Diriger un quotidien, c’est se poser mille et une questions sur la langue et sur le choix de mots. Chaque jour.

Samedi dernier par exemple, avant de publier notre premier texte sur le chanteur Win Butler, nous avons dû nous demander comment accorder le participe passé d’une phrase prononcée par une des victimes présumées : on écrit « il m’a plaquée » ou « il m’a plaqué » pour une personne non binaire ?

Le lendemain, nous nous interrogions sur le traitement du « Plan d’action fédéral 2ELGBTQI+ du Canada », étant donné que nous privilégions le sigle LGBTQ+ à La Presse : on garde le nom du plan tout du long et on utilise le sigle court dans le reste du texte ?

D’autres fois, la question qui se pose est plus fondamentale, comme celle posée par un lecteur ces derniers jours, dans la foulée du débat sur la colère qui s’exprime et le degré de responsabilité d’Éric Duhaime : « Mais pourquoi vous n’osez pas écrire que le Parti conservateur est un parti d’extrême droite ? »

La réponse : parce qu’il n’est pas d’extrême droite.

Les mots ont leur importance, il est nécessaire de le rappeler.

Accoler une étiquette à une formation politique est un geste significatif : on le catégorise aussitôt en l’enfermant dans une petite boîte.

Les reporters doivent donc le faire avec parcimonie, uniquement quand cette étiquette est évidente et ne fait pas débat (le Parti québécois est un parti indépendantiste, par exemple). Les chroniqueurs et éditorialistes ont plus de marge de manœuvre, car ils ont le droit d’exprimer leur opinion… mais là encore, les mots ont un poids.

Quand on qualifie le Parti conservateur du Québec (PCQ) d’extrême droite, on lui accroche plusieurs casseroles à la fois : xénophobie et racisme, haine et violence, hostilité à l’endroit des immigrants, volonté de s’attaquer à l’État.

Les mouvements d’extrême droite « considèrent comme légitime l’emploi de la violence et utilisent des voies autoritaires, voire terroristes, pour défendre leurs idées, précise l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke. Les groupes qui proposent des programmes ayant un caractère clairement xénophobe, raciste et anti-immigration sont généralement associés à cette idéologie ».

Soyons sérieux, la plateforme du Parti conservateur ne propose pas de rompre avec la démocratie, pas même de miner les droits des minorités.

À la limite, cette formation que son chef qualifie de « démocrate » et « pacifiste » nourrit une aversion contre l’État, contre le filet social, contre le système, et encore. Elle ne va pas jusqu’à remettre en question le système de justice ou l’État de droit.

Cela dit, on parle ici des positions officielles du parti. Est-ce qu’Éric Duhaime fait des appels du pied (dog whistle en anglais) aux conspirationnistes et à ceux qui sont prêts à se révolter contre le système ? Oui.

Est-ce qu’il a eu dans le passé des déclarations dénigrantes sur les « pauvres », les femmes et même les survivantes de l’attentat de Polytechnique ? Tout à fait.

Mais ça ne fait pas du PCQ un parti d’« extrême droite » pour autant, pas plus que ça ne fait d’Éric Duhaime un leader de cette idéologie.

On peut certainement juger que cette formation joue un jeu dangereux en flirtant avec des positions discutables.

On peut aussi s’interroger sur la pertinence de vouloir « faire entrer la grogne entre les murs du parlement ». Mais tout au plus cette posture traduit-elle une approche populiste, une étiquette qui sied bien au PCQ.

Cette formation prétend en effet incarner le peuple et sa volonté, et elle soutient le faire en opposition aux institutions et aux contre-pouvoirs. Comme l’a confirmé Éric Duhaime jeudi dernier, en déclarant que « nous autres, on n’a pas besoin de gardes du corps, parce que le peuple est avec nous ».

Et plus encore, le Parti conservateur peut être qualifié de « libertarien », puisque ses engagements chantent d’abord et avant tout les vertus de la liberté de choix des individus contre celles des mesures sociales et collectives : pas de mesures sanitaires pour tous, un système de santé à deux vitesses, un État rétréci, une réduction importante des impôts, etc.

Bref, ce parti rêve d’un monde dans lequel règne le chacun pour soi, non pas l’anarchie.

Le PCQ n’est donc pas d’extrême droite, même si, en son sein, il peut y avoir des militants d’extrême droite. De la même manière que Québec solidaire n’est pas un parti d’extrême gauche… même si on retrouve peut-être en son sein des militants d’extrême gauche.

Dans les extrêmes, on retrouve des formations politiques qui cherchent à renverser le système, à sortir la société de la démocratie. Et on n’est pas là avec le PCQ ni avec QS.

Éric Montigny, directeur scientifique de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires de l’Université Laval

Pourrait-on qualifier Québec solidaire de « populiste », en revanche ? Et la CAQ, elle ?

Là, soyons honnêtes, on entre dans une zone grise.

Et je vais laisser l’expert de science politique répondre : « Québec solidaire a peut-être déjà eu une tentation populiste de gauche. Mais depuis l’arrivée de Gabriel Nadeau-Dubois comme principal porte-parole, on y sent une volonté de s’institutionnaliser, de se professionnaliser et d’élargir sa base électorale. »

Quant à la CAQ, Éric Montigny précise qu’elle n’est pas populiste, mais plutôt électoraliste : « Ce n’est pas pour rien que François Legault se définit d’abord comme un pragmatique. La CAQ vise à rejoindre l’électeur médian. Celui-ci se trouve au centre, là où se situe le plus grand nombre d’électeurs. »

Mais là, on est visiblement dans l’analyse politique… non plus dans le débat sémantique sur les bons choix de mots à employer dans La Presse.