Ils font l’actualité. Ce sont des acteurs de changement dans leur domaine. Mais on les connaît peu ou pas. La Presse vous en présente tout l’été.

« Pierreson, tu fais plein de choses pour les petits et pour les ados. Qu’est-ce que tu fais pour nous ? »

« Nous. » Ce sont les jeunes adultes responsables de la crise de violence urbaine qui secoue le nord-est de Montréal depuis deux ans.

Pierreson Vaval aurait pu recevoir cette critique d’un jeune gangster comme un coup de poignard.

Après tout, le directeur de l’équipe RDP est engagé depuis 25 ans à prévenir la délinquance, la violence, l’abandon scolaire et la toxicomanie chez les jeunes vulnérables de Rivière-des-Prairies (RDP) et à lutter contre ces problèmes.

L’organisateur communautaire de 50 ans l’a plutôt perçu comme un appel à l’aide. Il les connaît depuis qu’ils sont petits. Il les a vus grandir et… sombrer. Il leur a pourtant tendu la main à plusieurs reprises.

Aujourd’hui, il sent qu’il ne peut pas les laisser tomber.

Ce sont de jeunes Noirs qui ont grandi dans la précarité. Ils ont abandonné l’école tôt. Ils ont commis des délits qui les ont menés en centre jeunesse, puis en prison. Ils se sentent exclus de la société dans laquelle ils évoluent.

Certains sont devenus pères. Ils se tournent vers ce qu’ils connaissent — fraude, trafic de drogues et autres crimes – pour subvenir aux besoins de leur famille, explique M. Vaval.

Ces jeunes sont en mode survie. Ils ont besoin d’aide, de soutien. Je sais que c’est difficile à entendre parce qu’ils se tirent dessus, mais comme société, on doit se rapprocher d’eux plutôt que les exclure, sinon les ghettos que l’on redoute tant vont apparaître.

Pierreson Vaval

La première fois que la représentante de La Presse a rencontré M. Vaval, c’était en 2005, au moment où Montréal connaissait… une hausse de la violence armée liée à des conflits entre gangs de rue. Une sexagénaire venait d’être victime d’une agression gratuite commise par trois jeunes gangsters.

« Un drame comme celui-là va se répéter tant que les minorités dont sont issus nos jeunes seront aux prises avec des problèmes socioéconomiques et d’intégration. Tant que les jeunes eux-mêmes n’auront pas des modèles forts, non violents et positifs autour d’eux », nous avait lancé l’organisateur communautaire à l’époque.

Dix-sept ans se sont écoulés. Des jeunes qui grandissent dans des secteurs défavorisés continuent de s’entretuer. Leurs conflits font toujours des victimes innocentes.

L’analyse de Pierreson Vaval sur les origines « systémiques » des flambées de violence reste la même. Le grand gaillard au sourire contagieux nous donne rendez-vous pour l’entrevue au parc Don-Bosco. Son organisme a financé un collectif d’artistes l’an dernier pour y peindre une fresque Black Lives Matter/la vie des jeunes Noir.e.s compte.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Pierreson Vaval près de la fresque Black Lives Matter

« Remarques-tu quelque chose ? », demande-t-il en désignant les installations sportives. Le parc de planche à roulettes est vandalisé. Il y a des graffitis un peu partout, mais pas sur la fresque. »

Elle [la fresque Black Lives Matter] est importante pour nos jeunes. On leur dit que leur vie compte.

Pierreson Vaval

« Autre chose ? », ajoute-t-il. Une demi-douzaine de jeunes hommes jouent au basket sous un soleil de plomb en cette journée de juillet. Ils sont tous Blancs.

À cause de la hausse des évènements d’armes à feu, les jeunes Noirs craignent de jouer au parc, de peur d’être pris pour cibles par des membres des gangs de rue qui veulent « faire des points » (ce qu’on appelle le scoring) ou d’être pris à tort pour un membre de gang.

Autre dommage collatéral de la crise actuelle : M. Vaval ressent une hausse des tensions entre les jeunes Noirs et la police. Des jeunes sans histoire, et même des travailleurs de rue de l’organisme, sont interpellés par des agents, supposément parce qu’ils ressemblent à des suspects.

Découragé, le directeur d’Équipe RDP ? Non, ce n’est pas le genre de cet ancien athlète d’élite de basketball. Né en Haïti, arrivé à Montréal à 2 ans, il a grandi sur le Plateau. Ce n’était pas évident de « trouver sa place » dans un quartier blanc ouvrier à la fin des années 1970 et au début des années 1980, raconte-t-il.

Mais sur un terrain de basket, alors qu’il joue pour l’école secondaire Jeanne-Mance puis dans un programme élite où il représente Montréal, il est applaudi. Son « identité de jeune Noir » est valorisée, admirée. « Les gens avaient un préjugé favorable parce qu’ils voyaient des Noirs exceller au basket à la télé », se souvient-il.

Au-delà du basket

À 20 ans, il déménage avec sa famille dans Rivière-des-Prairies. Dans leur coopérative d’habitation, des jeunes se sont fabriqué un panier de basket avec une caisse de lait trouée. Ils jouent dans le stationnement faute d’avoir accès à un terrain de basket à proximité.

Pierreson Vaval ne joue plus à un niveau compétitif. Il a suivi une formation en dessin technique. Il travaille pour une maison d’édition.

Les ados de sa coop l’implorent de jouer avec eux. Il fait la rencontre d’autres jeunes de HLM avoisinants qui se sont aussi improvisés des terrains dans des stationnements.

Les besoins de ces jeunes et de leurs familles sont énormes, découvre M. Vaval. Cela dépasse largement le sport.

J’ai senti l’appel de l’engagement pour la communauté.

Pierreson Vaval

Les ados le baptisent « Coach ». RDP est alors secoué par une crise de violence semblable à celle vécue actuellement. « La cohésion sociale primordiale au développement du quartier semblait compromise, se souvient-il. Partout où j’allais, on me demandait : qu’est-ce qui se passe avec les jeunes ? »

Mais aucun organisme n’est prêt à accueillir ces adolescents vulnérables, qu’on juge dangereux. C’est là, qu’avec l’appui de l’école secondaire Jean-Grou et de la Ville de Montréal, à 25 ans, il fonde Équipe RDP. Des programmes de basket, puis de football, voient le jour pour contrer le décrochage scolaire et lutter contre la violence.

Question d’intervenir le plus tôt possible, les activités de l’organisme s’étendent ensuite aux écoles primaires avoisinantes.

Aujourd’hui, Équipe RDP gère aussi les programmes de loisirs — y compris les camps de jour — de tout l’arrondissement. L’organisme compte neuf employés permanents et une soixantaine de saisonniers. Il dessert environ 10 000 personnes.

« Il y a maintenant de la diversité chez les animateurs. Les enfants ont des modèles positifs qui leur ressemblent », dit-il avec fierté.

Construction plutôt que destruction

Mais comment aider les jeunes adultes marginalisés — acteurs de la crise actuelle — à s’en sortir ?

L’emploi, répond M. Vaval. L’un de ses travailleurs de rue, Mac Clain Senat, lui-même charpentier-menuisier, a eu l’idée d’un programme de formation aux métiers de la construction sur le terrain. La FTQ-Construction et le Local 9 (charpentiers-menuisiers) ont embarqué dans l’aventure.

Ainsi, depuis un an, 177 jeunes ont bénéficié du programme de formation et 70 de plus attendent d’y participer.

Des candidats ont été blessés ou tués dans la crise actuelle, se désole M. Vaval. Mais pour d’autres, cela a changé leur vie.

Équipe RDP a également ouvert cette année un nouveau local destiné aux jeunes adultes — 16-35 ans — qui veulent se confier ou se sortir des gangs. Ces derniers mois, ce n’était plus sûr pour ses travailleurs de rue de les rencontrer chez eux, dans les parcs ou dans leur voiture.

L’organisateur communautaire a été récompensé par le Canadien de Montréal dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs plus tôt cette année. Sa contribution à la fondation de la Coalition Pozé a été soulignée : ce groupe de défense des intérêts des jeunes Afro-Québécois multiplie les interventions médiatiques depuis un an pour rappeler l’importance d’agir sur les causes profondes de la flambée de violence, et non pas juste sur les symptômes.

Alors que Québec a investi 90 millions dans la lutte contre les armes à feu dans l’opération Centaure, la Coalition Pozé demande qu’une somme équivalente soit investie en prévention. La réponse du gouvernement a été timide, déplore M. Vaval. Depuis le début de la crise, l’Équipe RDP a reçu 160 000 $ d’argent frais ; une somme nettement insuffisante, dit-il. Avec cet argent, l’organisme parvient à embaucher deux intervenants « et demi » de plus.

« Soyons sérieux », laisse-t-il tomber, on a affaire à des « cas lourds » qui se livrent une « guerre fratricide ». C’est une armée de travailleurs sociaux, de psychologues et d’intervenants de milieu dont le nord-est de la métropole a besoin, dit-il.

« Quand la police demande ; elle reçoit. La réponse est immédiate. Nous, dans le communautaire, alors qu’on connaît les solutions, on nous dit de remplir des formulaires, on nous submerge de bureaucratie, déplore M. Vaval. Il y a urgence ou pas ? »