Victoire pour une jeune famille d’agriculteurs menacée d’expropriation pour l’eau potable qui se trouve sous sa terre. La Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) vient de refuser la demande de Saint-Antoine-de-Tilly qui voulait y creuser un puits pour alimenter le village qui manque d’eau.

« On a un énorme poids qui est tombé », soupire Véronique Letendre, copropriétaire de la ferme Marijoli avec son conjoint Jérôme Lizotte. « Ils nous ont fait passer par toute une gamme d’émotions », ajoute l’éleveuse, qui est sur le point d’accoucher de son sixième enfant.

Le village de Saint-Antoine-de-Tilly, dans Chaudière-Appalaches, manque d’eau pour ses 1700 résidants, au point qu’il a parfois dû recourir à des camions-citernes.

Il s’alimente actuellement à partir de deux puits municipaux qui exploitent une même zone aquifère. Ils ne suffisent pas à la demande. La municipalité a même mis un frein à son développement au cours des dernières années afin de rendre conformes ses équipements de traitement d’eau.

Après avoir réalisé plusieurs forages exploratoires, la municipalité s’est adressée au tribunal administratif afin de pouvoir utiliser une portion des terres de la ferme Marijoli à des fins « non agricoles » pour répondre à « une problématique de santé publique, soit la pénurie d’eau potable ».

« On a tout vendu, on a tout liquidé pour acheter cette ferme-là. On est partis de zéro […]. On s’est lancés là-dedans tête baissée pour donner de belles valeurs à nos enfants », souligne Mme Letendre.

Demande rejetée

Le site visé, d’une superficie approximative de 3700 mètres carrés, était situé à environ 89 mètres de l’élevage de bovins de la ferme Marijoli et à proximité de plusieurs bâtiments agricoles.

« Le demandeur doit faire la démonstration qu’il n’existe pas, hors de la zone agricole et sur le territoire de la municipalité, un espace approprié disponible pour y réaliser le projet », peut-on lire dans la décision de 18 pages rendue le 14 février.

« Un refus comporte des conséquences ; la Commission en est consciente, ajoute-t-on. La connaissance de l’enjeu est connue depuis plusieurs années et le site retenu permettrait de pérenniser l’approvisionnement en eau des citoyens de cette municipalité. Toutefois, compte tenu de ce qui précède, l’incertitude demeure concernant la possibilité de localiser le puits ailleurs, notamment dans la même zone aquifère, mais vers le sud, de manière à éliminer ou à diminuer les impacts anticipés et les contraintes qu’une autorisation comporterait sur le territoire et les activités agricoles. »

« Cette situation ne peut pas durer »

Appelée à réagir vendredi, la municipalité n’était pas en mesure d’indiquer si elle comptait porter la cause en appel.

« On prend acte de la décision de la CPTAQ. Malheureusement, il est trop tôt pour nous prononcer », a indiqué le maire Richard Bellemare en entrevue. « On verra quelles sont les mesures qu’on prendra par la suite. »

Ce dernier a ajouté que le dossier de la pénurie d’eau demeurait « essentiel » et « prioritaire » pour sa municipalité.

PHOTO PASCAL RATTHÉ, ARCHIVES LA PRESSE

Le village de Saint-Antoine-de-Tilly s’alimente actuellement à partir de deux puits municipaux qui exploitent une même zone aquifère pour fournir de l’eau potable à ses 1700 résidants.

« On a un devoir de fournir à nos citoyens un approvisionnement en eau stable et de qualité. Le site en question nous fournit tous ces éléments de base et ce n’est pas juste une décision fondée sur un désir de la municipalité non confirmé. Après de nombreux forages à différents endroits, il s’avère que dans ce secteur, l’aquifère a la qualité nécessaire pour nous permettre d’assurer un approvisionnement permanent et à long terme pour les citoyens de la municipalité », a-t-il expliqué.

Même si le Saint-Laurent longe le petit village, impossible de puiser à cet endroit, car la municipalité y déverse ses eaux usées sans traitement.

« Cette situation en 2024 ne peut pas durer, et d’ailleurs les gouvernements sont très clairs, il faut résoudre ce problème-là », admet le maire.

« En ce qui concerne le dossier de prendre de l’eau au fleuve, c’est un dossier extrêmement coûteux en termes notamment d’infrastructure, mais aussi en termes de traitement », ajoute-t-il.

La CPTAQ est sensible aux enjeux d’approvisionnement en eau potable d’une municipalité, écrit-elle dans sa décision.

« Son rôle n’est toutefois pas de conseiller la Municipalité dans sa recherche de solution pour s’alimenter en eau potable, mais de veiller à la protection du territoire et des activités agricoles », ajoute la décision.

L’histoire jusqu’ici

2004 : L’abaissement continuel des niveaux d’eau dans les puits municipaux suggère déjà une surexploitation de la zone aquifère exploitée.

2013 : La municipalité́ réalise une quinzaine de tranchées exploratoires. D’autres travaux exploratoires ont lieu en 2014.

2015 : Le couple Letendre-Lizotte achète une terre agricole à Saint-Antoine-de-Tilly. Le terrain était à vendre depuis deux ans.

2022 : Saint-Antoine-de-Tilly se tourne vers la Commission de protection du territoire pour installer un puits sur une parcelle de la ferme Marijoli.