Le ministre québécois de l’Agriculture, André Lamontagne, est préoccupé par la démission du coprésident du comité scientifique indépendant sur les pesticides de Santé Canada⁠1.

Ce qu’il faut savoir

  • Une nouvelle controverse éclabousse Santé Canada dans le dossier des pesticides. Le coprésident de son comité consultatif scientifique indépendant a démissionné de son poste le 27 juin. La nouvelle a été médiatisée lundi.
  • Le DBruce Lanphear craignait que son rôle de coprésident ne donne un « faux sentiment de sécurité » voulant que l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) de Santé Canada protège les Canadiens contre les pesticides toxiques.
  • Le ministre québécois de l’Agriculture estime que sa démission soulève des « questionnements »

« Faux sentiment de sécurité », « système réglementaire obsolète », « transparence obstruée » : le DBruce Lanphear a claqué la porte du Comité consultatif scientifique sur les produits antiparasitaires en critiquant sévèrement l’agence fédérale qui encadre l’approbation de ces produits chimiques.

« Ce qui est arrivé [lundi], la démission du coprésident, c’est sûr que ça amène encore beaucoup de questionnements, parce que ce qu’il remet en question, c’est la transparence », a expliqué le ministre André Lamontagne lors d’une entrevue téléphonique avec La Presse.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre québécois de l’Agriculture, André Lamontagne

Lui, il n’a tellement pas confiance qu’il débarque. Fait que c’est sûr que c’est beaucoup de questionnements, mais c’est surtout préoccupant pour la suite des choses.

André Lamontagne, ministre de l’Agriculture du Québec

Le ministre révèle qu’il a abordé la question avec son homologue fédérale, Marie-Claude Bibeau, lors d’une rencontre mardi matin.

« Quand on identifie des endroits où la confiance peut être mise à mal, il faut agir », lui a-t-il dit.

Professeur de sciences de la santé à l’Université Simon Fraser de la Colombie-Britannique, le DBruce Lanphear a été nommé à la tête du Comité consultatif scientifique sur les produits antiparasitaires de Santé Canada en juin 2022.

Ce comité de neuf experts indépendants a été créé dans la foulée d’une controverse qui a fait les manchettes en 2021.

L’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) de Santé Canada proposait alors – à la suite d’une demande du fabricant de pesticides Monsanto Bayer – de hausser la limite maximale de résidus de l’herbicide glyphosate sur les haricots et les pois. Elle proposait aussi de permettre davantage de traces du fongicide métalaxyl sur les bleuets à la suite d’une requête effectuée par la multinationale Syngenta.

« Antinomique »

M. Lamontagne rappelle que dès 2021, Québec s’est prononcé contre la hausse des quantités de résidus de pesticides permises sur les denrées alimentaires.

« Ce chantier-là, il génère certainement une ambiguïté par rapport à ce qu’on cherche à accomplir », souligne-t-il.

Car le Québec et le Canada ont tous deux « de grandes ambitions en agroenvironnement », soutient le ministre.

Adopté durant le premier mandat du ministre Lamontagne, le Plan d’agriculture durable 2020-2030 vise à faire chuter de 15 % le volume de pesticides vendus à l’échelle de la province et de 40 % l’indice qui chiffre les risques des pesticides sur la santé et l’environnement.

Lors de la 15e Conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15), qui s’est déroulée à Montréal en décembre, le Canada s’est aussi engagé à réduire d’au moins 50 % d’ici 2030 les risques liés aux pesticides.

Le dossier de la hausse des résidus de pesticides dans les aliments avait suscité un tollé au Québec. Quelques semaines avant le déclenchement des élections fédérales en 2021, le gouvernement Trudeau avait suspendu les projets de hausse. Cette suspension a été partiellement levée le 20 juin.

« Là, on arrive avec cette espèce de chantier, qui est un peu antinomique, autant du côté fédéral qu’au Québec, à ce qu’on est résolu à accomplir et à faire. Alors que d’avoir la démission du coprésident qui est aussi un scientifique qui est bien, bien reconnu, c’est sûr que moi, quand j’ai lu ça, personnellement, j’ai été surpris. Je me suis dit : “oh boy, ce n’est rien pour la confiance, ce n’est rien pour la transparence”. »

« Biaisé par l’industrie »

La Presse a contacté les huit autres membres du Comité consultatif scientifique sur les produits antiparasitaires. Quatre ont répondu.

Professeure au département de toxicologie de l’Université de la Saskatchewan, Christy Morrissey a écrit dans un courriel rédigé en anglais qu’elle « respecte énormément » le DLanphear et sa décision de partir.

Je suis profondément consciente de la nécessité de réformer le processus réglementaire de l’ARLA, qui est fortement biaisé par l’industrie et qui manque de la transparence nécessaire à la confiance du public dans la protection de la santé humaine et de l’environnement au Canada.

Christy Morrissey, membre du comité consultatif

« Ces problèmes ont entraîné des retards dans la réglementation, la poursuite de l’utilisation de pesticides dont la nocivité a été scientifiquement prouvée et une tendance historique à l’augmentation de la dépendance à l’égard des pesticides au Canada », poursuit-elle. Elle ne compte cependant pas démissionner.

« L’ARLA a indiqué qu’elle s’engageait à procéder à une réforme et je garde l’espoir que des changements interviendront, en partie sur la base des conseils que nous, scientifiques indépendants et respectés, pouvons fournir par l’intermédiaire du Comité consultatif scientifique récemment créé. »

Son espoir est partagé par son confrère Xianming Zhang, professeur adjoint au département de chimie et de biochimie de l’Université Concordia.

« Certains changements positifs dans les processus de prise de décision liés aux produits agrochimiques sont en train de se produire grâce aux efforts du comité », a-t-il indiqué également dans un courriel écrit en anglais.

Sean Prager, chercheur en entomologie du Collège d’agriculture et des bioressources de l’Université de la Saskatchewan, a quant à lui souligné que le processus de l’ARLA avait « probablement besoin d’être révisé ».

« Il est important qu’il soit aussi moderne, scientifique et efficace que possible pour protéger la santé des Canadiens, la santé de l’environnement et aussi pour s’assurer que les producteurs agricoles du Canada peuvent mener leurs activités de manière efficace. Cela doit se faire de la manière la plus transparente possible. En tant que scientifique siégeant au comité scientifique, j’espère y parvenir », nous a-t-il écrit.

Un nouveau coprésident

En fin de journée mardi, Santé Canada a annoncé la nomination d’un nouveau coprésident. Il s’agit d’Eric Liberda, professeur à l’École de santé au travail et de santé publique de l’Université métropolitaine de Toronto.

« L’ARLA profitera de ce changement de direction pour rencontrer le Comité consultatif scientifique externe sur les produits antiparasitaires dès que possible afin de revoir le mandat du comité. L’ARLA s’est déjà engagée à consulter les membres du comité sur les questions scientifiques qu’ils souhaiteraient inclure dans leur ordre du jour », a indiqué la porte-parole de Santé Canada, Marie-Pier Burelle.

Eric Liberda a aussi indiqué qu’il « respecte le choix » du DLanphear.

« Je comprends son point de vue et les questions qu’il a soulevées, et j’ai bon espoir que le comité pourra s’y attaquer tout en veillant à ce que la sécurité des Canadiens reste notre priorité. Je n’ai pas l’intention de démissionner ; j’ai bon espoir que ces questions et toute autre préoccupation future peuvent être traitées de manière constructive », a-t-il déclaré dans un courriel en anglais qu’il nous a fait parvenir.

La ministre fédérale de l’Agriculture, Marie-Claude Bibeau, et le ministre fédéral de la Santé, Jean-Yves Duclos, n’ont pas souhaité réagir mardi.

1. Lisez « Un conseiller scientifique sur les pesticides claque la porte »