En fin de soirée jeudi, plus de 350 000 Montréalais manquaient toujours d’électricité. Beaucoup ont passé une partie de la journée à la recherche d’endroits où se tenir au chaud, recharger les batteries des appareils électroniques et casser la croûte.

Les rues d’Outremont et de Mont-Royal sont plongées dans l’obscurité, jeudi soir : pas un lampadaire, pas un feu de signalisation. Dans la lueur des phares apparaissent la silhouette des demeures et les carcasses de branches cassées repoussées le long des rues. Ici et là, un camion d’Hydro-Québec.

Au bout du boulevard Rockland, tout aussi sombre, apparaît un mirage : les enseignes lumineuses du Centre Rockland. Situé au cœur de plusieurs secteurs fortement touchés par les pannes – notamment Mont-Royal, Outremont et Parc-Extension –, il a été assailli par des personnes en quête de chaleur et de nourriture.

Partout ailleurs dans la métropole, les cafés, les restaurants et même des stations de métro ont vécu ce même afflux, a pu constater La Presse.

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Tamer Tawfeek (à gauche), Basant Meikhail et leurs trois enfants

« C’est difficile, parce qu’il a commencé à faire froid, il n’y a pas d’eau chaude, et ce n’est pas facile pour le bébé », témoigne Basant Meikhail. Cette mère de famille s’est réfugiée avec son conjoint Tamer Tawfeek et leurs trois enfants au centre commercial une bonne partie de la journée de jeudi. La petite dernière, Maritshia, est âgée d’à peine 7 semaines.

Dans Villeray, ils ont perdu l’électricité à 21 h mercredi soir. Vingt-quatre heures plus tard, pas de signe d’un retour.

Toute notre nourriture va aller aux poubelles, c’est minimum 350 $.

Tamer Tawfeek

M. Tawfeek a tenté de joindre des hôtels pour passer la nuit, mais sans succès : tout était plein. « On va dormir tous ensemble dans le salon », se console Mme Meikhail.

Partir ou rester ?

À leurs côtés, dans le brouhaha du centre commercial, Tania Portillo et Philippe Cadieux ont emmené leurs deux filles manger une glace, tout en se réchauffant.

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Tania Portillo, Philippe Cadieux et leurs deux filles

« La nuit dernière, j’avais un peu froid », clame Tamara, âgée de six ans et demi. « Donc les filles sont venues nous rejoindre dans le lit et la famille a dormi collée », explique Mme Portillo.

La famille a de la parenté dans les Laurentides et se demande si elle part la rejoindre le soir même, ou si elle reste sur place dans l’espoir que l’électricité revienne.

« Je n’avais jamais vu ça »

Ce centre commercial a été assailli par des personnes en quête d’une boisson chaude dès le matin, témoigne aussi Issa Haddad. « Il y avait des lignes qui n’en finissaient pas, à tous les cafés, restaurants, au Starbuck. Au Tim Hortons, il aurait fallu que j’attende au minimum une heure et demie pour avoir un café ! », s’étonne-t-il.

Débrouillard, ce résidant d’Outremont a finalement trouvé la solution : il s’est préparé un café soluble dans l’eau froide, chez lui. Et il s’est procuré un petit réchaud qu’il peut utiliser à l’intérieur. En soirée, nous le rencontrons installé à côté d’une prise électrique où il charge son téléphone cellulaire, tout en lisant.

Son seul regret, dans les circonstances, la nourriture perdue : « J’ai deux congélateurs pleins, et je mets beaucoup de travail pour [le remplir]. J’ai du pesto et toutes sortes d’autres choses », déplore-t-il.

Des prises électriques en partage

Il suffit de faire quelques pas dans le centre commercial pour voir des dizaines de personnes utilisant les prises électriques à leur disposition.

Zain El Arab a même amené une multiprise, pour recharger les téléphones de sa famille élargie avec qui il habite, dont un nourrisson d’un mois. Il la partage avec ceux qui en ont besoin.

« C’est difficile, on ne peut pas prendre de café ou chauffer de la nourriture, surtout avec les bébés », confie-t-il.

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Michel Tardif

Michel Tardif, lui, préfère être au Centre Rockland, parce que « dans la maison, il n’y a rien à faire ».

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Corinne Ho

Un peu plus loin, Corinne Ho, une Américaine de Los Angeles, pianote sur son cellulaire à la recharge. Mme Ho est en visite chez sa mère, qui vit à Ahuntsic-Cartierville. « C’est sûr que c’est plus agréable [dans le centre commercial] et qu’il fait plus chaud », souligne-t-elle en montrant les vitrines éclairées des magasins autour. Est-elle déçue de sa visite au Québec, dans les circonstances ? « Oh non, j’adore Montréal ! », s’exclame-t-elle.