Le responsable d’une page Facebook où des armes à feu non immatriculées se vendaient comme des petits pains estime qu’il est impossible d’empêcher l’apparition d’un « mini-marché noir » et avoue avoir lâché prise devant la multiplication des annonces d’armes à vendre.

« Il aurait fallu que je passe des journées entières à éliminer des posts qui suggéraient qu’il y avait une vente d’arme à feu », affirme Gabriel Paquet, qui administrait SKS Québec vente interdite depuis 2016. « Je me suis dit : “Je ne suis pas leur mère, je n’ai pas l’obligation au niveau de la loi de commencer à vérifier tout le monde.” C’est le vendeur et l’acheteur qui ont des comptes à rendre au gouvernement. »

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Gabriel Paquet, administrateur de la page Facebook SKS Québec vente interdite depuis 2016

Moi, je n’ai rien fait d’illégal et je n’ai encouragé personne à commettre un crime.

Gabriel Paquet, administrateur de la page Facebook SKS Québec vente interdite depuis 2016

Une enquête de La Presse a révélé samedi avoir recensé environ 180 armes à feu mises en vente sur le groupe Facebook privé SKS Québec vente interdite depuis le printemps. Les membres y utilisaient un langage codé pour écouler des armes de type militaire, dont certaines n’étaient pas enregistrées dans le registre québécois des armes d’épaule.

Lisez le dossier « Acheter une arme non enregistrée, un jeu d’enfant »

Nous avons acheté une carabine SKS qui y était annoncée et avons noté plusieurs dérogations aux lois provinciales lors de la transaction. Facebook a immédiatement supprimé la page pour violation de ses « standards de la communauté », qui interdisent toute vente d’arme à feu, de munitions ou de pièces d’armes à feu.

M. Paquet affirme que cette fermeture prive le Québec d’une « fenêtre de transparence » sur l’univers des armes à feu. « Peut-être qu’on aurait un jour attrapé un malade sur la page Facebook qui aurait menacé d’aller massacrer du monde dans une école. Là, on ne le prendra pas. Les propriétaires honnêtes d’armes à feu, on est les meilleurs chiens de garde pour les malades mentaux, qui sont dangereux, parce que nous, on souffre des gestes de ces personnes-là », soutient M. Paquet.

« Quelques pistes évidentes »

L’organisme Poly se souvient, qui milite pour un encadrement plus serré des armes à feu, a dénoncé à plusieurs reprises des propriétaires d’armes qui se vantaient sur les réseaux sociaux de ne pas respecter l’obligation d’immatriculer leur arme dans le registre provincial. « Il est temps que le Québec démontre qu’il est sérieux face à sa Loi sur l’immatriculation des armes et qu’il utilise les outils à sa disposition pour en assurer le respect, et ce, de manière proactive. Surveiller les ventes sur les médias sociaux, enquêter auprès de ceux qui s’affichent publiquement comme des délinquants et se servir des données de l’ancien registre fédéral ne sont que quelques pistes évidentes », a réagi l’organisme après avoir été informé des résultats de notre enquête.

Notre enquête a par ailleurs démontré que, lors de la vaste majorité des transferts d’armes entre particuliers, le vendeur ne vérifiait pas auprès de la GRC la validité du permis de possession et d’acquisition de l’acheteur et n’obtenait pas le numéro de référence obligatoire.

Cette situation facilite l’achat d’armes à feu avec des permis périmés, révoqués ou faux et assure qu’aucune trace de la transaction ne soit enregistrée, déplore Poly se souvient. « La loi est conçue de façon à ce que les transferts se font dans le vide », affirme l’organisme dans un courriel transmis à La Presse.

Tout ça est délibéré, pour ne pas déplaire aux lobbys pro-armes qui s’opposent farouchement à tout ce qui ressemble à l’enregistrement des armes ou de leurs transactions.

L’organisme Poly se souvient, dans un courriel à La Presse

L’utilisation d’un langage codé pour vendre des armes à feu sur Facebook n’est pas propre à SKS Québec vente interdite, reconnaît un porte-parole du réseau social. Meta souligne avoir retiré au dernier trimestre 877 000 contenus qui violaient les standards de la communauté sur les biens et services à usage restreint, qui englobent les armes à feu, les médicaments, la marijuana, les animaux en voie de disparition, les produits biologiques humains. « Plus de 93 % des contenus ayant fait l’objet d’une action pour violation de cette politique ont été détectés par nos systèmes automatisés avant même d’être signalés », indique le réseau social.

Lâcher prise

Gabriel Paquet assure qu’il a lui-même longtemps modéré la page pour y empêcher la vente d’armes à feu, mais il a fini par lâcher prise parce que la situation était devenue « ingérable » : « Le marché noir, c’est infini. Il va tout le temps s’adapter », dit celui qui a longtemps été propriétaire de plusieurs armes à feu restreintes, mais qui s’est éloigné de la culture des armes à feu, devenue « trop complexe » au Canada selon lui.

Il soutient que s’il s’était opposé à l’utilisation d’un langage codé par les utilisateurs, ceux-ci auraient trouvé d’autres codes pour vendre leurs armes. « Les vendeurs auraient dit “10 101” pour une arme non enregistrée, ou “perruque rose” pour dire que le vendeur ne vérifie pas le permis [de l’acheteur] », résume-t-il.

Il ajoute que sa page Facebook comptait des policiers parmi ses membres. « J’ai même déjà contacté la Sûreté du Québec pour [signaler] un membre qui disait avoir une arme automatique sur le groupe. La police est allée le voir. J’ai coopéré », assure M. Paquet.