Le plus grand projet de condos à Beaconsfield a du plomb dans l’aile. La construction du West Hill, détenu à 50 % par une entreprise du gendre de Tony Accurso, est interrompue depuis plus d’un an. Les partenaires dans le projet ne se parlent plus, ont perdu leurs permis de construction et sont poursuivis pour des millions par leurs prêteurs, dont une société appartenant à la famille d’un proche de la mafia.

La société 110434 Canada inc. réclame 1,6 million aux promoteurs du projet, qui doit compter à terme jusqu’à 150 appartements dans quatre immeubles de quatre étages, à l’angle de la rue Elm et de la promenade Alton.

La société à numéro appartient aux enfants d’Antonio Pietrantonio, alias Tony Suzuki, 59 ans. Le gangster a écopé d’une peine de trois ans de prison au début des années 1990 après l’opération Jaggy et la saisie de 740 kilogrammes de cocaïne au large de la Nouvelle-Écosse.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Antonio Pietrantonio, alias Tony Suzuki, au mariage du Hells Angel Martin Robert le 1er décembre 2018 au centre-ville de Montréal. Il doit son surnom à la concession Ville-Marie Suzuki qu’il a exploitée avec sa famille jusqu’en 2007.

Au début des années 2000, l’opération antimafia Colisée a décrit ses multiples contacts avec Vito Rizzuto, parrain de la mafia montréalaise jusqu’à sa mort en 2013. La Gendarmerie royale du Canada considérait Pietrantonio comme le chef d’une des cellules que ciblaient ses enquêteurs. Les policiers avaient cependant concentré leurs efforts sur d’autres suspects et ne l’ont pas arrêté.

Son fils Gabriel est président de 110434 Canada inc., qui poursuit le promoteur du West Hill, détenu à 50 % par Karol Fortin, conjoint de Lisa Ray, fille de Tony Accurso.

PHOTO TIRÉE D’INSTAGRAM

Karol Fortin et Lisa Ray, fille de Tony Accurso

Selon nos sources policières, des membres et proches du crime organisé ont assisté au mariage de Gabriel Pietrantonio le 27 août dernier au Club Atwater, dont l’influent Hells Angel Martin Robert et Francesco Del Balso, un acteur important du monde interlope montréalais.

Les deux autres enfants de Tony Suzuki, Adriano et Marina Pietrantonio, sont actionnaires avec Gabriel de la société de prêts privés.

Permis de construire échus

Quand la poursuite de l’entreprise des Pietrantonio est tombée en juillet dernier, le chantier du West Hill était déjà paralysé depuis près d’un an.

Aujourd’hui, les permis de construction sont échus et pour redémarrer les travaux, le promoteur devra payer des dizaines de milliers de dollars pour en obtenir de nouveaux. Il devra aussi passer une nouvelle entente avec Garantie de construction résidentielle (GCR).

« L’entreprise n’a plus le droit de construire, donc le projet ne peut plus aller de l’avant », dit François-William Simard, vice-président aux communications de l’organisme, qui protège les dépôts des acheteurs. L’un d’entre eux vient d’ailleurs de lui faire parvenir une première demande d’indemnisation pour récupérer son acompte.

Le principal prêteur du projet, la Société de portefeuille HMT inc. de Toronto, réclame aussi plus de 2,3 millions sur un financement de premier rang que le promoteur du West Hill ne rembourse plus depuis mai dernier.

Des sous-traitants qui ont travaillé sur le projet réclament en outre plus d’un demi-million à l’entreprise qui détient le projet.

Des associés difficiles à joindre

Une autre entreprise de Karol Fortin a déjà construit un premier immeuble de 24 appartements sur le site du West Hill. Le promoteur s’est ensuite associé au couple de promoteurs Frank Scartozzi et Stéphanie Gould. Ensemble, ils ont formé une nouvelle société pour construire une deuxième phase identique. Mais alors que les problèmes s’accumulent, les communications sont rompues entre les associés.

PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK

Stéphanie Gould et Frank Scartozzi, partenaires de Karol Fortin au West Hill

Karol Fortin a donc déposé une requête pour forcer ses coactionnaires à lui céder le projet, ou alors à le terminer sans lui s’ils refusent. « On a tellement fait d’offres, et l’autre, il ne répond pas, ça fait qu’on va demander à un juge de prendre la décision », dit l’homme d’affaires, en entrevue avec La Presse.

Selon lui, c’est Frank Scartozzi qui était chargé de trouver du financement auprès des prêteurs privés qui tentent aujourd’hui de récupérer leurs billes.

Il a d’abord déniché un prêt de 5,9 millions de HMT. « Il manquait encore de l’argent, explique Karol Fortin. Il a dit : “J’ai un de mes chums qui fait du financement.” »

Le chum, c’est Gabriel Pietrantonio, fils de Tony Suzuki.

PHOTO ISSUE DE LINKEDIN

Gabriel Pietrantonio, fils d’Antonio Pietrantonio et président de 110434 Canada inc., qui poursuit le promoteur du West Hill pour 1,6 million

Contacté par La Presse par téléphone et par l’entremise de son avocat Ciro Cucciniello, Frank Scartozzi n’a pas rappelé.

Une visite impromptue

En entretien avec La Presse, l’avocate de Karol Fortin, Audrey Lanctôt, raconte comment Gabriel Pietrantonio et son père lui ont rendu visite sans s’annoncer, en juillet dernier, après le dépôt de leur poursuite contre les partenaires du West Hill.

« Ils sont venus à mon bureau à brûle-pourpoint », dit-elle. Ils lui ont alors demandé d’être remboursés.

Ils m’ont appelée et ils étaient dans la salle de conférence. Je suis allée voir. J’ai juste parlé avec Gabriel, mais son père était là.

Audrey Lanctôt, avocate de Karol Fortin

Karol Fortin assure qu’il ignorait qui était le père de son prêteur Gabriel Pietrantonio. « Mon avocate me dit que Gabriel a une compagnie de financement à lui », sans lien avec son père, dit l’entrepreneur.

Contactée par La Presse, l’avocate de la société des Pietrantonio, Kristen Petitclerc, n’a pas rappelé.

Karol Fortin assure que ce conflit judiciaire « est sur le point de se régler ». « Au bout de la ligne, je vais les payer », dit-il.

Acheteurs protégés

Joint par La Presse, un client qui a réservé un appartement en septembre 2020 dit qu’il est entré en contact avec GCR pour se faire rembourser son acompte de 41 000 $.

Zach Herskovitz se félicite de ne pas avoir confié davantage de fonds au promoteur.

« Il nous a demandé 80 000 $ de plus en février 2021 pour qu’on puisse conserver notre [logement] », dit-il. Le plan de garantie prévoit pourtant un plafond de 50 000 $ comme dépôt assurable.

« On avait dit oui, mais finalement, il n’est jamais revenu nous voir », dit Zach Herskovitz.

GCR invite tous les acheteurs laissés pour compte à contacter l’organisme.

« L’entrepreneur a l’air de vouloir rembourser les gens », dit François-William Simard. De toute façon, comme il était inscrit au plan de garantie lorsqu’il a encaissé ces sommes, les dépôts sont protégés en vertu du programme.

Ce texte a été modifié afin de refléter le fait que Karol Fortin est le conjoint de Lisa Ray, mais que les deux ne sont pas mariés. Nos excuses.