« Faux sentiment de sécurité », « système règlementaire obsolète », « transparence obstruée » : le coprésident du comité scientifique indépendant sur les pesticides de Santé Canada démissionne en critiquant sévèrement l’agence fédérale qui encadre l’approbation de ces produits chimiques.

Professeur de sciences de la santé à l’Université Simon Fraser de la Colombie-Britannique, le Dr Bruce Lanphear, a été nommé à la tête du comité consultatif scientifique sur les produits antiparasitaires de Santé Canada en juin 2022. Ce comité de neuf experts indépendants a été créé dans la foulée d’une vive controverse qui a fait les manchettes en 2021. L’Agence de règlementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) de Santé Canada proposait alors– à la suite d’une demande du fabricant de pesticides Monsanto Bayer – de hausser la limite maximale de résidus de l’herbicide glyphosate sur les haricots et les pois.

« De façon troublante, je m’inquiète que le Comité consultatif scientifique-et mon rôle de coprésident-ne donne un faux sentiment de sécurité, à savoir que l’ARLA protège les Canadiens contre les pesticides toxiques. Sur la base de mon expérience au cours de l’année écoulée, je ne peux pas donner cette assurance », écrit M. Lanphear dans sa lettre que démission rédigée en anglais que La Presse a obtenue.

La nouvelle a d’abord été rapportée lundi après-midi par La Presse Canadienne. Le Dr Lanphear n’a pas donné suite à nos demandes d’entrevue.

« Pas confiance »

Le comité consultatif scientifique est responsable de fournir « conseils scientifiques indépendants » à Santé Canada afin de l’aider dans sa « prise de décision » entourant l’évaluation des risques des pesticides sur la santé et l’environnement.

Dans sa lettre, le Dr Lanphear déplore le fait que le comité scientifique ait un mandat plus limité qu’un autre comité consultatif sur lequel siègent des représentants de l’industrie des pesticides : le Conseil consultatif de la lutte antiparasitaire.

Si son mandat « est plus restreint […] je n’ai que peu ou pas confiance dans la capacité du Comité consultatif scientifique à aider l’ARLA à devenir plus transparente ou à garantir que les Canadiens sont protégés contre les pesticides toxiques », ajoute-t-il dans sa missive.

Les représentants de l’industrie – qui ont un conflit d’intérêt financier clair et indéniable – devraient-ils être autorisés à siéger au Conseil consultatif de la lutte antiparasitaire ? Absolument pas. Les recherches menées au cours des 50 dernières années ont clairement montré que les personnes ayant des conflits d’intérêts financiers ne devraient pas être autorisées à siéger dans les comités consultatifs des agences fédérales de santé.

Le Dr Bruce Lanphear, dans sa lettre de démission

Le Dr Lanphear a aussi ajouté que lors d’une séance de travail portant sur le processus d’examen règlementaire, plusieurs membres du comité consultatif ont demandé des informations sur l’historique d’évaluation et d’homologation de pesticides comme le glyphosate (l’herbicide le plus utilisé dans le monde) et le clorpyrifos, un insecticide controversé soupçonné de nuire au développement neurologique des enfants.

« Mes demandes-qui ont été amplifiées par d’autres membres du comité consultatif scientifique-ont été rejetées », écrit-il.

« Pour être honnête, il se peut que des considérations juridiques aient empêché le personnel de l’ARLA de discuter des pesticides litigieux. Néanmoins, si des contraintes juridiques empêchent l’ARLA de discuter des décisions règlementaires-c’est-à-dire qu’elles font obstacle à la transparence-comment les Canadiens peuvent-ils être sûrs d’être protégés ? »

C’est pourquoi il conclut sa lettre en écrivant la manière dont l’ARLA règlemente les pesticides doit être révisée en profondeur.

« Au sérieux »

Appelée à réagir, Santé Canada nous a fait parvenir par courriel une déclaration écrite. Elle y affirme notamment que l’ARLA prend son rôle de régulateur « au sérieux ».

« Le processus d’examen des pesticides qu’elle utilise demeure totalement fondé sur la science. En mars 2022, l’ARLA a établi un processus de transformation, qui, entre autres initiatives, vise à accroître la transparence pour favoriser la participation du public dans la prise de décisions relatives aux pesticides. Pour ce faire, il faut entre autres suivre les conseils de diverses sources et comités, y compris d’experts scientifiques, de représentants de l’industrie et d’autres intervenants. Parmi ces derniers, on compte le Comité consultatif scientifique sur les produits antiparasitaires et le Conseil consultatif de la lutte antiparasitaire », peut-on lire.

Le dossier de la hausse des résidus de pesticides dans les aliments avait suscité un tollé au Québec. Quelques semaines avant le déclenchement des élections fédérales en 2021, le gouvernement avait suspendu les projets de hausse en cours. Cette suspension a été partiellement levée le 20 juin. Elle touche pour l’instant certains produits dont les noms n’ont pas été révélés, mais pas le glyphosate.

La lettre de démission de M. Lanphear est datée du 27 juin.

« La démission de M. Lanphear et le dossier des limites maximales de résidus de pesticides sont révélateurs du fait que Santé Canada est aux prises avec une capture règlementaire » a pour sa part réagi Laure Mabileau, porte-parole du groupe activiste Vigilence OGM.

« Tant et pour autant que Santé Canada n’adressera pas cet enjeu évident, les politiques gouvernementales favoriseront avant tout les intérêts commerciaux des industriels des pesticides plutôt que la santé de la population », a-t-elle ajouté.