Des chercheurs britanniques affirment dans une nouvelle étude qu’il existe un « risque très élevé » que des couvre-planchers aboutissant sur le marché nord-américain soient produites en partie grâce au travail forcé de Ouïghours.

Les auteurs du rapport Built on Repression émanant de la Sheffield Hallam University, au Royaume-Uni, notent que la région autonome du Xinjiang est devenue au cours des dernières années un centre important de production de polychlorure de vinyle (PVC) en tirant profit de l’abondance de ressources naturelles et de l’exploitation à grande échelle de membres de cette minorité musulmane.

Une fraction importante des résines de PVC provenant de la région sont exportées ailleurs en Chine et outre-frontière en Asie pour être utilisées dans la fabrication de divers produits, dont des couvre-planchers qui se retrouvent ensuite sur le marché international.

IMAGE TIRÉE DU SITE DE LA SHEFFIELD HALLAM UNIVERSITY

Couverture du rapport Built on Repression émanant de la Sheffield Hallam University, au Royaume-Uni

Le PVC fabriqué au Xinjiang est « si peu coûteux qu’il est devenu le matériel le plus courant de tous les planchers vendus aux États-Unis », soulignent notamment les auteurs.

La situation, qui rappelle la problématique découlant de la production dans la région chinoise de coton, de tomates et de panneaux solaires, complique grandement la tâche des distributeurs étrangers et des consommateurs désirant écarter tout achat de produits potentiellement liés au travail forcé.

« Beaucoup de sociétés se contentent de remettre sur leurs fournisseurs directs cette responsabilité, mais ça ne suffit pas. Ils doivent essayer de contrôler l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement de manière beaucoup plus exhaustive », souligne Laura B. Murphy, professeure de la Sheffield Hallam University qui a cosigné l’étude.

À l’appui de leurs mises en garde, les chercheurs évoquent notamment le cas d’une firme d’État chinoise, Xinjiang Zhongtai Chemical, qui produit plus de 2 millions de tonnes de PVC par année.

Une « formation » avec une composante idéologique prononcée

La firme, note Mme Murphy, a participé activement au cours des dernières années au transfert de plus de 5000 « travailleurs excédentaires » issus de minorités religieuses, principalement des Ouïghours, qui ont été formés pour travailler dans ses usines. Elle s’est d’ailleurs félicitée publiquement de l’importance « politique » de ce programme.

Les personnes visées n’ont d’autre choix que de se conformer à ces transferts si elles veulent éviter la détention et se retrouvent souvent, dit la professeure, à vivre à des centaines de kilomètres de leur résidence dans des dortoirs après avoir subi une « formation » avec une composante idéologique prononcée.

Parmi elles, beaucoup sont exposées, souligne le rapport, à des risques importants pour leur santé puisque les usines de production de PVC utilisent un procédé très polluant à base de charbon et de mercure très dommageable pour l’environnement.

En étudiant les registres d’échanges commerciaux internationaux, les chercheurs ont relevé qu’une fraction importante du PVC produit par Xinjiang Zhongtai Chemical est acheminée à une firme vietnamienne qui alimente en couvre-planchers plus d’une dizaine d’importateurs américains.

Home Depot sous la loupe

Parmi ces couvre-planchers, disent-ils, figurent notamment certains produits vendus chez Home Depot sous le nom « Lifeproof ».

Une porte-parole de Home Depot, Sara Gorman, a indiqué mercredi par courriel à La Presse que l’entreprise contrôlait attentivement ses chaînes d’approvisionnement pour exclure tout recours au travail forcé et « travaillait actuellement avec ses fournisseurs » pour faire toute la lumière sur les allégations contenues dans le rapport.

Les entreprises entretenant des liens directs ou indirects avec des fournisseurs au Xinjiang risquent de connaître des difficultés croissantes aux États-Unis, qui viennent de mettre en œuvre une loi forçant les importateurs de produits provenant en partie ou en totalité de la région à faire la preuve qu’ils ne découlent pas du recours au travail forcé.

IMAGE TIRÉE DU SITE D’ALIBABA

Publicité de la firme d’État chinoise Xinjiang Zhongtai Chemical, dans laquelle elle affirme être le plus important producteur de PVC en Chine

Xinjiang Zhongtai Chemical, qui se targue en ligne d’être le plus important producteur de PVC en Chine, n’a pas répondu aux questions de La Presse.

Un quotidien chinois à l’offensive

Le quotidien d’État China Daily a attaqué les conclusions des chercheurs de la Sheffield Hallam University dans un long article paru au début de juillet en alléguant que leur travail s’inscrit dans le cadre d’une campagne de diffamation orchestrée par l’Occident.

L’article assure que le programme de migration de travailleurs ne peut d’aucune façon être considéré comme une forme d’« esclavage » ou de « travail forcé » et évoque à ce titre le fait que les personnes qui y participent reçoivent un salaire supérieur à la moyenne régionale.

Mme Murphy note que la rémunération, lorsqu’elle existe, est souvent illusoire puisque les firmes s’approprient une part non négligeable de ces sommes pour couvrir la nourriture, l’hébergement ou encore le transport.

Les menaces pesant sur les membres des minorités ethniques qui refuseraient d’y participer donnent par ailleurs, dit-elle, un caractère indéniablement coercitif au programme correspondant à la définition internationale de travail forcé.

Louisa Greve, militante du Uyghur Human Rights Project, juge que les démentis des autorités chinoises n’ont « aucune crédibilité » et passent sous silence le fait que le régime voit dans le placement en usine des Ouïghours une façon de les endoctriner et de les contrôler.

« Si les travailleurs forcés de migrer sont si contents, la Chine devrait laisser des observateurs étrangers venir sur place pour le leur demander. La région est hermétiquement verrouillée », relève Mme Greve.

Un rapport attendu

Les balises imposées à la haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, lors d’une visite dans la région en mai témoignent, dit-elle, du manque de transparence des autorités locales.

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Michelle Bachelet, haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme

Mme Bachelet, qui arrive à la fin de son mandat, doit faire paraître sous peu un rapport très attendu sur le traitement des Ouïghours par la Chine.

L’agence Reuters a rapporté jeudi que Pékin tenter de bloquer la diffusion du rapport et fait circuler dans les milieux diplomatiques une lettre où il exprime sa « grave préoccupation » à ce sujet.