Non, les anciens combattants ne sont pas tous de vieux messieurs à bérets bardés de médailles. Ils le sont même de moins en moins. Pour le jour du Souvenir, La Presse a rencontré deux femmes et deux vétérans « nouvelle génération », qui veulent aussi qu’on se souvienne.

« Les gens ne réalisent pas l’importance que nous avons eue… »

Elles ne se connaissaient pas avant jeudi matin. Elles ont pourtant presque le même âge. Ont toutes deux servi dans l’aviation pendant la Seconde Guerre mondiale. Ont été cantonnées à Halifax. Et sont aujourd’hui pensionnaires à l’Hôpital pour vétérans de Sainte-Anne-de-Bellevue.

Il aura fallu une visite de La Presse pour que Noreen Griffith et Anna Marie Kirwin se rencontrent et se serrent la main pour la première fois. Une scène inattendue, immortalisée par notre photographe.

Mme Griffith, 99 ans, et Mme Kirwin, 96 ans, sont des oiseaux rares. Elles figurent parmi les 13 % de femmes vétérans que compte l’armée canadienne et appartiennent au club plus que sélect du 1 % de femmes de 90 ans et plus à avoir servi sous les drapeaux.

Pour elles, cela n’a rien d’extraordinaire. C’était les années 1940, elles cherchaient une façon d’être financièrement autonomes et se sont engagées pour participer à l’effort de guerre. Elles étaient jeunes, aventureuses, brillantes. Elles ont aimé leur expérience. Voilà tout.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Portrait d'Anna Mary Kirwin alors qu'elle servait dans l'armée.

Cela dit, elles sont bien conscientes de faire partie d’une minorité. Et elles admettent que les femmes vétérans ne pas toujours reconnues à leur juste valeur, trop souvent condamnées à rester dans l’ombre de leurs semblables masculins.

« C’est vraiment regrettable, tranche Anne Marie Kirwin, sans perdre son sourire malicieux. J’ai des amies qui sont allées outre-mer. Les gens ne réalisent pas l’importance que nous avons eue. »

Noreen Griffith abonde dans le même sens.

Il y a tellement de personnes qui pensent qu’on ne devrait pas se mêler des affaires des hommes. C’est pourtant exactement ce que nous avons fait !

Noreen Griffith, vétéran

Mme Griffith explique qu’elle était affectée au décodage de signaux en morse, qui permettait de garder le contact avec les navires canadiens. Elle se perd un peu dans les détails (« tout cela est tellement loin »), mais se rappelle que, hommes ou femmes, sans distinction, « on faisait le travail ».

Coïncidence : les deux femmes ont remisé leur uniforme peu de temps après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elles auraient pu poursuivre leur carrière sous les drapeaux, mais la vraie vie les a amenées ailleurs.

Anna Marie Kirwin a fondé une famille, elle a eu 10 enfants, en plus de travailler comme secrétaire pour un ingénieur minier.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Portrait de Noreen Griffith alors qu'elle servait dans l'armée.

Noreen Griffith a trouvé un poste chez Bell et s’est occupée de sa mère. Elle n’a eu ni mari ni enfants. « Pour rester indépendante, parce que l’indépendance, c’est la clé. »

Des regrets ? Aucun, dit-elle, sauf celui de ne pas avoir été envoyées outre-mer pendant le conflit. Elle s’esclaffe : « Je voulais voir l’Europe, j’ai vu les Maritimes ! »

Une « nouvelle génération » moins reconnue…

« L’autre jour, quelqu’un m’a demandé un gâteau aux fruits… »

Sylvain Grenier, 61 ans, ne sait pas trop s’il doit rire ou pleurer. Mais il est certain d’une chose : le grand public n’est plus très sensible à la réalité des vétérans.

Quand on l’a rencontré mercredi dans un supermarché d’Anjou, cet ex-militaire, qui a passé sept ans dans l’armée, vendait des coquelicots pour le jour du Souvenir. À côté de lui, Pierre Berenger, 55 ans, ancien combattant en Bosnie, en Croatie et en Afghanistan, partageait le même constat.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Pierre Berenger et Sylvain Grenier, vétérans

« On dirait que ça a perdu de l’importance, dit-il. Quand j’étais jeune, tout le monde portait le coquelicot. Aujourd’hui, la plupart des gens qui viennent nous voir nous demandent pourquoi on est ici. »

Il est vrai que Sylvain et Pierre ne correspondent pas à l’image type du vétéran avec un grand V. Ils ont leurs médailles bien en évidence sur leur poitrine, mais leur jeune âge (enfin, c’est relatif…) et leurs looks de rockeurs leur donnent plutôt l’air de membres du groupe Offenbach.

Ils ont pourtant vu leur part d’action. À commencer par Pierre, qui admet être revenu du front avec quelques « petits bobos » relevant du choc post-traumatique. Il se décrit comme « super anxieux, en état d’hypervigilance » permanent, super stressé.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Pierre Berenger

« Sur le coup, on pense qu’on est faits forts. On pense qu’on apprend quelque chose sur nous-mêmes. Mais après, on réalise qu’on en a perdu des bouts », explique-t-il, assumant parfaitement sa fragilité.

Mais ces « vétérans nouvelle génération », comme ils se qualifient eux-mêmes, n’ont malheureusement pas la même aura que les anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale ou de la guerre de Corée, qui sont du reste de moins en moins nombreux.

Cela peut s’expliquer. Les conflits plus récents ont été moins médiatisés. La routine des Canadiens n’en a pas été affectée. Ces guerres n’étaient pas mondiales et font moins partie de notre imaginaire collectif.

Pierre et Sylvain aimeraient sans doute que ce soit différent. Mais ils n’y peuvent pas grand-chose, si ce n’est en vendant des coquelicots pour le jour du Souvenir. Une occasion en or pour faire leur « devoir de mémoire » et « pour éduquer le monde », expliquent-ils.

Avec un peu de chance, on ne leur demandera plus de gâteau aux fruits…

En savoir plus
  • 617 800
    Nombre de vétérans de l’armée canadienne (115 000 au Québec)
    Source : ministère des Anciens Combattants, 31 mars 2021
    156 176
    Nombre de vétérans bénéficiaires d’une prestation d’invalidité
    Source : ministère des Anciens Combattants, 31 mars 2021
  • 3
    Les trois problèmes de santé les plus fréquents chez les vétérans sont l’hypoacousie, les acouphènes et le stress post-traumatique.
    Source : ministère des Anciens Combattants, 31 mars 2021
    25 500
    Nombre d’anciens combattants de la Deuxième Guerre mondiale et de la guerre de Corée toujours en vie (2000 au Québec)
    Source : ministère des Anciens Combattants, 31 mars 2021
  • 96 ans
    Âge moyen des vétérans de la Deuxième Guerre mondiale (89 ans pour la Corée)
    Source : ministère des Anciens Combattants, 31 mars 2021
    40 026
    Nombre d’anciens combattants de l’Afghanistan
    Source : ministère des Anciens Combattants, 31 mars 2021