Des juristes demandent la suspension temporaire de deux articles jugés « problématiques sur le plan constitutionnel ».

La mise à jour de la loi 101 du gouvernement Legault fera face à un premier test devant les tribunaux dans un mois. Un regroupement de juristes souhaite faire suspendre d’urgence deux de ses articles qui obligeront bientôt toute procédure déposée devant la cour en anglais au Québec à être accompagnée d’une traduction en français.

Ces juristes ont déposé le 21 juin dernier une demande de sursis afin de faire suspendre temporairement deux articles de la loi 96 qu’ils jugent problématiques d’ici à ce que la cour tranche sur leur constitutionnalité.

Agissant à titre indépendant, ils sont « soucieux des droits de leurs clients [et] du principe d’accès à la justice qui est mis en péril », selon leur avocat, Me Félix-Antoine Doyon.

Selon eux, « bien qu’il ne fasse aucun doute que la protection du français soit cruciale », les articles 9 et 208.6 de la loi 96 adoptée par le gouvernement Legault « sont problématiques sur le plan constitutionnel », peut-on lire dans une procédure déposée en Cour supérieure le 21 juin.

Les traductions en cause

Quoiqu’il s’agisse de la deuxième contestation officielle déposée devant les tribunaux, après celle de la commission scolaire English-Montréal (CSEM), le 1er juin dernier, celle du groupe de juristes sera entendue plus tôt, le 5 août, puisqu’elle demande la suspension d’urgence de ces deux articles jugés problématiques.

Car dès septembre prochain, ceux-ci obligeront toute personne morale, soit les entreprises et les organismes à but non lucratif, à accompagner une procédure déposée devant la cour en anglais d’une traduction française certifiée par un traducteur agréé.

Qui plus est, le coût de cette traduction doit être assumé par la personne à l’origine de la procédure.

S’il n’y avait pas cette condition-là dans la loi, si c’est l’État qui s’engageait à payer pour les traductions, on ne serait peut-être pas là aujourd’hui.

Me Félix-Antoine Doyon

Forcés à utiliser le français

Selon lui, les coûts prohibitifs associés à cette condition forceront plusieurs PME ou d’autres organismes peu argentés à se tourner vers le français pour déposer certaines procédures étant donné qu’ils ne pourront s’offrir les services de traducteurs agréés.

Ils pourraient aussi être forcés de se tourner vers le français devant certains délais parfois très serrés accordés par le système judiciaire pour fournir des traductions.

[Plusieurs PME ou d’autres organismes peu argentés] seront contraintes de subir la loi [96] et donc de s’adresser de facto aux tribunaux en français alors que pourtant, la loi constitutionnelle les protège.

Me Félix-Antoine Doyon

En effet, selon Me Félix-Antoine Doyon, l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 « enchâsse la garantie que toute personne peut utiliser le français ou l’anglais dans toute plaidoirie ou pièce de procédure devant tous les tribunaux du Québec ».

« En pratique, cela a entraîné un système de justice qui opère largement dans la langue de la majorité, tout en assurant à la minorité linguistique québécoise le droit de participer pleinement dans la langue officielle de son choix. Sur le plan linguistique, ce système fonctionne bien depuis la Confédération », rappelle-t-il dans la procédure introduite le 21 juin dernier.

Débat sur le fond

Si l’audience du 5 août prochain devait porter essentiellement sur l’urgence de suspendre les deux articles jugés problématiques d’ici à ce que la cour tranche définitivement sur leur constitutionnalité, ce dernier sujet pourrait effectivement y être abordé, selon MDoyon.

Contacté lundi soir, le cabinet du ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a indiqué qu’il ne ferait aucun commentaire « compte tenu du processus judiciaire en cours ».

Rappelons que la commission scolaire English-Montréal a été le premier organisme à annoncer et à officialiser le dépôt d’une contestation de la loi 96 devant les tribunaux. Celle-ci invoque principalement l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982.

Lisez « La CSEM contestera en cour la loi 96 »

Adoptée à l’Assemblée nationale le 24 mai dernier, la loi 96, qui met à jour la Charte de la langue française — communément appelée la loi 101 –, contient plus de 200 articles et modifie une vingtaine de lois existantes.

Lisez « Après la loi 96, l’immigration »