Imaginez : vous travaillez au salaire minimum à Montréal, et vous cherchez un appartement dans l’île. Vous suivez les recommandations du gouvernement du Canada et limitez votre budget loyer à 35 % de votre revenu brut. Qu’est-ce que vous pouvez vous permettre ? Réponse courte : pas grand-chose.

Prenons ce cas de figure : vous êtes réceptionniste dans une petite entreprise dont les locaux se trouvent au centre-ville de Montréal. Vous travaillez 40 heures par semaine au salaire minimum, soit 15,25 $ l’heure.

À ce taux, votre revenu brut mensuel atteint 2623 $. Et selon les recommandations du gouvernement du Canada, votre loyer ne doit pas dépasser 918 $ par mois.

Avec cette somme, vous avez peu d’options. Si vous cherchez un quatre et demie à Montréal, vous devrez regarder aux extrémités de l’île.

Sur Kijiji et Marketplace, la récolte est mince. À Pointe-aux-Trembles, vous trouverez un quatre et demie rénové pour 850 $, un prix qui n’inclut ni l’eau ni l’électricité. À Montréal-Nord, vous dénicherez un appartement dans une coopérative pour 715 $, eau chaude et électricité incluses, ou encore un quatre et demie ensoleillé à deux balcons pour 850 $. Pour 900 $, vous pourrez aussi devenir l’heureux locataire d’un demi-sous-sol à Longueuil, sur le boulevard Curé-Poirier.

PHOTO TIRÉE DE KIJIJI

Si vous gagnez le salaire minimum, vous pouvez vous permettre cet appartement dans une coopérative de Montréal-Nord.

Les options plus centrales existent, mais elles sont rares. Avec de la chance, vous trouverez un logement fraîchement rénové à deux pas du métro Beaubien, pour 850 $ par mois, une somme qui vous permettra habituellement de louer une chambre individuelle dans une colocation préexistante, ou un appartement beaucoup plus petit.

Une logique désuète

Même si vous dénichez un logement qui coûte 35 % de votre revenu brut, d’autres contraintes vous attendent. D’après Julie Brissette, conseillère budgétaire à l’Association coopérative d’économie familiale (ACEF) de l’est de Montréal, le budget qui respecte la recommandation du gouvernement fédéral « n’a pas de sens ».

D’abord, parce que la règle du 35 % se base sur le revenu brut.

Quand on fait un budget, on ne regarde pas le revenu brut, parce qu’il ne nous dit rien sur l’argent qu’on a dans nos poches.

Julie Brissette, conseillère budgétaire à l’Association coopérative d’économie familiale de l’est de Montréal

De surcroît, pour une personne habitant seule, il n’est « pas réaliste » de consacrer moins de 35 % des revenus nets à son loyer, soutient la conseillère budgétaire. « Pour que cette proportion soit réaliste, il faudrait qu’on ne traverse pas une crise du logement. »

Se loger sans sacrifices n’est pas une mince affaire. Les clients de l’ACEF sont souvent contraints de consacrer jusqu’à la moitié de leur revenu à leur loyer, en plus de faire des coupes ailleurs, parce que c’est plus facile que de trouver un logement abordable, souligne Julie Brissette.

Et selon le revenu moyen ?

En faisant le même exercice avec un revenu moyen, le champ des possibles s’agrandit. En 2022, le revenu moyen brut avoisinait les 57 512 $ par année, donc 4793 $ par mois. En appliquant la règle du 35 %, on arrive au prix de 1677 $ pour le loyer. D’après nos recherches, vous pourrez alors choisir entre un quatre et demie ensoleillé au cœur du Plateau-Est pour 1450 $ et un premier étage spacieux et boisé pour 1550 $ par mois. Sinon, pour 1495 $, à côté de l’Université McGill, vous trouverez un appartement lumineux à la cuisine minuscule.

Deux logements, des tonnes de visites

Trouver un logement abordable n’est pas une mince affaire, quand on gagne le salaire minimum. La Presse s’est prêtée à l’exercice.

Sur les plateformes Marketplace et Kijiji, La Presse a répondu à 47 annonces d’appartements à louer pour moins de 920 $. Seulement six annonceurs ont répondu en proposant une heure de visite, et trois autres ont répondu avec un questionnaire.

Première visite : Montréal-Nord

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

La Presse a visité le trois et demie au sous-sol de cet immeuble, dans Montréal-Nord.

Nous avons visité un premier appartement dans Montréal-Nord, un petit trois et demie au sous-sol d’un immeuble, dont le loyer mensuel de 800 $ par mois inclut l’électricité et l’eau chaude.

Au téléphone, le propriétaire s’était assuré d’emblée que sa potentielle locataire était une personne seule. « C’est petit, je préfère te prévenir », nous avait-il avertie.

Contrairement aux autres annonceurs, il a proposé une visite la journée même, sans rendez-vous.

Pour accéder à l’appartement à partir du centre-ville, on doit prévoir une heure en transports en commun. L’immeuble est situé dans une rue résidentielle parallèle au boulevard Pie-IX, loin des lignes de métro, mais accessible en autobus. La gare Saint-Michel–Montréal-Nord se trouve à 15 minutes de marche.

En descendant au sous-sol, le propriétaire a souligné qu’il avait renouvelé la cuisine et la salle de bain après le départ de l’ancien occupant, qui y vivait depuis 17 ans.

La visite a été de courte durée : l’appartement comprend un étroit séjour, une salle de bain modeste et une petite chambre.

Une pile de formulaires de candidature reposait sur le comptoir de la cuisine. « Beaucoup de monde » est passé visiter, a affirmé le propriétaire.

Le couple de propriétaires habite au deuxième étage de l’immeuble. Plusieurs couples ont voulu louer l’appartement, mais ces derniers refusent. « C’est nous autres qui payons l’électricité, pis on veut rester tranquilles », a précisé le propriétaire.

Il faisait frais, au sous-sol. Un filet de lumière entrait par les fenêtres, qui donnent sur la cour arrière et son petit potager. « On va juste te déranger pour te donner des tomates », nous a lancé la propriétaire en souriant.

Deuxième visite : Centre-Sud

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Immeuble abritant le trois et demie visité par La Presse dans le Centre-Sud

Le deuxième appartement que nous avons visité dépassait un peu notre budget, mais était bien mieux situé que nos autres options. À quelques minutes de marche des stations Berri-UQAM et Beaudry, ce petit trois et demie au cœur du Centre-Sud coûte 950 $ par mois, internet compris.

Nous sommes arrivés, comme convenu, à 18 h. Trois couples attendaient déjà en file, sur le trottoir.

L’appartement est petit, mais en bel état. La cuisine a été rénovée, comme la salle de bain. Le plancher a été sablé et l’isolation refaite. Dans le séjour baigné de lumière, le propriétaire a expliqué que l’immeuble datait de 1870. « Tout était à refaire », a-t-il soupiré.

« J’ai d’autres condos », a ajouté le propriétaire. Sa conjointe et lui habitent d’ailleurs l’appartement adjacent, un grand sept et demie de 250 m⁠2 qu’il aimerait subdiviser.

L’appartement comprend une petite laveuse et les électroménagers. Le propriétaire offre également de laisser les quelques meubles qui s’y trouvent déjà.

« Il y a beaucoup, beaucoup de monde qui est intéressé », nous a-t-il avertie, affirmant qu’en un jour, pas moins de 1300 personnes lui ont écrit et une quarantaine sont venues visiter.

Le propriétaire a expliqué qu’au départ, il était ouvert à louer à un couple de locataires, mais la forte demande l’a poussé à « épurer ». Il a donc choisi de privilégier les personnes seules.

Après la visite, devant l’immeuble, de nouveaux visages s’étaient ajoutés à la file qui bordait le trottoir. Le lendemain, l’appartement était loué.