Denise Bombardier n’est plus. Cette figure incontournable du paysage médiatique québécois a été emportée tôt mardi matin par un cancer du foie « fulgurant », à l’âge de 82 ans. De Jean-Philippe Wauthier à Dany Laferrière en passant par Stéphan Bureau et Julie Snyder, les témoignages ont afflué pour saluer cette « grande dame » à la fois forte et sensible.

Denise Bombardier s’est « éteinte paisiblement tôt ce [mardi] matin à la Maison de soins palliatifs Saint-Raphaël à Montréal des suites d’un cancer fulgurant, entourée des gens qui l’aimaient », indique sa famille, par communiqué. Elle laisse dans le deuil son mari James Jackson, son fils Guillaume Sylvestre, qui était à son chevet, et sa petite-fille Rose.

« Journaliste, auteure, animatrice et essayiste, elle aura marqué le Québec et la Francophonie par son amour inconditionnel de la langue française et son franc-parler. Nous nous souviendrons d’elle pour sa force extraordinaire, son esprit et son grand humour, qu’elle aura eus jusqu’à la dernière heure », écrit la famille, qui a demandé qu’on respecte son deuil « pour les prochains jours qui s’annoncent difficiles ».

L’animatrice et productrice Julie Snyder confie que, parmi toutes les Denise Bombardier qui existaient, c’est la mère qu’elle a surtout connue, celle qui disait que le féminisme s’arrête avec la maternité. Denise Bombardier, dit-elle, lui parlait de son fils à chaque discussion qu’elles avaient. Au bout du fil, émue, Julie Snyder lit une chronique que Denise Bombardier a signée dans Le Devoir, en 2006, à l’occasion de la fête des Mères. « Denise avait beaucoup de fierté. Elle n’avait aucune modestie – et elle l’admettait elle-même. Et de toutes ces grandes fiertés, je pense que Guillaume [qui est réalisateur] était au-dessus de tout », dit Julie Snyder.

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Denise Bombardier et son fils Guillaume Sylvestre, en 2013

Son amie, la réalisatrice Denise Robert, gardera elle aussi en mémoire cet amour que Denise Bombardier avait pour son fils et sa petite-fille Rose. « Elle encensait les gens qu’elle aimait, dit-elle. C’était vraiment beau à voir. »

Bien que des amis de Denise Bombardier savaient qu’elle avait des soucis de santé, son départ soudain crée une onde de choc dans le paysage médiatique et culturel québécois.

« Je ne peux pas croire qu’elle est partie. Pas elle », laisse tomber la chroniqueuse Lise Ravary, une grande amie. Denise Bombardier était à son sens « plus qu’un symbole » pour bien des femmes : elle était la vitalité même. Une importante voix va manquer dans l’espace médiatique québécois, souligne-t-elle au bord des larmes. « Denise disait toujours la vérité. Elle ne se défilait pas. C’est devenu rare », ajoute Mme Ravary.

Issue d’une famille ouvrière de Montréal, Denise Bombardier a obtenu une maîtrise en science politique et un doctorat en sociologie à la Sorbonne, en France. Elle a travaillé pendant plus de 30 ans à Radio-Canada, où elle a animé les émissions Présent international, Hebdo-dimanche, Le Point, Entre les lignes, Noir sur blanc, Trait-d’union, Raison passion et Les idées lumière.

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Denise Bombardier entourée de Bernard Derome et Simon Durivage, en 1983

« Elle a été la première femme à animer une émission d’affaires publiques au Québec », souligne Sophie Thibault, cheffe d’antenne à TVA, dont les parents étaient de grands amis de Denise Bombardier. C’est d’ailleurs son père, Marc Thibault, qui a embauché cette dernière à Radio-Canada. « Il avait tout de suite vu l’immense talent de cette femme-là », dit-elle.

Après avoir suscité une controverse à l’émission Le Point, en 2003 (elle s’était interrogée sur la pertinence du mariage entre homosexuels), Denise Bombardier a commencé à collaborer au réseau TVA. Au début des années 2010, elle était régulièrement invitée au TVA 22 h avec la cheffe d’antenne Sophie Thibault. « Elle était capable d’en prendre et de défendre ses idées jusqu’au bout », note Sophie Thibault, qui souligne que peu de femmes ont son audace, son bagout et son côté polémiste. « C’était un pitbull, un bulldozer. »

Mme Bombardier était aussi connue pour sa plume, elle qui a écrit des articles pour Châtelaine, Le Point, L’Actualité et bien sûr Le Devoir, où elle a rédigé une chronique politique pendant plus d’une décennie. Elle était l’auteure d’une vingtaine de romans et d’essais.

Denise Bombardier a aussi écrit une chanson pour Céline Dion, La Diva, parue sur l’album D’elles en 2007. Après cette collaboration, Denise Bombardier a voulu écrire un livre sur Céline Dion. Comme Céline partait en tournée, René Angélil a d’abord refusé. Après que Denise Bombardier l’ait appelée en pleurant, Julie Snyder a su convaincre René Angélil. « Elle a donc suivi Céline en tournée », raconte Julie Snyder.

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Cette dernière se souvient d’un appel qu’elle a reçu de Stéphane Laporte, qui réalisait un film sur la tournée Taking Chances. Julie Snyder en était la productrice. « Il m’a dit : je peux te dire qu’on a un excellent documentaire sur Denise, mais on n’en a pas un sur Céline. Pourquoi ? Elle rentre dans toutes nos shots. Ça, c’était Denise : il fallait qu’elle prenne le plancher » dit Julie Snyder dans un éclat de rire.

Entière et attentionnée

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Denise Bombardier en 2009

Les amis de Denise Bombardier à qui nous avons parlé mardi ont tous noté que, derrière sa force de caractère se trouvait aussi une grande sensibilité.

Denise Bombardier et Stéphan Bureau avaient développé une relation « de solidarité », nourrie par les « périodes de grands vents » qu’ils avaient tous les deux traversés, à différents moments, au plan professionnel.

« Elle avait eu depuis un certain temps beaucoup de délicatesse à mon endroit », confie l’animateur, qui l’a reçue aussi récemment qu’en mai dernier au micro de sa balado, Contact. « Denise Bombardier est perçue comme le personnage qu’elle était : surdimensionnée, pouvait prendre tout l’oxygène d’une pièce, mais elle avait en même temps une réelle attention à l’autre, qui était extrêmement émouvante. Il fallait la prendre entièrement. »

Tout en louant la « puissance intellectuelle » de la célèbre communicatrice, Stéphan Bureau souligne le désir renouvelé qui l’aura aiguillée de s’adresser à un large public, sur des tribunes dites populaires, « bien que toujours avec l’exigence qui était la sienne. » « Elle était aussi à l’aise sur un plateau de télé à Paris, entourée de francs-tireurs, que dans une barque avec des pêcheurs à La Tuque. »

Pour le pilote de l’émission Le monde à l’envers, il y avait dans le refus de Denise Bombardier de s’en tenir aux chemins balisés du consensus « non seulement quelque chose de courageux, mais d’utile. C’est utile dans une société d’avoir ces gens qui courent le risque de choquer et d’être mis au ban. »

S’attaquer de front à Gabriel Matzneff sur le plateau d’Apostrophes, comme Denise Bombardier l’a fait en mars 1990, peut relever de l’évidence, si l’on considère leur confrontation par la lorgnette d’un monde transformé par le mouvement #moiaussi. Denise Bombardier avait condamné avec calme et détermination les relations intimes que l’auteur entretenait avec des mineures et dont il était abondamment question dans ses livres. Sur les réseaux sociaux, les internautes ont été nombreux mardi à publier un extrait vidéo de cet échange marquant.

« Mais elle ne pouvait que mesurer les risques énormes de se mettre en porte-à-faux avec une certaine France très permissive », pense Stéphan Bureau. « Elle ne montrait pas du doigt qu’un individu, elle montrait du doigt un milieu, et il y avait plus de risques que d’avantages à le faire. »

Une femme spectaculaire

En apprenant la mort de Denise Bombardier, Jean-Philippe Wauthier a eu le réflexe de se tourner vers sa boîte vocale. Mais, pas de chance, un récent changement d’appareil a emporté avec lui tous les inénarrables messages que lui a laissés la grande dame au cours des dix dernières années. « Il y en a certains que je pouvais réécouter des dizaines de fois tellement ils étaient spectaculaires », se souvient l’animateur de Bonsoir bonsoir !, visiblement ému.

C’est à la suite d’une entrevue à Deux hommes en or, durant laquelle Wauthier avait candidement avoué à l’écrivaine avoir momentanément cessé de l’écouter, qu’elle s’était prise d’affection pour son cadet de quatre décennies. « Plutôt que d’être choquée, elle avait ri. » Elle était par la suite devenue une des plus divertissantes invitées d’honneur de La soirée est (encore) jeune, n’hésitant jamais à semer la pagaille sur le plateau. « Denise savait comment donner un show. Ça créait parfois des moments qui pouvaient choquer, mais auxquels on ne pouvait pas rester indifférents. »

« C’était quelqu’un de hors-norme, qui n’avait peur de rien, une femme extrêmement intelligente, qui avait les moyens de ses ambitions intellectuelles », dit celui qui avait tôt appris qu’une visite chez Madame B supposait, en toutes occasions, d’apporter avec soi une bouteille de champagne. « Avec Denise, j’ai parlé de tout : de mes relations amoureuses, mes peines, mes joies, mes craintes, mes enfants. »

« Quand tu partageais un moment avec Denise, tu savais que tu n’allais pas t’emmerder. C’était une femme complexe qui ne pouvait pas se contenter de l’ordinaire de la vie. Il n’y avait rien chez elle qui n’était pas spectaculaire. »

Le plus beau tango

Par courriel, l’écrivain Dany Laferrière a raconté à La Presse cette première entrevue qu’il a accordée à Denise Bombardier, en 1985, alors que « personne ne le connaissait » à part son éditeur Jacques Lanctôt. Son livre Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer venait d’être publié. Dany Laferrière confie avoir eu l’impression de rêver, parce qu’il avait mis en scène cette interview dans ce même livre.

« Elle m’a reçu avec un grand sourire dans une étrange robe verte des années 1980, et n’a pas cessé de me parler durant la séance de maquillage, de son plaisir de lire, de ses écrivains favoris, de son goût de la liberté, et j’espérais qu’elle mettrait autant d’enthousiasme dans cette première interview. Elle a fait plus en ajoutant un zeste de sensualité, et cette joie explosive qui ont fait de ce moment l’un des plus mémorables que j’ai connu à la télévision », écrit Dany Laferrière, pour qui ce « tango » de huit minutes est « le plus beau qu’il ait dansé sur des mots ».

La productrice Denise Robert gardera le souvenir d’une femme authentique, qui avait le courage de ses opinions. « On a perdu une grande dame. Quelqu’un qui a fait avancer les idées, les réflexions. » Après la première projection du film Le Déclin de l’empire américain du réalisateur Denys Arcand, en France, Denise Bombardier avait appelé des journalistes de tous les médias français pour leur dire à quel point ce film était incontournable.

« Le lendemain matin, Denys était invité à toutes les émissions, on a parlé du film partout, et Le déclin a eu un énorme succès en France, raconte Denise Robert. Je pense que Denys lui sera reconnaissant pour le reste de sa vie. »

Marc Gilbert, rédacteur en chef du Groupe TVA, souligne pour sa part que Denise Bombardier ne rentrait dans aucun moule. Il se souviendra d’une intellectuelle audacieuse qui a eu « beaucoup de courage toute sa vie ».

« Elle s’est toujours tenue fermement debout face à n’importe qui dans le milieu journalistique. Pas beaucoup de gens ont fait preuve d’autant d’indépendance, hommes et femmes confondus », note Marc Gilbert.

Denise Bombardier n’en était pas à une controverse près. Encore récemment, en 2018, elle a soulevé l’indignation des communautés francophones hors Québec en déclarant qu’« à travers le Canada, toutes les communautés francophones ont à peu près disparu ».

Femme de culture, amoureuse de la langue française, Denise Bombardier a vécu en France une bonne partie de sa vie. Elle a d’ailleurs eu une aventure avec Lucien Bouchard à l’époque où il était ambassadeur du Canada à Paris, dans les années 1980. « Sa grande peine d’amour, ça a été Lucien Bouchard, dit Julie Snyder. Mais l’amour de sa vie, ça a été James Jackson, qui l’a suivie dans toutes ses folies. »

« Elle quitte subitement, mais elle a bien vécu, conclut Marc Gilbert. Elle n’avait pas de regrets pour quoi que ce soit et a eu une vie bien remplie. »

Réseaux sociaux

Depuis mardi matin, les témoignages affluent sur les réseaux sociaux. Des personnalités publiques et politiques soulignent d’abord la grande intelligence de Denise Bombardier et offrent leurs condoléances à son mari, James Jackson, et à son fils, Guillaume Sylvestre.

De nombreux élus ont rendu hommage à la femme de lettres. Le premier ministre François Legault a décrit Denise Bombardier comme une femme « brillante, courageuse, drôle », une « amoureuse du Québec et de la langue française ».

La mairesse de Montréal Valérie Plante a présenté ses condoléances à la famille de cette « femme de parole et de tête. » Elle décrit Denise Bombardier comme une grande Montréalaise qui avait le courage de ses opinions.

Ministre responsable de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire, Chantal Rouleau estime que Denise Bombardier a pavé la voie aux femmes dans l’univers journalistique. Elle en parle d’une femme « forte, incarnée, qui savait tenir tête à ses interlocuteurs ».

L’auteur Stéphane Laporte a décrit Denise Bombardier comme une « brillante, dans tous les sens du terme ». « Comme il y a des divas de la chanson, elle était la diva de l’information. Une virtuose de l’opinion. Une star de l’intelligence. Elle nous a donné le goût de réfléchir. »

Marwah Rizqy, du Parti libéral du Québec, a salué son audace et son honnêteté intellectuelle. « Il faut être courageuse pour refuser la loi du silence », a écrit la politicienne en référence à la célèbre intervention de Mme Bombardier face à l’auteur Gabriel Matzneff. « Vous étiez seule. En territoire étranger, hostile. Par la puissance de vos mots, vous avez dénoncé un « intouchable ». Un moment gravé dans ma mémoire, belle leçon d’audace. »

Dans une version antérieure de ce texte, nous avons écrit que Denise Bombardier aurait subi une biopsie du foie au CHUM la semaine dernière, et que l’examen aurait mal tourné. La famille a précisé qu’elle a plutôt été emportée par un cancer fulgurant. Contrairement à ce que nous avons écrit, elle n’était pas en Floride lorsqu’elle a découvert un problème à son foie.