécois qui a eu une vie peu banale et une carrière criminelle peu banale », lance Daniel Renaud, journaliste affecté aux affaires criminelles à La Presse et auteur de la biographie Raymond Boulanger – Le pilote mercenaire, parue en 2013.

L’arrestation de celui que l’on surnommait « le pilote de Casey », qui arrivait de Colombie, et la saisie de son bimoteur, qui contenait également 45 barils d’essence, « ont marqué l’histoire criminelle du Canada », avance son biographe. Le pilote de brousse avait au préalable été pourchassé par deux CF-18 de l’aviation canadienne et avait tenté de nombreuses manœuvres pour les semer.

Dans les années qui ont suivi la publication de Raymond Boulanger – Le pilote mercenaire, Daniel Renaud et le protagoniste de l’ouvrage avaient développé une complicité. « À une certaine époque, on prenait un café ensemble environ une fois par mois […], mais ces dernières années, on s’est moins vus, il était plus malade, il avait des hauts et des bas. »

« Carrière internationale »

En plus de ses activités auprès des cartels colombiens, M. Boulanger a travaillé pour la CIA et il a maintes fois affirmé avoir croisé la route du célébrissime narcotrafiquant Pablo Escobar.

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Raymond Boulanger et Jaime Orlando Restrepo Lujan, ancien membre du cartel de Medellín, en février 2023, à Montréal

Raymond Boulanger, avance Daniel Renaud, refusait de parler de certains pans de sa carrière criminelle. Mais « je l’ai toujours cru quand il me disait qu’il occupait une place plutôt importante au sein des cartels colombiens ». Or, des affirmations du pilote mercenaire demeurent pour beaucoup invérifiables. « Il m’avait déjà dit que les cartels [colombiens] avaient l’intention d’acheter un aéroport dans le Nord québécois, dans les années 1990 », donne en exemple M. Renaud.

Ne serait-ce que pour cette « carrière internationale », Raymond Boulanger se taille une place parmi les criminels marquants du pays, croit-il. Pour autant, le reporter de La Presse ne banalise pas ses gestes. « Il a tenté d’importer 4000 kg de cocaïne. La cocaïne, ça tue des gens et ça détruit des familles, il ne faut pas perdre ça de vue. »

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Raymond Boulanger et son fameux clin d’œil, après une comparution au palais de justice de La Tuque

De M. Boulanger, qui a également fait l’objet de la série documentaire Le dernier vol de Raymond Boulanger, il retiendra aussi la manière. « Lors d’une comparution au palais de justice de La Tuque, il avait fait un clin d’œil aux caméras, et ça, c’était resté », se souvient M. Renaud. Et au chapitre des choses qui resteront figure également son chat bien-aimé, qu’il avait nommé Casey dans un clin d’œil – imagé celui-là – à son passé criminel.

Les heures avant l’arrestation du 18 novembre 1992

21 h 30

L’avion piloté par Raymond Boulanger décolle d’une piste clandestine du nord de la Colombie avec à bord trois complices colombiens, 4000 kg de cocaïne et des réservoirs d’essence. Peu après le décollage, le Convair est repéré sur les radars des autorités.

2 h

Contraint de dévier de la route prévue, Boulanger affronte une tempête peu avant d’arriver à la hauteur des Bermudes. « L’appareil a été malmené par des vents de face d’environ 150 nœuds », racontera-t-il plus tard. Au même moment, deux CF-18 des Forces armées canadiennes décollent de la base de Goose Bay, au Labrador, pour intercepter le Convair 540.

5 h

Les avions de chasse interceptent l’aéronef de Boulanger et le suivent à bonne distance, puis l’un d’eux s’en approche. « J’ai vu le pilote me faire signe de descendre avec le pouce. Je lui ai répondu en lui faisant bye-bye », raconte Boulanger. Les CF-18 abandonnent la poursuite avant de manquer de carburant.

8 h 45

Boulanger atterrit à Casey, mais les trafiquants envoyés par la mafia italienne pour prendre en charge la cargaison ne sont pas au rendez-vous. Impatientés, ils ont quitté les lieux une heure plus tôt. Boulanger et les trois Colombiens tentent sans succès de joindre les responsables de l’opération et d’appeler un avion taxi.

14 h 15

Les deux CF-18, qui avaient repris la poursuite, survolent la piste de Casey. Se sachant repéré, Boulanger hèle un camionneur de la Stone Consolidated qui le conduit dans les locaux de l’entreprise.

15 h 15

Résigné, Boulanger sirote tranquillement un café au moment où les policiers l’arrêtent.