Une vingtaine de contrats excédant le prix estimé par des marges de 15 à 50 % sont présentement à l’étude ou sur le point d’être signés par le ministère des Transports du Québec en vertu d’une procédure d’attribution « allégée » qui dispense les directions territoriales de commander une contre-expertise externe.

Selon des données fournies par le Ministère, la valeur moyenne de chaque contrat tourne autour de 4,5 millions et la majorité d’entre eux s’échelonnent entre 100 000 $ et 5,3 millions. Un contrat de 10 millions fait aussi l’objet d’une analyse..

Le plus important de ces contrats est d’une valeur de presque 37 millions et concerne la réfection des structures de béton sous la route 136 (anciennement l’autoroute Ville-Marie) à Montréal. L’écart de prix entre la soumission présentée par la firme de construction EBC et le coût estimé à l’interne par le Ministère reste confidentiel.

On sait seulement qu’il est, au minimum, 15 % plus cher que le prix estimé par le MTQ. En date d’hier, il restait en analyse.

La Presse révélait la semaine dernière qu’en raison de la grève des 1800 ingénieurs de l’État qui enraye l’attribution de ses contrats, le MTQ a décidé d’alléger le processus habituel en permettant à ses directions territoriales de les accorder même s’ils présentent un écart de prix allant jusqu’à 50 % au-dessus des estimations de coûts du MTQ.

Lisez l’article « Le MTQ prêt à payer 50 % plus cher »

En temps normal, tout contrat présentant un écart de plus de 15 % au-dessus des estimations internes fait d’abord l’objet d’une « analyse d’écart de prix » par la direction qui donne le contrat. Cette analyse doit ensuite être confirmée par une contre-expertise réalisée par un ingénieur, dans une autre direction du Ministère, et ce, avant l’attribution du contrat. Dans plusieurs cas, la signature d’un sous-ministre associé sera aussi requise.

En vertu des allègements temporaires apportés par le MTQ dans une note interne datée du 20 mai, les étapes de la contre-expertise et de l’approbation sous-ministérielle ne sont plus requises, et ce, jusqu’au retour au travail des ingénieurs syndiqués.

« Le filet fonctionne »

Entre le 20 mai, à l’entrée en vigueur de cette directive, et le 21 juin dernier, pas moins de 183 appels d’offres publics ont été ouverts par le MTQ, selon les données fournies à La Presse.

De ce nombre, 27 soumissions gagnantes présentaient un prix au moins 15 % plus élevé que le coût estimé par le Ministère, soit environ 15 % des appels d’offres ouverts au cours du dernier mois.

Selon le porte-parole du MTQ, Louis-André Bertrand, 6 de ces 27 appels d’offres ont été tout simplement annulés depuis. Et sur ces six appels d’offres annulés, insiste-t-il, cinq proposaient des prix au moins 40 % supérieurs au coût estimé par le MTQ.

Les 21 autres sont en analyse « ou sur le point d’être signés », indique le porte-parole.

Pour le Ministère, ça veut dire au moins deux choses. La première, c’est que l’affirmation à l’effet qu’on ouvre les portes toutes grandes et que les entrepreneurs peuvent soumissionner le montant qu’ils veulent n’est pas fondée. Seulement 15 % des contrats présentent un prix supérieur de 15 % à l’estimé.

Louis-André Bertrand, porte-parole du MTQ

De plus, ajoute le porte-parole, presque toutes les soumissions proposant des prix plus de 40 % supérieurs à celui estimé par le MTQ ont été rejetées, et les appels d’offres annulés, à la suite d’une décision des directions territoriales qui en étaient responsables.

« Pour nous, dit M. Bertrand, c’est un signe clair que les filets en place pour protéger les fonds publics fonctionnent. Les directions territoriales doivent quand même réaliser une analyse pour comprendre l’écart de prix entre les soumissions et le prix estimé du Ministère, et elles demeurent imputables de ces décisions. Il y a encore des contrôles qui sont en place, et ils fonctionnent. »

Se passer des ingénieurs

Invité à commenter les données du MTQ, le président de l’Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec (APIGQ), Marc-André Martin, estime que le Ministère est en train de se fermer les yeux sur des contrats pouvant coûter jusqu’à 50 % plus cher que ses propres estimations

PHOTO PATRICE LAROCHE, ARCHIVES LE SOLEIL

Le président de l’Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec (APIGQ), Marc-André Martin

Selon ce dernier, le MTQ cherche des moyens « de se passer des ingénieurs », en grève générale intermittente depuis le 22 avril dernier.

Des 1800 ingénieurs membres de l’APIGQ, les deux tiers travaillent au MTQ.

« Il y a eu une commission d’enquête il y a quelques années parce qu’on voyait des écarts de prix de 15 % à 30 % dans la construction des trottoirs à Montréal », a ironisé ce dernier en parlant de la commission Charbonneau.

« Pour nous, c’est incompréhensible que le gouvernement ait décidé sciemment d’accepter des prix jusqu’à 50 % plus chers que ses estimations, juste pour pouvoir éviter de payer davantage ses ingénieurs. »

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  • 4,5 millions
    La valeur moyenne des contrats soumis au MTQ.
    Ministère des transports du québec