(Ottawa) Des députés fédéraux qui sont de retour d’une visite en Cisjordanie soutiennent que le Canada doit faire davantage pour freiner l’escalade des tensions entre Palestiniens et Israéliens.

« Nous ne pouvons pas imaginer ce que traverse le peuple palestinien, a déclaré le député libéral Shafqat Ali. Ce dont nous avons été témoins de nos propres yeux, c’est essentiellement une humiliation constante et une torture mentale constante. »

Il faisait partie d’un groupe de trois députés néo-démocrates et de deux députés libéraux qui ont passé la semaine dernière à rencontrer des réfugiés palestiniens en Jordanie, ainsi qu’en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, en tant qu’invités de groupes de défense musulmans.

Cette visite survient à la suite d’un voyage en Israël organisé en novembre dernier par des fédérations juives canadiennes au cours duquel un groupe de différents députés libéraux et conservateurs ont entendu parler de l’impact durable de l’attaque du Hamas en octobre, qui a déclenché la guerre actuelle entre Israël et le Hamas.

Depuis cette attaque, qui a tué environ 1200 personnes en Israël et qui a conduit à la prise d’otages de plus de 200 autres personnes, Israël a bombardé la bande de Gaza dans le cadre de ce qu’il considère comme une opération visant à libérer le territoire du contrôle du Hamas et à réprimer les Palestiniens qui y vivent. Le ministère de la Santé, contrôlé par le Hamas, a rapporté dimanche que le nombre de décès confirmés dépassait les 25 000, incluant des militants.

Au cours de leur voyage la semaine dernière, les députés ont rencontré des responsables en Jordanie avant de se rendre en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, des zones occupées par Israël depuis 1967.

Les députés ont vu ce qu’ils ont décrit comme de la ségrégation, à travers les politiques dont ils ont été témoins et qui ont également été documentées par les médias et les groupes de défense des droits de la personne.

Au marché historique d’Hébron, M. Ali a affirmé avoir rencontré des commerçants palestiniens qui utilisent des grillages métalliques pour recouvrir leurs magasins, affirmant que les pierres et les déchets qui s’y trouvent ont été lancés par des colons israéliens installés dans les étages supérieurs.

À Jénine, la députée néo-démocrate Lindsay Mathyssen a été hantée par une paire de ballerines noircies devant une maison qui avait été bombardée lors de frappes aériennes en juillet dernier, qui, selon les responsables israéliens, visaient des militants et des lieux où ils fabriquent et entreposent des armes.

Elle a indiqué que ses électeurs palestiniens l’avaient avertie de ce qu’était la vie en Cisjordanie, mais qu’elle n’en a pas moins été choquée.

« Je n’ai jamais vu ni imaginé un tel niveau de déshumanisation », a-t-elle déclaré.

Le groupe a rencontré des élèves palestiniens d’une école primaire qui déploraient qu’on leur enseigne les droits de la personne, ce que les élèves prétendent ne pas connaître.

« C’est ainsi que la communauté internationale a échoué, dans l’idée d’un ordre international fondé sur des règles, alors que c’est la base de cet ordre et qu’un enfant de 12 ans peut vous le dire », a fait valoir Mme Mathyssen.

La porte-parole du Nouveau Parti démocratique (NPD) en matière d’affaires étrangères, Heather McPherson, a été stupéfaite par la pauvreté et la destruction dont elle a été témoin en Cisjordanie. Elle a raconté que cela rivalisait avec sa visite en mars dernier dans la banlieue de Kyiv, Irpin, bombardée par les Russes, ou dans les pays en développement qu’elle avait visités au cours de sa précédente carrière de travailleuse humanitaire.

« J’ai vu des zones de conflit ; j’ai vu des zones où règne une réelle pauvreté. Et je dirais que ce que nous avons vu à Jénine était probablement l’une des pires choses que j’aie jamais vues », a-t-elle affirmé.

« Il y a un tel désespoir parce que c’était incessant : les attaques, les pertes de vies humaines, les impacts sur la communauté. Chaque bâtiment était criblé de balles, les conditions de vie de chaque famille ont été endommagées. »

Une répression nécessaire selon Israël

Les députés ont déclaré avoir été témoins d’échanges tendus entre les forces israéliennes et les civils palestiniens, notamment des adolescents.

Les responsables israéliens ont déclaré que la répression dans les territoires palestiniens était nécessaire pour maintenir la stabilité et empêcher les groupes extrémistes de lancer des attaques, en particulier alors que l’armée israélienne se concentre sur Gaza et est confrontée aux menaces du Hezbollah au Liban.

Ces dernières années, affirment les responsables israéliens, ils ont travaillé dur pour offrir des opportunités économiques aux Palestiniens, même si des pays comme la Norvège ont averti qu’Israël avait porté atteinte à la paix ces dernières années en autorisant l’expansion de colonies illégales au regard du droit international.

Lors de leur visite, les députés ont traversé la route 4370, une autoroute qui sépare les colons israéliens des Palestiniens et qui vise à prévenir les violences intercommunautaires, mais qui a été surnommée la « route de l’apartheid ».

Ils ont vu les entrées séparées de la mosquée Al-Aqsa, un site sensible où les autorités israéliennes limitent l’entrée en fonction de menaces perçues pour la sécurité, et où un raid en avril dernier a provoqué un tollé mondial, y compris de la part des députés canadiens.

M. Ali a déclaré avoir vu un groupe d’enfants en uniforme scolaire se voir refuser l’entrée, tandis que Mme Mathyssen a raconté que l’un des Canadiens qui l’accompagnaient, d’origine palestinienne, avait réussi à passer un détecteur de métaux, mais avait été arrêté lorsqu’il avait décroché son téléphone, car l’écran de verrouillage était un drapeau palestinien.

M. Ali et Mme Mathyssen ont tous deux dit que le représentant du Canada au niveau de l’ambassadeur pour les territoires palestiniens avait indiqué au groupe que son équipe avait perdu tout contact avec les habitants de Gaza, parce que beaucoup d’entre eux étaient morts ou avaient été déplacés, incluant des fonctionnaires des Nations unies chargés des projets d’aide canadiens.

Affaires mondiales Canada a déclaré qu’il n’avait pas de réponse immédiate lorsqu’on lui a demandé de confirmer ces récits, qui incluaient des affirmations selon lesquelles le service extérieur du Canada s’appuie désormais sur des rapports de seconde main sur ce qui se passe à Gaza.

Le ministère n’a pas non plus répondu la semaine dernière lorsqu’on l’a interrogé sur une affirmation selon laquelle l’ambassadeur du Canada en Jordanie aurait déploré que les positions du Canada sur le Moyen-Orient aient déçu les pays de la région et nui à l’influence d’Ottawa.

Les cinq députés ont appelé à un cessez-le-feu pour mettre fin à la guerre actuelle à Gaza, qui, selon Israël, ne ferait que permettre au Hamas de lancer des attaques plus meurtrières.

Mme McPherson a déclaré qu’elle espérait rencontrer le premier ministre Justin Trudeau et la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly, idéalement avec tous les députés qui ont fait le voyage, pour leur faire part de ce qu’ils ont entendu et de la manière dont le Canada peut réagir.

Elle a ajouté que cela pourrait inclure de pousser les pays pairs du Canada à exercer davantage de pression sur Israël et à imposer des sanctions contre les Israéliens qui entravent une solution à deux États.

Avant et après l’attaque du Hamas, les responsables canadiens ont insisté sur le fait qu’ils voulaient un État palestinien qui existe en paix aux côtés d’Israël, mais les députés présents au voyage affirment qu’Ottawa n’a pas fait assez pour punir ceux qui entravent cet objectif.

Jeudi dernier, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a rejeté l’idée d’un État palestinien, arguant que cela deviendrait une rampe de lancement pour des attaques contre Israël et les États-Unis et que son pays « doit donc avoir un contrôle de sécurité sur l’ensemble du territoire à l’ouest du Jourdain ».

Mme McPherson a soutenu qu’il était temps que le Canada gèle les exportations d’armes vers Israël et reconsidère sa politique consistant à voter contre presque toutes les résolutions de l’ONU qui critiquent le gouvernement israélien. Dans le cas contraire, elle estime que le Canada perdrait toute la légitimité dont il dispose en tant que porte-parole de la paix.

« Nous n’étions même pas à Gaza, a dit Mme McPherson. Ce n’est même pas la pire chose qui se passe actuellement en Palestine. »