« Pendant le temps des Fêtes, il manque toujours quelqu’un à table. On vit des moments heureux, je suis grand-mère, aujourd’hui, mais notre joie n’est jamais entière. Elle est toujours teintée de tristesse. »

Celui dont l’absence est si cruellement ressentie, c’est Thomas, le fils d’Odette Lachance, « mon éternel adolescent qui aura toujours 17 ans », note-t-elle en entrevue.

En mars 2018, il a été happé mortellement par un homme de 29 ans qui conduisait après avoir pris de 8 à 10 bières dans un bar.

Au tribunal, il a présenté ses excuses à la famille de Thomas, a assuré qu’il aurait mieux aimé mourir que d’avoir le décès de l’adolescent sur la conscience.

Après l’avoir décrit comme une personne de bonne famille, qui détient un emploi et est un atout pour la société, le juge l’a condamné à trois ans de prison et à cinq ans sans permis.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Portrait de Thomas

Odette Lachance n’en veut pas à ce jeune homme. « J’ai bien vu qu’il était repentant. En fait, même s’il n’avait pas fait de prison, ça ne m’aurait pas dérangée », dit-elle, sachant que sa réelle sentence, c’est d’être condamné à avoir cette mort sur la conscience à tout jamais.

Très rapidement, Mme Lachance a commencé à faire des conférences auprès d’adultes judiciarisés – dont des récidivistes de l’alcool au volant – et à se rendre dans des écoles pour sensibiliser les jeunes à l’importance d’une conduite responsable. « On parle d’alcool, mais aussi de ne pas utiliser son téléphone cellulaire au volant. »

« J’entends parfois des enfants me dire qu’ils ont peur de monter dans la voiture avec leurs parents. Certains m’ont aussi dit que, de la banquette arrière, ils disent à leur père ou à leur mère de ne pas répondre au téléphone », raconte-t-elle.

L’idée, précise-t-elle, ce n’est pas de démoniser l’alcool, insiste-t-elle, mais de réfléchir avant une fête à la façon dont on rentrera à la maison.

C’est avant le party qu’il faut y penser, quand on a encore tout son jugement.

Odette Lachance

Elle remarque encore aujourd’hui par ailleurs la grande réticence des gens à s’interposer devant ceux qu’ils savent être en état d’ébriété ou à dénoncer « un voisin qui prend sa voiture alors que son permis lui a été retiré ».

« On s’imagine souvent que le pire, c’est de perdre son permis. Mais ce n’est pas ça, le pire. Le pire, c’est de tuer quelqu’un ou de perdre un proche. De ça, on ne se remet jamais », rappelle Mme Lachance.

L’alcool en cause dans 95 décès et 225 accidents graves par an

Chaque année en moyenne, entre 2012 et 2021, l’alcool au volant a été en cause dans 26 % des décès (95) et dans 15 % (225) des blessés graves, selon les données sur les victimes d’accidents de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ).

« La conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool demeure l’une des principales causes d’accidents au Québec », fait observer Sophie Roy, relationniste de la SAAQ.

Elle souligne que « 85 % des gens arrêtés en état d’ébriété en sont à une première [infraction] ».

En 2021, 8291 personnes ont vu leur permis suspendu sur-le-champ à la suite d’une infraction reliée à l’alcool. En 2012, 17 054 personnes avaient connu le même sort.

Opération Nez rouge, « un modèle génial »

L’Opération Nez rouge, dont le modèle a été repris dans six provinces, en Suisse, mais aussi en France et au Portugal, a sans doute contribué aux baisses de décès sur les routes pendant les Fêtes.

Depuis ses débuts en 1984, Nez rouge a fait 2,4 millions de raccompagnements à travers le pays.

« C’est un modèle génial, qui a fait de la réduction de méfait avant l’heure, sans jugement moral face à l’alcool », souligne Louise Nadeau, professeure émérite du département de psychologie de l’Université de Montréal, qui a siégé pendant 27 ans au conseil d’administration d’Éduc’alcool.

En revanche, Mme Nadeau est dubitative quant aux chiffres voulant que peu de conducteurs aux facultés affaiblies soient des récidivistes. À son avis, c’est surtout qu’ils n’ont jamais été interceptés dans un barrage policier et qu’ils ont eu la chance de ne pas avoir d’accident.

Demandez autour de vous, notamment à des personnes d’un certain âge, si elles ont déjà été prises dans un barrage routier. Probable que non. Le nombre de ces barrages est ridiculement faible.

Louise Nadeau, professeure émérite du département de psychologie de l’Université de Montréal

Mais pour ceux qui sont ivres au volant et qui causent des blessures ou la mort, elle rappelle que « le Code pénal n’est pas du tout clément ».

Marie Claude Ouimet, professeure de la faculté de médecine et des sciences de la santé à l’Université de Sherbrooke, note quant à elle que dans les études, « les taux de collision mortelle commencent à augmenter dès 0,02 ».

Les accidents graves n’arrivent pas qu’à ceux qui ont passé la soirée dans les bars, rappelle-t-elle, « mais aussi à ceux qui commencent à boire en après-midi en cuisinant et qui partent à l’épicerie quand ils réalisent qu’il leur manque du cumin ».

En savoir plus
  • Une sur quatre
    Une collision mortelle sur quatre est attribuable à l’alcool au volant.
    Source : Société de l’assurance automobile du Québec