Une famille de Blainville forcée d’évacuer d’urgence son logement dangereux après des travaux réalisés sans permis par son propriétaire

Nathalie Bélanger et sa famille ont dû évacuer d’urgence leur appartement de Blainville après y avoir vécu plus de 20 ans. Ils craignent maintenant de se retrouver à la rue. Les pompiers ont jugé que la structure du triplex était dangereuse après que le propriétaire a entrepris des travaux sans permis.

« Là, je suis dans rue, puis j’ai peur, puis je ne sais pas quoi faire, puis j’ai besoin d’aide », dit Mme Bélanger, visiblement bouleversée.

Des ouvriers sont venus rue Bruchési, le 20 septembre dernier, pour démolir les deux logements en bas de chez elle à coups de masse, dit-elle.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

La résidence de Nathalie Bélanger, rue Bruchési, à Blainville

« Ils ont vargé de la masse pendant quatre jours, sans m’avertir », dénonce celle qui vivait à l’étage pour 665 $ par mois. Puis, le 23 septembre, les pompiers lui ont annoncé qu’elle devait quitter son appartement sans délai.

« On est allés sur les lieux, puis on a constaté qu’il y avait un danger à l’intégrité de la structure », confirme Claude Deschuymer, directeur du Service de la sécurité incendie de Blainville.

Le propriétaire de l’immeuble affirme que des travaux de rénovation dans les logements du rez-de-chaussée et du demi-sous-sol devaient être effectués, mais n’exigeaient pas le départ de Mme Bélanger. C’est pendant les travaux qu’on aurait découvert l’état dangereux du bâtiment, assure-t-il.

L’entrepreneur, Martin Robbins, et le propriétaire affirment que les travailleurs n’ont pas touché à la structure ; ils ont simplement retiré le gypse afin de pouvoir y jeter un coup d’œil. « Quand on a ouvert ça, on a vu que les murs de soutien étaient tous pourris, tout le tour du bâtiment », résume Guy Tardif, propriétaire de l’immeuble depuis juin.

« Heureusement qu’on a trouvé ça, parce que ça aurait été très dangereux pour les occupants, et c’est la raison pourquoi on a appelé les autorités compétentes », dit M. Robbins.

Le service de l’urbanisme de la Ville indique qu’une demande de permis de travaux a été déposée pour cette adresse, mais qu’il n’avait pas encore été accordé la semaine dernière. Un avis d’infraction a d’ailleurs été transmis au propriétaire le 29 septembre.

MM. Robbins et Tardif disent que la situation est maintenant régularisée.

Tactiques douteuses

Mais Mme Bélanger ne voit pas les choses du même œil. Les agents d’une entreprise de gestion immobilière agissant pour le compte de M. Tardif — CAP Immobilier — ont tenté de la convaincre de partir bien avant. « Ils me disent qu’il faut que je m’en aille, qu’il [le propriétaire] ne veut pas m’avoir, puis qu’il ne veut pas me reprendre parce que lui, il va mettre un logement neuf puis qu’il veut faire de l’argent avec ça », explique-t-elle.

Dans un appel enregistré à la fin d’août et fourni à La Presse, Martin Trudeau, de CAP Immobilier, lui a offert 7000 $ pour qu’elle déménage. Elle a refusé, soulignant que son déménagement à lui seul coûterait au moins 5000 $ — elle a accumulé beaucoup de choses au fil des années — et qu’il lui serait difficile, voire impossible, de trouver un logement comparable aussi abordable dans le contexte actuel.

Si [le propriétaire] réussit à faire mettre la bâtisse dangereuse, puis qu’ils la démolissent, la Régie du logement va résilier votre bail, puis là, vous aurez zéro.

Martin Trudeau, agent de CAP Immobilier, en août dernier

Confronté à ces propos, M. Tardif assure que son plan n’a jamais été de démolir le triplex, mais bien de le rénover. « Je ne sais pas pourquoi [M. Trudeau] a dit ça, demandez-lui. »

M. Trudeau n’a pas rappelé La Presse. Le président de CAP Immobilier, Sébastien Jean, explique que selon lui, M. Trudeau ne faisait qu’expliquer les différents scénarios possibles afin d’aider Mme Bélanger à faire un choix éclairé. Il assure qu’il ne s’agissait pas d’une stratégie visant à forcer la locataire à accepter une offre plus basse.

« Des mauvaises surprises »

M. Tardif se défend en outre d’avoir manqué à ses obligations de locateur en n’avisant pas Mme Bélanger des travaux à venir. Les locataires doivent normalement recevoir un avis au moins trois mois avant d’être évacués pour des travaux majeurs, indique le Tribunal administratif du logement (TAL).

Consultez le site internet du TAL

Je n’avais pas besoin de la relocaliser [au départ]. C’est à cause que l’immeuble peut s’effondrer. C’est juste pour ça. Si ce n’était pas de ça, elle pouvait rester là pendant que je faisais mes travaux puis ça ne changeait rien dans sa vie, à part que ça faisait un peu de bruit si elle restait là dans le jour.

Guy Tardif, propriétaire de l’immeuble

M. Tardif ajoute qu’il s’attendait à ce que Mme Bélanger déménage le 1er juillet dernier, comme les deux autres locataires l’ont fait. Elle avait cependant renouvelé son bail, que La Presse a pu consulter, avec le propriétaire précédent, Martin Gingras.

Ce dernier assure avoir averti M. Tardif du renouvellement, et dit qu’il ne connaissait pas l’état de la structure lors de la vente. « Je savais qu’il y avait des travaux vraiment importants à faire, mais à quel point la structure était endommagée, ça, je l’ignorais. »

« C’est sûr qu’en ouvrant les murs, tu peux découvrir des mauvaises surprises », dit en soupirant M. Gingras, précisant qu’il a lui-même acheté l’immeuble « sans garantie légale » en janvier 2021.

Mme Bélanger, elle, s’est installée temporairement dans un camping de Sainte-Anne-des-Plaines avec son fils, son conjoint et ses six chats. Ses assurances refusent de l’indemniser pour la perte de son logement, dit-elle. Elle n’a pas de chauffage ni d’eau chaude, et elle devra quitter le camping dans quelques jours puisqu’il doit fermer pour l’hiver. Après, elle ne sait pas ce qui l’attend.

Pour joindre Frédérik-Xavier Duhamel, écrivez-lui par courriel au fduhamel@lapresse.ca.