Des annonces trompeuses. Des frais douteux. Et, à la fin, une bien mauvaise surprise : une chambre qui n’a rien voir avec ce qui leur avait été promis.

« C’est une arnaque totale. J’ai été dupé et manipulé », lance Antoan Georgiev.

L’étudiant bulgare nous ouvre la porte de son logement, au 30étage d’une tour de la rue Guy, dans le centre-ville de Montréal.

Derrière lui, le salon a été divisé en deux chambres, séparées par des étagères et une porte-accordéon en plastique, avec une ouverture de plus d’un pied au plafond.

Antoan Georgiev, qui débourse 700 $ par mois, s’estime chanceux : au moins, il a une fenêtre. L’autre « chambre », non.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Immeuble au 2250, rue Guy, à Montréal

La Presse a visité cinq logements identiques sous-loués par des étudiants avec l’agence Harrington Housing. Six locataires (anciens et actuels), qui ont résidé dans trois immeubles différents, à Montréal et à Toronto, accusent l’agence de les avoir floués avec des annonces qu’ils estiment trompeuses et des frais douteux.

Établie à Toronto, Harrington Housing sous-loue des chambres meublées dans de nombreuses grandes villes du monde, dont New York, Washington, Boston et Londres.

À Montréal, l’entreprise affiche plus de 300 chambres sur son site, réparties dans de nombreux immeubles, la plupart situés dans le centre-ville.

Sa clientèle cible : les étudiants et les jeunes professionnels qui rêvent de vivre dans « un appartement haut de gamme à un prix inférieur à celui du marché ».

Pour les petits budgets, Harrington Housing propose son option « Flex Plus » ou « Flex Basic », une chambre « séparée du reste de la suite par un système de bibliothèque intelligent ».

« Vous pouvez profiter d’une intimité totale ainsi que de meubles de qualité à un prix très raisonnable », écrit l’agence.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Thibaut, étudiant français

Sauf qu’en réalité, les chambres n’ont rien à voir avec l’annonce en ligne, déplore Thibault, qui a préféré ne pas donner son nom de famille.

« Les photos sur le site, je ne sais pas d’où elles viennent, mais ça n’a aucun rapport », lâche l’étudiant français.

  • Photo d’une chambre « Flex Basic » au 2250, rue Guy, telle qu’annoncée sur le site de l’agence. La Presse a visité cinq logements dans le même immeuble qui ne correspondent pas à la photo.

    CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE HARRINGTON HOUSING

    Photo d’une chambre « Flex Basic » au 2250, rue Guy, telle qu’annoncée sur le site de l’agence. La Presse a visité cinq logements dans le même immeuble qui ne correspondent pas à la photo.

  • Photo d’une chambre « Flex Plus » au 2250, rue Guy, telle qu’annoncée sur le site

    CAPTURE D’ÉCRAN SITE DE HARRINGTON HOUSING

    Photo d’une chambre « Flex Plus » au 2250, rue Guy, telle qu’annoncée sur le site

  • Photo de la cuisine d’un appartement avec « Flex Plus » au 2250, rue Guy, tel qu’annoncé sur le site

    CAPTURE D’ÉCRAN SITE HARRINGTON HOUSING

    Photo de la cuisine d’un appartement avec « Flex Plus » au 2250, rue Guy, tel qu’annoncé sur le site

1/3
  •  
  •  
  •  

Dans son annonce, Harrington Housing souligne que le « système de bibliothèque n’isole pas complètement la zone et qu’il y a un petit espace en haut de la zone de séparation ».

L’agence indique aussi que les images sont « présentées à des fins d’illustration » et recommande une visite en personne ou virtuelle.

Ce qu’Antoan Georgiev avait pourtant fait.

Ils vous font visiter un logement modèle, qui est une chambre normale et fermée. Puis vous emménagez et vous êtes confronté à la vérité.

Antoan Georgiev

« C’est la définition de la mauvaise foi. Ils ne se soucient de rien. Ils veulent seulement votre argent », poursuit-il.

Rosalie Trigg, qui a résidé pendant huit mois dans un immeuble de la rue Drummond, s’attendait elle aussi à une chambre fermée.

Elle s’est finalement retrouvée à partager un appartement de 3 chambres… avec 4 colocataires.

« J’avais la moitié du salon. Les murs étaient en carton. Je pouvais entendre la fille de l’autre côté qui tapait sur son clavier d’ordinateur », rapporte l’étudiante albertaine, qui déboursait 620 $ par mois.

« Dès que j’ai vu la chambre, je suis partie. Je ne suis même pas restée une nuit », raconte Juliet Radic, une étudiante française de 20 ans, qui a dû se loger d’urgence chez des amis à Montréal.

Le Centre de ressources pour le logement et l’emploi de l’Université Concordia dénonce cette pratique qui consiste à ajouter des chambres « avec des étagères, des bibliothèques ou des rideaux ».

Cette pratique permet à Harrington Housing de maximiser le nombre de locataires, et ce, au détriment de l’intimité des locataires.

Adia Giddings, assistante au Centre de ressources pour le logement et l’emploi de l’Université Concordia

En entrevue avec La Presse, un représentant de Harrington Housing, qui a refusé d’être identifié, a soutenu qu’il ne resterait plus que « cinq ou six » appartements divisés comme les logements visités par La Presse, et dans un seul immeuble.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

La chambre est en fait une pièce séparée par des cloisons amovibles, dans un salon. Celle qui habite dans la section du milieu n’a pas de fenêtre.

« Revenez le 1er septembre, et vous n’en verrez plus. C’était une mauvaise décision […] et nous ne les avons plus. Nous avons commencé à tous les enlever », s’est-il défendu.

Un logement visité par La Presse sur la rue Drummond concordait davantage à l’annonce : les étagères montaient jusqu’au plafond et chaque chambre avait une fenêtre.

Des frais douteux

Les étudiants dénoncent aussi des frais douteux dans leur contrat, et qui seraient interdits par la loi selon des avocats.

En effet, Harrington Housing exige un dépôt de sécurité de 500 $ dans le but de « réserver la chambre et de couvrir les pertes, les coûts excédentaires ou les dommages potentiels ».

Sur cette somme, une déduction obligatoire minimale – et donc non remboursable – de 150 $ est retirée pour « les frais d’installation de la literie, les services de nettoyage après le déménagement et la dépréciation du mobilier ». (Au moins une étudiante rapporte n’avoir jamais reçu son dépôt au terme de son contrat, ce que démontrent aussi des échanges de courriels entre l’étudiante et l’agence consultés par La Presse.) 

À la signature du contrat, une somme de 200 $ est aussi exigée pour « des frais de placement ».

Rappelons qu’au Québec, un locateur ne peut exiger toute somme d’avance – que ce soit un dépôt ou des frais de placement – à l’exception du premier loyer.

Or, et c’est ce que défend Harrington Housing, leurs locataires ne signent pas un bail, mais plutôt ce que l’agence appelle un « contrat de cohabitation à court terme ».

Une façon de jouer avec les mots pour contourner la loi ?

« Ce n’est pas le titre du contrat qui dicte la législation applicable, mais plutôt l’objet de celui-ci », fait valoir MMarc-André Émard, avocat à l’aide juridique de Montréal spécialisé en droit du logement, qui a épluché le contrat.

« Une entreprise à but lucratif qui n’est pas un hôtel et qui loue un logement ou une chambre à un individu pour qu’il y réside en contrepartie d’un loyer conclut un contrat de bail résidentiel », explique-t-il.

L’avocat en droit du logement MVincent LaBoissonnière renchérit : « Tout ce qui ressort du contrat, c’est une relation propriétaire-locataire. Si ce n’est pas un bail, je me demande ce que c’est. »

Un contrat comme celui-ci ne tiendrait jamais en cour.

MVincent LaBoissonnière, avocat en droit du logement

En mai, le Tribunal administratif du logement a d’ailleurs ratifié une entente à l’amiable entre Harrington Housing et une locataire qui réclamait le remboursement d’un dépôt de 500 $ « illégalement reçu par [l’agence] », selon elle.

« Ceux qui signent avec nous sont des locataires. Ils ont des droits de locataire. Ça ne fait aucun doute », a reconnu en entrevue un représentant de Harrington Housing.

Questionné sur le dépôt et les frais de placement, il est toutefois resté très évasif, pointant plusieurs concurrents avec les mêmes pratiques.

« C’est tout le paysage qui a changé. C’est la nouvelle réalité. C’est toujours le marché qui mène, et les changements juridiques qui suivent ensuite », a-t-il ajouté.

« Je serais heureux d’aller devant un tribunal avec quelqu’un pour en discuter. »

Des étudiants à risque

« Ils profitent des étudiants étrangers, parce que nous ne connaissons pas les lois locales », dénonce Belican Alpaydın, un étudiant turc qui raconte avoir eu une expérience « horrible » avec Harrington Housing.

Les étudiants étrangers sont en effet « doublement à risque » de pratiques abusives, rappelle Laurent Levesque, directeur général de l’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant.

En plus de l’urgence de trouver un logement dans un marché locatif saturé, « ils n’ont aucune chance de connaître les droits et recours des locataires », déplore-t-il.

En savoir plus
  • 590 $
    Loyer pour un studio tout inclus en résidence étudiante à l’Université du Québec à Montréal
    Source : UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL
    3 %
    Taux d’inoccupation à Montréal en 2021
    Source : Société canadienne d’hypothèques et de logement